L'image de la pinte bon marché associée aux soirées sportives est certes encore bien ancrée mais la bière de dégustation, tirée par l'essor des brasseries artisanales, a le vent en poupe, notamment auprès d'une clientèle féminine.

Si la consommation de bière, un marché qui représentait 2,18 milliards d'euros l'an dernier, est près de 1,5 fois supérieure chez les hommes que chez les femmes, 56 % d'entre elles disent boire de la bière, selon un sondage Odoxa réalisé pour Heineken à l'occasion du salon The Place to Beer, organisé les 22 et 23 mai à Paris.

«Ce chiffre est surprenant, même pour les professionnels du métier, il brise un préjugé dans un marché à dominante masculine», remarque Annick Vincenty, directrice marketing de Heineken Entreprise.

Une tendance que confirme Hervé Marziou, président de l'Association française des biérologues, créée en janvier. «La bière de dégustation s'ouvre aux femmes, qui sont sensibles aux accords en bouche. Il y a un pourcentage de femmes qui ne sont plus effrayées par l'image qu'a pu donner la bière il y a quinze ans et qui sont sensibles aux variétés proposées aujourd'hui», commente-t-il. Et de rappeler que les femmes sont historiquement les premières brasseuses puisque dans l'Antiquité, le brassage leur était réservé.

Alors que le marché était essentiellement un marché de désaltération il y a 30 ans avec, en vedette, la blonde standard, la consommation globale ne cesse de régresser en volume en France, avec une exception pour l'année 2014, au profit d'une offre premium et artisanale.

«Quand on commence à faire goûter aux gens des choses différentes de leurs habitudes, ils découvrent des arômes. Je pense que les femmes assument plus leurs goûts et qu'elles sont de plus en plus curieuses et attentives au choix de la bière», note la sommelière Caroline Furstoss, qui travaille beaucoup sur les accords mets-bière.

«Pas de bière sexuée»

Arômes d'ananas, de framboises, mais aussi de café ou de chocolat, IPA fortement houblonnée, bière de Noël plus épicée... Longtemps peu innovant, le marché s'étoffe d'année en année et attire de nouveaux publics.

À Paris, la scène brassicole artisanale se réunit cette semaine au sein de la «Paris Beer Week» pour la deuxième année, avec pour objectif de «mettre en avant la créativité de nombreuses brasseries enracinées dans un artisanat de qualité». Le marché de la bière artisanale est évalué à 4 % en volume aujourd'hui, contre moins de 2 % il y a 3 ans.

«Il y a énormément d'innovation dans la bière», constate Carole Furstoss. «C'est d'autant plus facile que ce n'est pas un produit lié à un terroir en particulier ou qui dépend d'aléas climatiques. Une brasserie peut faire une bière un jour et une autre différente le lendemain.»

Parmi ces innovations, certaines seraient-elles l'apanage des hommes, d'autres celles des femmes? «Non», répond Simon Thillou, patron de la Cave à bulles, l'une des premières caves à bières de Paris. «Culturellement, la bière véhicule encore davantage des valeurs masculines, mais il n'y a pas de goût sucré de bière pour les femmes ou de goût amer pour les hommes, ça c'est un outil des brasseurs pour vendre plus de bières et ce n'est pas normal qu'une bière soit sucrée», remarque-t-il.

Une vision partagée par Elisabeth Pierre, experte indépendante et auteur du guide Hachette des bières 2015. «Il n'y a pas de bière sexuée», assure-t-elle, faisant le constat que «les femmes sont plus ouvertes que les hommes aux bières qui ont du goût, comme les bières très houblonnées ou acides comme les lambics».

La styliste Stanislassia Klein, qui a créé en 2008 le «Club des buveuses de bière à talons aiguilles», souligne cependant qu'il y a encore du chemin à faire pour «vraiment décomplexer les femmes vis-à-vis de la bière». Selon elle, «ce n'est pas le cas dans les populations latines que nous sommes». Et de préciser que «les brasseurs ne communiquent pas du tout pour le public féminin alors qu'il y a un marché».

En attendant, les métiers de la bière se féminisent. Vincent Marcilhac, qui enseigne au pôle de gastronomie de l'Université de Cergy-Pontoise, dit ainsi recevoir 50 % de demandes venant de femmes pour des formations en biérologie, la plupart du temps pour ouvrir des caves à bière.