Ça écrit mal, les yeux dans l'eau.

Écrire une chronique sur un ami, ce n'est jamais facile. Écrire un adieu à un ami parti trop vite, sans avertissement, dans un accident absurde, c'est douloureux.

Mon premier réflexe a été de passer un tour, de ne pas écrire cette chronique sur Jean Lapierre. Par pudeur. Parce que les souvenirs (que je déteste ce mot-là lorsqu'il sert à décrire tout ce qu'il reste d'un ami à qui je parlais encore hier !) de notre complicité sont du domaine privé.

Et puis, je me suis dit que j'avais le devoir de rendre hommage à cet homme, à ce collègue, à cet ami surtout, que j'ai eu le privilège de côtoyer au cours des 15 dernières années.

Jean Lapierre était un ami, un confident, un partenaire de grandes discussions politiques et souvent un complice de franches rigolades, un conseiller et un mentor, aussi, même s'il était beaucoup trop humble pour revendiquer ces titres.

Sa plus grande qualité - rare dans le milieu - c'est que malgré son immense notoriété, malgré son indéniable influence sur la scène politique, il est resté humble, drôle, pas orgueilleux pour deux sous, modeste, capable d'autodérision.

En plus, Jean adorait son travail. Il se levait à l'aube, il ingurgitait une quantité phénoménale de nouvelles, il passait et recevait un nombre affolant de coups de téléphone et il était toujours prêt à sauter dans son auto pour se rendre à un congrès politique, au Conseil national d'un parti, à une assemblée d'investiture, dans une campagne pour une élection partielle et, bien sûr, le pied pour lui, sur le terrain d'une campagne électorale.

On aimait tous les deux le terrain. Il adorait conduire. Moi, pas. Ça tombait bien. Je m'assoyais dans son 4x4 et on partait sur les chemins de campagne électorale, en s'arrêtant dans tous les Ti-Père et autres restos de province, au point où nous aurions pu écrire un guide des casse-croûtes du Québec. Un guide de l'électeur aussi, parce que Jean les connaissait tellement bien. Il les aimait, sans jamais porter le moindre jugement, et ceux-ci le lui rendaient bien. J'avais un autre guide en tête : « Le petit Lapierre », genre de recueil autobiographique de ses longues années en politique. Jean était une encyclopédie vivante des 40 dernières années et il racontait tout cela avec le verbe et la verve qu'on lui connaissait.

Je lui en parlais chaque fois qu'on lunchait ou qu'on sillonnait le Québec ensemble, mais il n'y croyait pas. Une fois, il m'avait dit : « Déjà que je suis grand-père, si en plus tu penses que je vais écrire mes mémoires ! »

Au-delà des joutes politiques, des sondages et des stratégies, Jean s'intéressait d'abord et avant tout aux gens. Ceux qui font la politique et ceux qui la suivent, qui s'y intéressent ou qui la subissent. Pour vrai.

C'était vrai aussi dans sa vie privée. Jean a connu les hauts et les bas de la politique. Il a connu la gloire médiatique. Il avait un réseau de contacts incomparable et une influence énorme, mais jamais, jamais, n'a-t-il perdu de vue SA priorité : sa famille, son clan. Il aimait et respectait ses parents, qu'il appelait tous les jours, dont il prenait soin, même à distance ; il aimait profondément ses frères et soeurs ; il protégeait sa Nicole des orages de la vie publique ; il chérissait ses enfants, dont il était si fier.

Sa disparition, avec ses frères et sa soeur, avec sa compagne, dans ces circonstances, rend la chose encore plus insupportable.

Jean a toujours montré la même loyauté envers ses amis. La même générosité.

Je me permets de vous raconter tout cela parce qu'il y a quelques années, j'ai pris une belle grosse débarque que seul mon orgueil mal placé avait empêché de nommer par son nom : burnout.

Jean avait vu clair dans mon jeu. Il a été là tout du long, il ne m'a jamais lâché. Un petit coup de téléphone tous les jours, un lunch ou un souper régulièrement, sans jamais émettre le moindre jugement. Je lui dois beaucoup plus que les nombreuses discussions politiques que nous avons pu avoir.

Je devais luncher avec Jean, hier, comme on le faisait régulièrement depuis des années, toujours avec le même plaisir. On avait prévu ça avant ses vacances familiales de Pâques, en Floride. Il m'a écrit lundi après-midi pour m'annoncer la mort de son père :

- Salut mon ami, malheureusement on ne pourra pas se voir car je quitte pour les Îles car mon père est décédé aujourd'hui à 83 ans après un long combat contre le Parkinson. Je te fais signe au retour.

Jean

- Cher Jean,

Je t'offre toutes mes sympathies, à toi et aux tiens.

Je t'accompagne en pensée dans ton périple vers les Îles.

Nous aurons bien d'autres occasions de nous retrouver.

Je n'ai pas connu ton père, mais s'il est vrai que le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre, il était certainement bon et généreux.

Vincent

Au revoir, Jean, tu me manques déjà.

Mes condoléances et mes pensées les plus profondes à ta mère, à tes deux enfants, à tes petits-enfants et à ta famille, dont nous faisons tous un peu partie.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

La famille était LA priorité de Jean Lapierre, raconte son ami Vincent Marissal. Il aimait profondément les siens et les protégeaient des orages de la vie publique. On le voit ici avec sa femme Nicole au moment de son retour en politique en 2004.