Pommes, gadelles, poires... et même kiwis: beaucoup de fruits peuvent se transformer en vins. Encore faut-il savoir en extraire toute la saveur, un art que bien peu de gens maîtrisent. À Franklin, les propriétaires du domaine Entre pierre et terre s'y attellent avec adresse, minutie et passion.

C'était le week-end de Pâques. La chef du restaurant montréalais Les 3 petits bouchons avait préparé un costaud menu de cabane à sucre. «J'ai un p'tit cidre pomme-canneberge pour commencer le repas», propose le sommelier. Pourquoi pas? Et Pow! Blop! Wizz! Révélation. Une belle bulle rosée, vive et nerveuse, qui coupe dans le gras comme le plus tendu des blancs alsaciens. Six mois plus tard, nous nous trouvons en Montérégie, au domaine Entre pierre et terre, pour rencontrer l'auteur de cet intrigant nectar.

La petite municipalité de Franklin, voisine de la frontière américaine, est dans les pommes à ce temps-ci de l'année. Le long des routes 209 et 202, les pommiers aux branches tordues se suivent et ne se ressemblent pas. C'est ici qu'on trouve l'exceptionnel verger biodynamique Maniadakis, de même que le plus gros MacMillan, où l'on peut faire le plein de fruits, bien sûr, mais aussi de cidres de glace, de conserves maison, de beignes décadents et de tartes réconfortantes.

Depuis moins de trois ans, la région en contrebas de la Covey Hill compte un nouveau point d'intérêt. Le doué Loïc Chanut et sa femme, Michelle Boyer, y ont installé leur cidrerie-vignoble. L'oenologue de formation a d'abord travaillé à La Face cachée de la pomme, puis lancé il y a quelques années le domaine des Salamandres, dont il a aujourd'hui vendu ses parts.

Dans son nouveau chez-soi, il a envie d'innover, d'expérimenter, de trouver LE meilleur moyen d'exprimer toute la pureté du fruit. En plus de travailler la pomme, la poire et les bleuets qui se trouvaient déjà en abondance ici, il a planté des gadelles, du cassis, des aronias et même des kiwis pour faire des vins. Ces derniers plants devraient produire en quantité suffisante d'ici quelques années.

Mais avant le fruit, il y a l'arbre, puis sous l'arbre, il y a les racines. «Tout commence par les sols. Ici, on est sur le roc. En montant, on a des limons. Plus loin, il y a des sols sablonneux. Les sols sont très riches parce que, pendant longtemps, ces terres étaient des prairies. Il n'y avait pas de cultures. Les racines se situant entre pierre et terre - d'où le nom du domaine - , elles se gorgent d'éléments minéraux et organiques qui seront ensuite transmis aux fruits. Sans être des ayatollahs de la biodynamie, nous accordons beaucoup d'importance à la santé de nos sols», explique M. Chanut.

Champs d'expériences

Dans une petite portion du verger, il y a une pépinière expérimentale contenant des pommiers à cidre ainsi que des variétés de pommiers et de poiriers non commerciales et donc moins connues. «Nous avons demandé à notre pépiniériste de nous vendre des plants rustiques qui sont résistants aux maladies et dont les fruits ne sont pas bons à manger!»

Pour l'instant, l'artisan travaille avec des McIntosh, de la Cortland et de la Golden Russet. Bientôt, peut-être pourra-t-il faire son cidre avec de la Muscadet de Dieppe? Bref, tout ce dont Loïc Chanut a besoin pour produire ses cidres et ses vins de fruits pousse sur place ou à proximité.

Le vigneron-cidriculteur a une préférence pour les fruits de fin de saison, qui donnent des jus qui ont plus de structure et de complexité. «Je veux faire des choses très digestes, pas trop sucrées.» Jusqu'à maintenant, il réussit plutôt bien. Mais le défi se trouve dans l'élaboration des «recettes». Pour le cidre, il n'y a pas trop de souci. Il a de l'expérience. Mais en matière de vins de fruits, c'est une tout autre affaire.

«Ce n'est pas évident de trouver des informations. Dans mes recherches, je tombe invariablement sur des vieilles recettes de mémères très sucrées.» Le perfectionniste recherche la pureté du fruit avant tout. Il n'est d'ailleurs pas satisfait de ses essais avec le bleuet.

«La difficulté avec les petits fruits, c'est que les sucres ne sont pas assez élevés. La poire, qui est considérée au Québec comme un petit fruit, manque d'acidité. La canneberge et le cassis, eux, sont très acides. Le bleuet est amer. Bref, il y a pas mal de paramètres qui sont déséquilibrés par rapport au raisin. Il faut donc s'adapter à chaque fruit et être très attentif aux macérations. Il faut les bichonner!»

Rester petit

Vers la fin de notre visite au domaine, le vigneron quitte la salle de dégustation pour aller tirer un liquide rouge clair d'une cuve. La couleur est invitante. Le jus, malheureusement, n'est pas encore buvable pour l'instant. Mais ça promet! Au printemps prochain, nous devrions pouvoir goûter au vin de cerise.

Le domaine Entre pierre et terre en est encore aux balbutiements. Les premiers produits ont été vendus en 2012. Tout est fait sur place, dans le bâtiment neuf que les propriétaires ont fait construire en 2011. «Il y avait une vieille grange ici. On aurait aimé la garder et la retaper, mais comme elle avait servi à garder des boeufs, la structure était abîmée. Les bêtes se frottent aux poutres et ça brise tout!», explique l'homme qui est amoureux de la terre.

Pour l'instant, Loïc et Michelle produisent entre 5000 et 6000 litres de liquide par année. Ils font tout, avec l'aide occasionnelle d'un ami pour la commercialisation. «On ne veut pas être gros. On aime vivre en nature et c'est tout. Un ou deux employés nous suffiraient. Moi, je n'aurais aucun problème à être en rupture de stock six mois par année!»

Qui sait, ce jour viendra peut-être.

Où trouver?

Tous les produits sont en vente à la cidrerie.

Entre pierre et terre

1260, route 202, Franklin

450-827-2993

vindefruit.ca

À la SAQ, on trouve le cidre de glace, le cidre pétillant Sexy dog, le cidre pomme-canneberge Pot aux roses (en version un peu plus sucrée qu'au domaine) et bientôt le vin de cassis.