La conformité de la loi permettant aux vins québécois d'être vendus directement dans les supermarchés sera vraisemblablement mise à l'épreuve auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en vertu d'une plainte déposée par l'Australie contre le Canada dans laquelle le Québec est cité.

Dans une requête passée inaperçue le mois dernier, le pays d'Océanie a demandé à l'organisation internationale établie à Genève de mettre sur pied un groupe spécial afin de se pencher notamment sur les mesures entourant la distribution, les licences et les politiques d'accès au marché canadien du vin.

En plus du Québec, la Colombie-Britannique, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse sont mises en cause dans le document de cinq pages.

« Il apparaît que diverses mesures en matière de distribution, de licences et de ventes, comme des majorations des prix des produits, des politiques relatives à l'accès au marché et à l'inscription au catalogue, ainsi que des droits et taxes sur le vin, appliquées aux niveaux fédéral et provincial, établissaient une discrimination, directement ou indirectement, à l'encontre du vin importé », peut-on lire.

Des consultations ont eu lieu entre les deux pays plus tôt cette année, mais cela n'a pu dénouer l'impasse, ce qui a incité l'Australie à demander officiellement la composition d'un groupe spécial. Lundi après-midi, Québec et Ottawa n'avaient pas répondu aux questions envoyées par La Presse canadienne.

Cette plainte survient plus de deux ans après que l'Australie eut demandé au Canada d'abaisser certaines barrières commerciales entourant la vente de vin - un traitement dont avait bénéficié l'Union européenne.

Dans sa liste de critiques, l'Australie évoque entre autres la loi 88 permettant aux vins québécois de se retrouver dans les quelque 8000 supermarchés de la province sans transiter par la Société des alcools du Québec (SAQ).

« Les vins importés ne bénéficient pas de ce même accès et doivent passer par le système de distribution de la SAQ, système dans lequel ils sont soumis à des majorations de prix et d'autres redevances », fait valoir la demande déposée auprès de l'OMC.

Le document cite également la « prescription » du Québec faisant en sorte que le vin doive être embouteillé dans la province pour être vendu dans les « magasins d'alimentation et de proximité ». L'Australie déplore que ces mesures excluent les vins importés n'ayant pas été embouteillés au Québec.

Selon le rapport annuel de la SAQ pour l'exercice 2017, la part de marché des vins australiens était estimée à 6 %, derrière l'Espagne (8 %), les États-Unis (12 %), l'Italie (24 %) et la France (30 %).

Selon Geneviève Dufour, professeure à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, l'OMC risque fort probablement de donner le feu vert à la mise en place d'un comité qui se penchera sur le litige entre l'Australie et le Canada, ce qui, par la bande, placera le Québec sur la défensive.

Ainsi, « par la voix du Canada », la province devra défendre les raisons pour lesquelles elle a décidé d'offrir un « traitement différent » à ses producteurs viticoles, a estimé la spécialiste des litiges commerciaux internationaux.

« Ici, pour quelle raison nos producteurs locaux n'ont pas à passer par le réseau de la SAQ ? Il ne semble pas y avoir de motifs, outre le fait que l'on désire leur donner un accès préférentiel » aux épiceries et supermarchés, a dit Mme Dufour.

Si les consommateurs voient généralement d'un bon oeil certains avantages octroyés aux producteurs locaux, il n'en reste pas moins que, parfois, ceux-ci contreviennent aux accords internationaux, a rappelé la professeure de droit.

Par courriel, le ministère québécois de l'Économie a répondu que la province comptait poser « tous les gestes nécessaires » pour se défendre, sans commenter davantage, compte tenu qu'un litige est en cours devant l'OMC.

Un porte-parole, Jean-Pierre D'Auteuil, a ajouté qu'actuellement les vins australiens sont vendus au Québec tant dans les succursales de la SAQ que dans le réseau des épiceries et dépanneurs.

« La part de marché occupée par les vins australiens dans les épiceries et dépanneurs représente environ 25 % des ventes dans ces réseaux, a-t-il écrit. Les ventes de vins australiens sont en constante croissance dans le réseau des épiceries et des dépanneurs, alors qu'elles ont connu une augmentation de plus de 30 % au cours des cinq dernières années. »

Il ne s'agit pas du premier litige impliquant le Canada à propos du vin, puisque, l'automne dernier, les États-Unis étaient revenus à la charge contre Ottawa devant l'OMC, alléguant que les mesures adoptées en 2015 par la Colombie-Britannique, qui autorisent ses vignerons à vendre leurs produits dans les épiceries, contreviennent aux règles du commerce international.

Les vignobles en chiffres au Québec (2017) :

- 2,3 millions : nombre de bouteilles produites, en hausse de 33 % sur un an

- 24,8 millions de dollars : ventes en 2017, une croissance annuelle de 33,3 %

- 39,8 % : proportion de la production composée de vin blanc, par rapport à 35,1 % de vin rouge et 16,2 % de rosé

(Source : Association des vignerons du Québec)