Profitant de la soif d'authenticité grandissante des consommateurs, les brasseries artisanales gagnent du terrain en Belgique et font même la nique à leur compatriote AB InBev, engagé dans une course au gigantisme avec le rachat de SABMiller.

Les gens «se tournent de plus en plus aujourd'hui vers du manger, du boire, du consommer local, artisanal. C'est une tendance qui existe au niveau européen et aussi aux États-Unis», constate Bernard Leboucq, l'un des deux maîtres brasseurs de la petite Brasserie de la Senne, fondée en 2003 à Bruxelles.

Le cas de ce Bruxellois, qui a commencé à brasser dans un squat et produit désormais avec son associé Yvan De Baets plus de 6000 hectolitres par an, illustre parfaitement la montée en puissance des microbrasseries dans un pays qui se targue d'une tradition ancestrale de la bière.

«Actuellement, nous n'avons pas peur de la concurrence des grands groupes, des grosses marques, ce sont plutôt les brasseries artisanales qui mangent les parts de marché des brasseurs industriels», explique M. Leboucq, employeur d'une dizaine de personnes dans un quartier populaire de la capitale belge.

Et d'afficher sa sérénité face à l'appétit de son voisin, le belgo-brésilien AB InBev, champion mondial des brasseurs basé à Louvain, à une vingtaine de kilomètres de Bruxelles: AB InBev veut racheter le numéro deux du secteur, le britanno-sud-africain SABMiller, afin de parfaire son emprise planétaire sur le marché de la bière.

Avec l'essor de nouveaux artisans comme M. Leboucq, le nombre de brasseries a augmenté ces dernières années en Belgique. «Il y a six, sept ans, nous étions descendus à 120, maintenant on est remonté à 168», se félicite le président des brasseurs belges, Jean-Louis van de Perre.

Il est toutefois difficile de chiffrer le nombre exact des brasseurs artisanaux, certains étant trop petits pour être vraiment pris en considération, précise-t-il.

Tradition et innovation

Le succès des microbrasseries en Belgique est avant tout «une redécouverte de la bière, de sa diversité, de sa sophistication», analyse M. van de Perre, dans son immeuble baroque surplombant la Grand'Place de Bruxelles, centre historique de la capitale, qui abrite la corporation des brasseurs depuis le XVIIe siècle.

La bière est en effet à la Belgique ce que le vin est à la France. «À la fin du XIXe siècle, on comptait environ trois mille deux cents brasseries et on aurait éprouvé les pires peines du monde à trouver une ville ou un village qui n'en possédât pas une ou plusieurs», écrit l'auteur belge Jean-Pierre Baronian, dans son Dictionnaire amoureux de la Belgique.

L'intérêt pour ce breuvage ne diminue pas: facilité par la vente de kits dans les supermarchés, le brassage amateur a de plus en plus la cote.

Pour fabriquer la boisson, la Belgique affiche davantage de souplesse que sa voisine allemande, tout aussi renommée pour sa mousse, mais très stricte sur les ingrédients autorisés pour le brassage, stipulés dans le «décret sur la pureté de la bière» ou «Reinheitsgebot» en allemand.

Par conséquent, la Belgique présente une gamme très diverse de breuvages avec quatre modes différents de fermentation: basse (comme la Stella Artois), haute (comme la Triple de Bruges), spontanée (telle la Vieille Kriek) et mixte (La Vlaams Bruin ou Brune flamande).

Qu'elles soient blanches, blondes, ambrées, brunes, avec des fruits, fortes, légères, trappistes ou d'abbaye, les bières belges déclinent une infinité de saveurs.

«Les microbrasseurs s'inscrivent dans cette tradition, tout en cherchant l'innovation», observe M. van de Perre, ancien vice-président d'AB InBev jusqu'à fin 2013. Ainsi la Brasserie de la Senne, qui dispose d'une gamme de cinq bières, sort de nouveaux breuvages au fil des saisons, à chaque Noël notamment.

Selon lui, les brasseries artisanales sont «une chance pour les grands groupes, elles les ont réveillés en apportant davantage de concurrence».

Les microbrasseurs belges profitent eux du renom des grandes marques, telles la Stella Artois d'AB InBev, et de leurs réseaux de distribution à l'étranger. La Brasserie de la Senne exporte ainsi en Italie, aux États-Unis et au Japon.