Débourser 20 $ pour une bouteille de vin n'a rien de trop farfelu. Or, en faire autant pour acheter une bière peut encore paraître ahurissant. Pourtant, l'idée commence à faire son chemin quand on parle de bières d'exception, qui s'offrent particulièrement bien à Noël. C'est précisément le genre de bière qui vieillit dans le cellier du Marché du Village, à Ange-Gardien, en Montérégie.

Karl Roy s'intéresse aux bières de garde depuis 16 ans. Il y a neuf ans, il a décidé de le faire de façon commerciale en construisant un cellier voué à la conservation des stouts impériales russes, porters baltiques, vins d'orge et autres quadruples belges. «De gros trucs maltés, à haute teneur en alcool, mais aussi avec des levures brettanomyces, énumère-t-il en nous faisant visiter l'épicerie familiale. Je fais même vieillir quelques cidres.»

En tout, il y a aujourd'hui plus de 26 000 bouteilles en vieillissement dans ses celliers. «On me disait que j'étais fou, que j'allais me planter - et je vous avouerai que je n'haïs pas ça, entendre ça! Au contraire, je suis allé chercher une expertise que d'autres n'ont pas», raconte Karl Roy.

«Les marchands de bières de spécialité sont de plus en plus nombreux, la part de tarte rétrécit d'année en année, ça permet de me distinguer. Moi, je ressors des trucs qu'on ne trouve plus sur le marché et qui étaient déjà rares au départ.»

C'est en effet franchement impressionnant de voir les bières d'exception entreposées dans le cellier situé derrière l'épicerie. Et leur nombre continue d'augmenter, à tel point que l'on soupçonne qu'il pourrait bientôt manquer d'espace. «Quand je reçois quatre caisses qui vieillissent bien, j'en mets trois en entreposage», affirme Karl Roy. On trouve une sélection de bières vieillies dans le cellier de la boutique, verrouillé à clé et dans lequel on pénètre seulement en compagnie d'un conseiller qui est là pour guider les clients.

Le choix des bières proposées en magasin n'est par ailleurs pas laissé au hasard. «Tout est répertorié dans l'ordinateur et j'ai deux clients fidèles qui font des tests de vieillissement, en plus de mes sept employés, explique le jeune entrepreneur de 39 ans. On a bien sûr prévu un pourcentage pour les pertes. Je veux pousser la note, je veux aller chercher les limites des produits.» Et ce, même en dépit des réserves de certains brasseurs: «Beaucoup nous disaient de ne pas mettre certaines de leurs bières en vieillissement, ils étaient convaincus qu'elles allaient exploser, nous confie Karl Roy. Mais je l'ai fait quand même et je me suis aperçu que ces bières devenaient plus neutres dans un environnement contrôlé.»

«Aussi, le vieillissement n'est pas bien vu par tout le monde. Je comprends que des brasseurs estiment que leurs créations sont destinées à être bues dans l'état où elles étaient quand elles ont été mises en marché. Mais rien ne dit qu'elles ne vont pas se développer avec le temps.»

«Au fond, c'est un peu comme dire à un artiste que son oeuvre est belle, mais qu'on va l'apprécier encore plus avec le temps», estime-t-il. C'est pourquoi Karl Roy invite les brasseurs dans son cellier pour qu'ils puissent goûter eux-mêmes à leurs produits qui ont gagné en âge. «Je veux partager avec les brasseurs, affirme-t-il. J'ai d'ailleurs installé un bar pour les accueillir et leur permettre d'entrevoir ce qu'il pourrait arriver à leurs bières en vieillissant.»

À la maison

Toutefois, nul besoin d'avoir un cellier comme celui du Marché du Village pour faire vieillir une bière. Bien au contraire. «Tout le monde peut se trouver une place pour faire du vieillissement, tout le monde a un endroit qui peut être idéal, affirme Karl Roy. Le mieux, c'est de faire ça dans un cellier à température contrôlée, mais c'est bon aussi dans un sous-sol à la noirceur. La plus grave erreur est de mettre les bières de garde à la lumière. Oui, il y a des conditions idéales, mais je n'aime pas dire aux gens que c'est infaisable. La variation de rendement ne sera jamais assez grande pour mettre en péril le vieillissement.»

En gros, il s'agit de mettre les bouteilles à température et humidité contrôlées, dans l'obscurité totale. Contrairement au vin, les bouteilles doivent être debout pour minimiser les risques d'oxydation et pour que le liquide n'entre pas en contact avec le métal de la capsule, le cas échéant. Évidemment, il faut aussi résister à la tentation de boire ces belles bouteilles tout de suite. Mais le jeu en vaut la chandelle, selon Karl Roy: «Par exemple, quand tu bois une stout impériale russe fraîche, l'alcool est souvent prédominant, ce n'est presque pas intéressant, soutient-il. Mais avec les années, les céréales vont prendre leur place, ça va s'équilibrer. Ça vaut vraiment la peine d'être patient!»

Série impériale

Quelques années après avoir construit son cellier, Karl Roy a eu l'idée de brasser sa propre bière de garde. C'est ainsi qu'est née la Série impériale: une scotch ale, un vin d'orge, une quadruple belge et une stout impériale, brassés en alternance depuis 2014. C'est René Huard, des Brasseurs Illimités, qui a créé ces bières d'exception qui sont conçues pour vieillir en cellier au moins 10 ans. «René a compris ce que j'avais en tête et il a embarqué, dit Karl Roy. Je voulais qu'il éclate ses standards.» En 2018, la Série impériale boucle la boucle et revient avec le Roi de Coeur, deuxième édition de la scotch ale. En magasin le 1er décembre.

CINQ BIÈRES DE GARDE À OFFRIR

> Les Trois Mousquetaires, Porter Baltique Édition Spéciale, 10,5 % alc./vol.

Cette bière se passe presque de présentation. C'est en 2012 que Les Trois Mousquetaires (LTM) ont dévoilé leur première cuvée spéciale de porter baltique, et depuis, on se l'arrache. Vieillie cinq mois en fûts de chêne ayant contenu du bourbon et du brandy, elle peut vieillir de trois à cinq ans - ou plus selon Karl Roy! LTM soutient que sa cuvée 2018 est presque parfaite, offrant l'équilibre tant recherché entre notes alcoolisées, sucre, vanille, chocolat et saveurs torréfiées et fumées.

> Harricana - Microbrasserie La Memphré, B52, porter double, 8,52 % alc./vol.

En collaboration avec la Microbrasserie La Memphré, Harricana revient avec sa deuxième mouture de la B52, une double porter brassée avec café, lactose, vanille et orange. La première édition était affinée en barriques de bourbon, celle-là a séjourné en fûts de Grand Marnier. Édition limitée, elle est encore offerte dans quelques détaillants spécialisés, mais il faut faire vite.

Unibroue, 17 Grande Réserve, ale brune de type belge, 10 % alc./vol.

Plus facile à trouver, l'Unibroue 17 Grande Réserve est non moins désirable. Ale brune de type belge brassée une fois par année, elle a été lancée il y a 10 ans - il s'agissait alors de la première création commerciale du maître brasseur Jerry Vietz. Cet automne, Unibroue a choisi de revenir avec son brassin 2017, qui s'est ainsi bonifié un an de plus. Vieillie avec du chêne français, la 17 Grande Réserve offre un excellent potentiel de garde.

> Saint-Ambroise, Stout impériale russe, 9,2 % alc./vol.

Un autre grand classique annuel proposé depuis 2009 par MacAuslan, la stout impériale russe est faite d'un mélange de malts d'orge et est infusée aux houblons Cascades, Goldings et Willamette. Les amateurs l'achètent en caisse de 12 bouteilles protégées dans des tubes de carton et reçoivent deux verres et deux sous-verres en cuir. Belle idée-cadeau, cette promotion était toutefois en vigueur en octobre... Heureusement, il est encore possible de trouver des bouteilles à l'unité chez les détaillants spécialisés.

> Nickel Brook Brewery, Café del Bastardo, stout impériale russe 11,9 % alc./vol.

Une curiosité ontarienne qui mérite une visite à la SAQ: la Café del Bastardo est la meilleure stout impériale russe au Canada selon Untappd. Les brasseurs ont ajouté des grains de café torréfiés dans leur Bolshevik Bastard avant de faire vieillir le tout dans des barriques de bourbon qui ont préalablement accueilli la Kentucky Bastard, une autre variante de la Bolshevik. On la boit fraîche pour goûter la subtilité du café, mais on peut aussi la conserver au cellier pendant plusieurs années.

Photo Olivier PontBriand, La Presse

Harricana - Microbrasserie La Memphré, B52, porter double, 8,52 % alc./vol.