Au fil des semaines, à raison d'une quarantaine de chroniques par année, j'ai eu le grand plaisir et le privilège d'explorer pour (et avec) vous le monde fascinant du vin, sous les angles industriel, marketing, tendance et, évidemment, politique.

Je profite de cette dernière chronique pour remercier les gens du milieu qui m'ont aidé dans mes recherches et mes découvertes au fil des ans. Merci aussi à la communauté, populeuse et éveillée, des amateurs de vin parmi nos lecteurs, des gens qui ont nourri ma réflexion et qui ont partagé des nouvelles avec moi depuis 2006.

Même sans chronique hebdomadaire au retour des vacances, je resterai évidemment passionné par le vin, d'abord comme amateur, mais aussi comme journaliste, puisque j'aurai l'occasion de voyager sur la planète vin dans le but d'en faire des reportages dans différents cahiers de La Presse, dont celui que vous avez entre les mains.

Pour cette dernière chronique (avant-dernière, en fait, la der des der, samedi prochain, pour la fête des Pères), l'occasion est tout indiquée de faire un bilan bien personnel de mes observations.

Au Québec

Petite note de satisfaction, pour commencer. Nous avons réussi (je crois, modestement, y avoir un peu contribué), à force de nous plaindre, à faire entendre raison à la SAQ: les vins bouchonnés, peu importe quand ils ont été achetés, sont maintenant remboursés à la SAQ, ce qui correspond à la pratique généralisée dans le milieu du vin.

Constatation générale: la SAQ a beau être un monopole d'État, elle a beau être l'objet de toutes les critiques, ses dirigeants sont extrêmement sensibles à l'image de marque de leur entreprise et aux doléances de la clientèle.

Il faut dire que la SAQ n'a pas le choix parce que les Québécois, autre constatation, sont de plus en plus connaisseurs, de plus en plus exigeants, ouverts aux expériences vinicoles aussi et très au fait de ce qui se fait ailleurs.

Amateurs avertis, offre abondante et accessible, relève (en sommellerie, notamment) riche et allumée, croissance soutenue des importations privées par des passionnés parcourant le monde à la recherche de petites perles, complicité gourmande des restaurateurs, le Québec, à n'en pas douter, est un des meilleurs endroits du monde où aimer le vin.

Le consommateur québécois a perdu quelque chose depuis cinq ans, cependant: les «vraies» soldes à la SAQ, presque disparues du paysage. Fini le Boxing Day (une bouteille sur quatre gratuite!) et les grandes braderies de grands vins à la SAQ-Dépôt. On doit maintenant se contenter d'une bouteille de rhum cheap avec tout achat de 100$ et plus ou de 10$ sur 100$ et plus quelques fois par année. Évidemment, rien n'oblige la SAQ à vendre au rabais (on l'accuserait même de pousser les Québécois à la consommation), mais même les opérations 15% sur 300$ et plus sur SAQ.com sont rarissimes.

Je vous le répète pour la centième fois: le meilleur deal au Québec, c'est le solde permanent de 15% (sur 12 bouteilles) à la SAQ-Dépôt. Les SAQ-Dépôt sont les Winners du vin: tout est en rabais et on y trouve souvent des surprises, y compris de grands vins «griffés».

Tiens, il y a quelques semaines, je me suis fait une caisse de grands bordeaux 2005 échouée au Marché Central...

Au Québec, enfin, j'ai constaté au cours des dernières années l'évolution galopante de la production locale. Notre industrie est sortie de l'incubateur pour entrer dans la petite enfance. Nous n'en sommes qu'aux premiers pas dans un monde de géants, mais le courage et la bonne volonté de nos vignerons commencent à porter leurs fruits.

Au Canada, l'industrie viticole (en Colombie-Britannique et en Ontario) a fait des bonds de géants depuis quelques années et produit maintenant des vins de calibre mondial. Dommage que nous en ayons si peu au Québec.

Pour résumer mes observations plus générales sur la planète vin, il me faudrait bien trois ou quatre pages. Je vais donc me limiter à trois points:

> Le jus de planche: les blockbusters australiens, argentins et américains si boisés qu'on a parfois l'impression de lécher un deux par quatre restent immensément populaires (dites-moi que vous n'aimez pas le Ménage à Trois!), mais je constate avec plaisir que de plus en plus d'amateurs les délaissent, recherchant maintenant plus de finesse.

> Bordeaux, pas de limite aux folies: ah, les prix délirants des grands vins de Bordeaux! C'est reparti mon kiki pour 2009 et 2010, encore deux millésimes «mythiques», encore des prix stratosphériques. Une bouteille de vin peut-elle vraiment valoir 1500$? Poser la question, c'est y répondre, mais tant qu'il y aura des gens pour payer ces prix-là, il y aura des producteurs pour leur vendre.

> Le bio et la conscience: depuis quelques années, la mode est aux vins bios. Ce n'est pas la mode et ses relents de marketing qui m'intéressent ici, mais plutôt l'attitude de tant de jeunes vignerons que j'ai eu la chance de rencontrer au Québec ou dans leurs vignes. Ces jeunes producteurs, qui reprennent le vignoble familial ou qui se lancent seuls, recherchent d'abord l'authenticité, le vrai. Ils veulent faire parler leur terroir, quitte à prendre des risques commerciaux. Quitte à arracher des cépages performants et en vogue pour planter de l'indigène. Quitte à avoir de bonnes prises de bec avec le paternel, qui répète qu'«on fait le vin comme ceci ou comme cela depuis toujours». Ce sont les vins de ces vignerons qui me font triper et qui me donnent confiance en l'avenir de l'industrie.

Sur ce, merci de m'avoir suivi et au plaisir.

Toute bonne chose a une fin, sauf le saucisson, qui en a deux.