Je lisais récemment un article qui traitait de cépages nobles et de cépages hybrides. L'utilisation du mot «noble» m'a dérangée. Comme si les cépages hybrides étaient vils.

Les cépages nobles décrits dans cet article faisaient allusion aux cépages issus des vignes Vitis vinifera. La plupart des cépages connus dans le monde -  chardonnay, sauvignon blanc, riesling, pinot noir, malbec, syrah, etc. - sont issus de Vitis vinifera. Quelques milliers de ces cépages sont cultivés pour faire du vin, même si seulement quelques centaines dominent le paysage viticole. Mais Vitis vinifera n'est pas la seule vigne à donner du raisin propice à la production de vin.

Le genre Vitis, issu de la famille des Vitaceae, se décline en plus de 70 espèces. Vitis vinifera est originaire d'Europe, mais est aujourd'hui cultivée dans le monde entier. On l'appelle d'ailleurs parfois la vigne européenne. Vitis labrusca, Vitis riparia et Vitis rotundifolia, entre autres, sont des vignes nord-américaines. Le Proche-Orient et l'Asie orientale comptent aussi plusieurs espèces de vignes indigènes.

Mais de toutes ces espèces, aucune ne donne d'aussi bons résultats pour l'élaboration de vins que Vitis vinifera. Par contre, elle se plaît surtout dans des zones tempérées. Le Canada a longtemps été considéré comme trop froid pour sa culture. Et puisque les vignes nord-américaines ne donnent pas des vins de qualité, ce sont donc surtout des hybrides qui ont été plantés ici.

Un hybride est un croisement entre deux espèces de vignes, qui cherche à réunir les qualités des deux parents. Beaucoup d'hybrides sont des croisements entre une vigne vinifera, pour sa capacité à produire des vins de qualité, et une vigne nord-américaine, pour sa rusticité.

Des hybrides non reconnus

La viticulture de qualité en Ontario a commencé lorsque quelques producteurs ont commencé à cultiver des vignes de Vitis vinifera dans les années 70. Les hybrides étaient alors associés à des vins de moindre qualité. À tel point que lors de la création du Vintners Quality Alliance (VQA), le système d'appellation des vins canadiens, les vins issus de vignes hybrides se sont vu refuser toute appellation, sauf l'appellation provinciale Ontario. C'est-à-dire que même si les raisins sont issus d'une appellation précise telle que Niagara Peninsula ou Twenty Mile Bench, ils ne peuvent afficher que l'appellation Ontario. Il y a une exception à cette règle, le cépage hybride vidal, utilisé pour l'élaboration du vin de glace, a droit à tous les niveaux d'appellations. On n'allait bien sûr pas priver le fleuron du vin ontarien de ses lettres de noblesse.

Sauf que, voilà, les choses ont bien changé depuis les années 70. Les vignerons comprennent beaucoup mieux les particularités des terroirs d'ici, savent quels cépages réussissent bien et dans quelles conditions. Leur connaissance des vinifications a énormément évolué. Et il y a le réchauffement climatique. Au Québec seulement, la saison de croissance s'est allongée de près d'un mois au cours des 40 dernières années. Jusqu'aux années 2000, on y cultivait presque exclusivement des cépages hybrides. Aujourd'hui, de plus en plus de vignerons québécois cultivent des vignes de Vitis vinifera. On produit maintenant des chardonnays et des pinots noirs tout à fait étonnants au Québec, pour ne nommer que ceux-là. Mais, à travers tout cela, il semble s'être installé une idée reçue selon laquelle les vignes hybrides sont résolument inférieures, qu'elles ne peuvent pas donner grand-chose de bon, qu'elles ne sont pas nobles.

Bien sûr, les cépages issus de Vitis vinifera ont donné, et continuent de donner, les plus grands vins de ce monde. Mais avec tous ces changements des dernières années, on peut aujourd'hui produire de très bons vins avec des hybrides. Au cours d'une récente tournée du vignoble québécois, des vins issus du cépage hybride seyval m'ont épatée plus d'une fois. C'est un cépage qu'on cultive depuis longtemps au Québec. Les vignerons ont eu le temps de bien comprendre comment le cultiver et le vinifier ici. Alors que nombre de rieslings, un cépage vinifera, que pourtant j'adore, m'ont paru complètement anodins.

Il serait peut-être temps de revaloriser ces cépages hybrides. Le cépage n'est d'ailleurs qu'une partie de l'équation dans la qualité d'un vin. Plus importants encore sont l'adéquation entre le cépage et le terroir, surtout, ainsi que l'expertise et la sensibilité du vigneron. Et plusieurs de ces cépages hybrides, au Québec en particulier, ainsi qu'en Nouvelle-Écosse, sont tout à fait adaptés à nos terroirs, à nos climats, et plusieurs de nos vignerons ont maîtrisé leur culture.

Les cépages vinifera ne sont pas automatiquement meilleurs. Si le terroir n'y est pas adapté, ça a beau être du chardonnay ou du pinot noir, ça ne donnera pas grand-chose de bon. Vouloir reproduire à tout prix ce qui réussit ailleurs n'est pas une bonne solution en viticulture. Chaque lieu, chaque parcelle de terre, chaque terroir a ses spécificités. Et certains sont tout à fait indiqués pour produire de très bons vins à partir de cépages hybrides.

Cinq vins à découvrir

De Martino Legado Chardonnay Reserva Limari Valley 2016

Très bel exemple d'un chardonnay chilien de la région fraîche de Limari, dans le nord du pays. Le nez est fin, plutôt retenu, avec des arômes de pomme jaune, d'agrumes, un caractère lacté qui rappelle la crème, et une fine note iodée. En bouche, le fruit mûr s'exprime par un très joli gras, avec un boisé assez appuyé mais bien intégré, aux notes épicées, et le tout est équilibré par une acidité fraîche. Très bien fait, comme le sont toujours les vins de cette maison. Délicieux avec un poulet rôti, des pâtes à la crème, un saumon grillé, des côtelettes de veau aux champignons.

19,30 $, 13,5 % 

Buti Nages Costières de Nîmes 2017

Délicieux vin rosé sec, de l'excellent vigneron Michel Gassier. De jolis arômes de petits fruits rouges et de pêche, une très bonne tenue en bouche, de la matière et de la fraîcheur, avec en plus un caractère gouleyant. Très bon rapport qualité-prix et hyper passe-partout: pour l'apéro ou à table avec une salade de légumes grillés, un tartare de poisson ou encore des saucisses au barbecue.

14,55 $, 13,5 %, bio

Domaine Bergeville L'Exception Brut

Un domaine québécois qui se consacre à l'élaboration de vins effervescents selon la méthode traditionnelle, issus uniquement de cépages hybrides, cultivés selon les préceptes de la biodynamie. Ils produisent bien sûr des mousseux blancs et rosés, mais plus surprenant aussi, des rouges. Tous sont délicieux! Celui-ci, d'une couleur rouge pâle, est élaboré avec les cépages frontenac noir, radisson et marquette. Au nez, des arômes de framboise et de cerise se mêlent à des notes légèrement briochées. Il a un fruit éclatant en bouche, mais il est très sec, pas du tout bonbon. Parfait pour un apéro avec des charcuteries ou des saucisses grillées au barbecue.

34,00 $ au vignoble (aussi possible de commander par l'entremise du site internet du Domaine) 12 % 

* Le blanc et le rosé sont en vente à la SAQ.

Photo fournie par ls SAQ

De Martino Legado Chardonnay Reserva Limari Valley 2016

Vignoble Rivière du Chêne Rosé Gabrielle 2017

Un autre vignoble bien établi, qui jouit d'une expertise acquise au fil des ans qui se reflète dans la qualité croissante des vins. Un rosé sec, élaboré avec plusieurs hybrides dont seyval noir, sainte-croix, frontenac gris et vidal, avec de jolies notes délicates de fruits rouges, une pointe florale et très légèrement herbacée, comme des feuilles de framboisiers, qui ajoute intérêt et complexité au vin. Frais et léger, idéal pour l'été, à l'apéro ou avec une truite grillée, des brochettes de crevettes, une bruschetta, une salade de melon d'eau.

15,25 $, 11,9 % 

Château d'Ardennes Graves 2009

Un rouge tout de même, plus cher, mais un très bon achat. Pas d'hybride ici, mais un vin de Graves tout à fait classique, issu de parts presque égales de merlot et de cabernet sauvignon, avec un peu de cabernet franc et de petit verdot. Très bel exemple d'un bordeaux évolué, avec des arômes tertiaires mais encore plein de fraîcheur: prune et pruneaux, liqueur de cassis, feuilles de tabac, cèdre. La bouche est suave et harmonieuse, avec des tanins fins et enrobés. À déguster avec des viandes braisées, une côte de veau aux morilles, un poulet rôti aux champignons sauvages.

32,00 $, 13,5 %

Photo fournie par ls SAQ

Vignoble Rivière du Chêne Rosé Gabrielle 2017