Le fameux baijiu, un alcool blanc chinois à base de céréale considéré comme un breuvage délicat en son royaume, veut conquérir le monde, mais ses puissants arômes et son degré d'alcool digne des pires tord-boyaux risquent fort d'incommoder les palais étrangers.

Le baijiu, qui titre entre 40 et 60% d'alcool, est produit à base de sorgho, de maïs ou de riz. Il se consomme à table, le plus souvent lors de déjeuners ou dîners d'affaires, et se boit cul sec: «Ganbei!» en mandarin.

Les hommes d'affaires européens ou américains invités par leurs partenaires chinois ne coupent pas à la tradition - qu'ils l'ignorent, ou qu'ils l'apprécient, ce qui est plus rare.

Installé en Chine depuis 13 ans, marié à une Chinoise, James Sinclair, confie avoir toujours «essayé d'éviter» le baijiu. «Pour moi, ça a goût de décapant», lâche d'emblée ce consultant britannique de 37 ans.

Le président Mao en avait fait servir à Richard Nixon au cours de la visite historique du président américain à Pékin en 1972. On dit que ses collaborateurs tentèrent vainement de le dissuader de porter le verre à ses lèvres...

Le leader chinois, Wuliangye, appartenant à l'État, a loué en août un des panneaux publicitaires de Times Square, à New York pour se faire connaître.

Boisson nationale d'un pays qui compte 1,3 milliard d'habitants, le baijiu est le spiritueux le plus vendu -en volume- au monde, davantage que la vodka ou le whisky. Mais il reste très largement méconnu en dehors de ses frontières.

C'est pour y remédier que des sociétés non chinoises d'alcools et spiritueux, parmi lesquelles le brasseur britannique Diageo, Moët Hennessy (groupe LVMH), et Pernod Ricard, ont déjà investi dans sa production.

En 2007, Moët Hennessy avait acquis 55% du capital de Wen Jun Distillery, producteur de baijiu de qualité, et Pernod possède une société conjointement avec le groupe Jiannanchun.

Pour ces entreprises, qui se positionnent sur le haut de gamme avec des prix atteignant 120 euros par bouteille, il ne s'agit pas tant de s'assurer une part du marché chinois du baijiu -et d'y faciliter la pénétration de leurs propres marques- que de faire le pari de son exportation.

Diageo entend être pionnier sur ce créneau avec sa marque de luxe, Shiu Jing Fang, rachetée cette année, qu'il prévoit de lancer en Grande-Bretagne et au Japon, a indiqué à l'AFP Lee Harle, responsable des alcools blancs chinois de la firme.

Mais pour plusieurs experts, le pari est loin d'être gagné.

«Quelques consommateurs le boiront par curiosité pour ce qui est nouveau, mais à terme, il sera difficile pour le baijiu de pénétrer les marchés étrangers. Tout simplement parce qu'il contient trop d'alcool», estime ainsi Tan Heng Hong, d'AccessAsia, un organisme de promotion des investissements entre l'Europe et la Chine.

Fort en alcool, et dégageant des parfums pas toujours agréables au nez et au palais profane des consommateurs occidentaux.

Les meilleurs crus sont concoctés avec des levures selon des recettes transmises de génération en génération. Les fragrances vont de «léger à lourd», avec divers arômes dont ceux de riz ou de sauce, qui rappelle la sauce de soja, selon l'expert Paul Mathew, basé à Pékin.

Pour l'adoucir, Diageo a récemment chargé Paul Mathew d'inventer un cocktail à base de baijiu, ce qui a donné le «Shui Jing Fang Grapefruit Sour» («Cocktail de Shui Jing Fang au pamplemousse»), composé de citron pressé, de jus de pamplemousse rose, de sirop de cannelle et de blanc d'oeuf.

Le mélange est la clé, pour James Sinclair. «Le whisky se boit ici (en Chine), mais pour le faire passer, tout le monde le mélange à du thé glacé. Pour le boire, les Anglais ou les Américains devraient peut-être faire pareil», avance-t-il.