L'intérêt pour les vins d'ici n'a jamais été aussi grand. L'été est à peine terminé que déjà, certains vignerons n'ont plus rien à vendre. Beau problème! Portés par ce succès, les artisans du vin québécois se cherchent désormais une nouvelle identité. Cette façon de se démarquer se trouve peut-être dans la vinification d'un cépage commun. Pinot gris? Vidal? Le débat est lancé.

QUEL SERA «LE» VIN QUÉBÉCOIS?

Dans l'État de New York, la jeune région viticole des Finger Lakes a choisi le riesling. Au Canada, la Nouvelle-Écosse mise plutôt sur un assemblage doux et aromatique, appelé le Tidal Bay. À l'image de ces jeunes régions viticoles, les producteurs du Québec cherchent à leur tour une façon de se définir. Si l'idée d'un cépage commun est évoquée, le consensus est loin d'être trouvé.

Depuis que la famille Denault s'est installée dans l'île d'Orléans en 2004, le point de vue pittoresque sur la chute Montmorency n'a pas changé. Mais dans le champ du Vignoble Sainte-Pétronille, les cépages qui poussent ne sont plus tout à fait les mêmes.

Le vigneron Louis Denault a essayé plusieurs variétés hybrides et européennes. Il croit maintenant que l'identité des vins du Québec se trouve peut-être dans le pinot gris.

«Il serait intéressant de l'avoir sur l'ensemble de la province et éventuellement d'en faire le cépage roi. Le pinot gris serait peut-être le cépage qui serait le plus formidable, celui où on verrait le plus de différences entre les régions autant au sud qu'à l'est.»

Originaire de Bourgogne, le pinot gris a un atout de taille pour le Québec: il mûrit tôt. Il crée aussi des styles de vins variés: mousseux, secs ou doux. Enfin, comme la plupart des variétés européennes, il est facile à travailler.

Ce cépage est pour l'instant peu présent dans le vignoble québécois. Selon une compilation annuelle effectuée par le viticulteur Fabien Gagné, il occupe 6 des 471 hectares plantés au Québec. Le chiffre semble faible, mais il est en croissance. De nombreux vignerons ont commandé des plants de pinot gris et en planteront dans les prochaines années.

Le Coteau Rougemont cultive déjà un demi-hectare de pinot gris. Il vinifie les grappes en vin sec et doux. Le directeur des ventes et du marketing du domaine, Louis Dugas, constate que les bouteilles de pinot gris sont faciles à vendre.

«Les consommateurs connaissent et aiment le cépage», dit-il.

Il ne croit pas pour autant que le Québec devrait en faire son vin signature. Il miserait plutôt sur le vidal, un cépage blanc hybride qui reste le plus planté dans la province.

Ode au vidal

Jean Paul Martin conseille une dizaine de vignobles au Québec et il s'occupe de son microdomaine, la Grange Hatley. L'expert affectionne tout particulièrement le riesling. Mais lorsqu'on lui demande quel cépage est le mieux placé pour représenter le Québec, il ne tarit pas d'éloges pour le vidal.

«C'est un cépage complet. On peut le faire en assemblage, en monocépage, en méthode champenoise, de toutes sortes de façons. Il est bien plus polyvalent qu'un chardonnay, par exemple, et en plus, il est peu planté ailleurs que chez nous!»

L'auteure du Guide du vin Nadia Fournier est aussi de cet avis. «Si on investissait autant d'énergie dans le vidal que dans l'exploration d'autres cépages, soutient-elle, il serait une signature intéressante pour le Québec.» La spécialiste croit cependant qu'il sera difficile de choisir un cépage qui convient à tous.

Michaël Marler, vigneron du domaine Les Pervenches à Farnham, souligne la divergence d'opinions parmi les vignerons québécois : certains n'en ont que pour les viniferas (variétés européennes), d'autres préfèrent les hybrides.

Le président des Vignerons du Québec a choisi son camp. Yvan Quirion croit que l'avenir des vins de la province réside dans les vitis viniferas et que chaque région aura son cépage phare. Le vigneron remarque cependant que le pinot gris pourrait créer un lien commun au Québec.

«Le pinot gris sera fort et phare au Québec, ajoute-t-il. Je pense qu'il sera notre chardonnay, celui qui s'adapte à toutes les régions. Mais bon, on verra dans 20 ans!»

Éclatant vidal

Créé en France dans les années 30, le vidal a trouvé une terre d'accueil dans les régions viticoles plus froides comme le Québec. S'il a longtemps été la star des vins de glace, il est aujourd'hui vinifié en vin sec et parfois même en vin effervescent. Au Domaine Les Brome, la cuvée 2017 met en valeur ses arômes de fruits tropicaux et d'agrumes. Son attaque tendue apporte de la nuance à sa bouche légèrement douce. Impossible de se tromper avec des sushis.

Domaine Les Brome Vidal 2017, 17,25 $ (10522540)

Parfum de pinot gris

Le pinot gris jouit d'une grande popularité. Il est planté partout dans le monde. Sur le flanc du mont Rougemont, en Montérégie, il donne un blanc complexe et aromatique. Croquant en bouche, il s'ouvre sur des parfums de citron, de fleurs de trèfle et de noyau de pêche. La finale est persistante et ronde. Il fera un tabac avec la dinde de l'Action de grâce.

Coteau Rougemont Pinot gris 2017, 24 $ (en vente au vignoble)

DE BELLES VENDANGES, MAIS...

La saison estivale a été exceptionnelle pour les vacances au Québec. C'est vrai aussi pour la vigne. Certains vignerons n'ont pourtant pas le coeur à la fête. L'hiver a causé de sérieux ennuis aux variétés dites rustiques, si bien que plusieurs vignobles ont moins de raisins à vendanger.

Sur la Rive-Sud de Montréal, entre Saint-Rémi et Saint-Chrysostome, Fabien Gagné est le plus grand viticulteur du Québec. Vignobles Saint-Rémi ne produit pas de vin. Il vend plutôt ses raisins à d'autres producteurs.

Mais cette année, M. Gagné en a peu à vendre. Ses vignes de frontenac et de sabrevois ont donné à peine 10 % du volume habituel.

«C'est une année catastrophe», déplore-t-il.

Le grand coupable: le redoux de l'hiver. Comme les variétés rustiques peuvent résister au froid, elles ne sont ni protégées avec un géotextile ni enterrées avant l'hiver. Ainsi, lorsque la pluie chaude s'est abattue sur le Québec le 14 janvier et que le mercure a monté à 10 degrés, avant de retomber sous le point de congélation quelques heures plus tard, les vignes non protégées ont considérablement souffert.

À L'Orpailleur, les vignes de frontenac ont elles aussi été touchées.

«Avec les changements climatiques, on risque de voir de plus en plus de dégel en plein hiver, croit le vigneron Charles-Henri de Coussergues. C'est pourquoi je ralentis la plantation de rustique. Plusieurs vignerons vont réfléchir à leur encépagement.»

Les vignes protégées comme le seyval blanc ou le vidal, ainsi que les variétés européennes n'ont pas connu ce problème. Pour ces cépages, la récolte s'annonce de bonne qualité, peut-être même aussi remarquable que celle de 2012.

«Il y a eu peu de maladies, observe l'agronome Gaëlle Dubé. C'était une année assez facile à gérer. Au niveau qualitatif, ça s'annonce très bien.»

Photo fournie par le vignoble Négondos

Le vignoble Négondos

FAIRE LA FILE POUR ACHETER QUÉBÉCOIS

Il n'est pas rare de voir des amateurs de bière faire la file pour mettre la main sur quelques rares bouteilles de microbrasseries québécoises, en particulier celles d'Auval, en Gaspésie. Cet engouement est devenu le même pour quelques vins québécois. Constat et conseils.

Tout près de la station de métro Jarry, à Montréal, le boucher Pascal Hudon se souvient de la file d'attente, devant son magasin, au début du mois de mai dernier. La raison: il venait de recevoir les bouteilles du domaine Pinard et filles.

«En 30 minutes, j'avais tout vendu», relate-t-il.

Pascal le Boucher n'est pas le seul. Au Comptoir Sainte-Cécile, à l'épicerie Butterblume et à la Boucherie dans la Côte à Montréal, certains vins québécois partent comme des petits pains chauds.

«Quand on a commencé il y a 19 ans, il nous fallait toute l'année pour vendre nos 10 000 bouteilles. Aujourd'hui, je n'ai pas assez de bouteilles pour tous mes clients», explique Michaël Marler, du vignoble Les Pervenches.

Outre les vins des Pervenches et de Pinard et filles, ceux du Domaine du Nival et des Négondos sont aussi convoités.

Comment faire pour les acheter? S'abonner à l'infolettre des vignobles est le meilleur moyen de connaître la date de mise en vente et les points de distribution.

Le vignoble Pinard et filles n'offre pas cette option. Le producteur Frédéric Simon annonce quant à lui les dates de relâchement de ses produits sur ses réseaux sociaux comme Facebook et Instagram.

Peu importe la méthode choisie, le vigneron Matthieu Beauchemin, au Domaine du Nival, suggère de ne pas attendre. Une fois que les dates sont annoncées, la course commence!

Photo Olivier Jean, Archives La Presse

Le vignoble Pinard et filles