Quand Jean-Philippe Lefebvre et ses partenaires ont lancé Rézin, il n'existait pratiquement pas de petites agences d'importation de vin. Vingt ans plus tard, on les compte par centaines. Nous avons voulu en savoir plus sur les origines de la fameuse pastille orange, symbole de qualité pour les oenophiles qui s'arrachent ses cuvées rares et pour les clients de la société d'État accablés par le choix.

C'est dans un cadre on ne peut plus seyant, soit dans un restaurant célébré pour sa cave, le Bistro à Champlain, que Jean-Philippe Lefebvre a découvert sa passion pour le vin. Il y côtoyait l'importateur de grands vins de Bourgogne Pierre Séguin et a fini par y rencontrer ses partenaires d'affaires, Éric Beaudoin et Robert Brodeur (ce dernier a quitté l'agence, puis est revenu récemment pour s'occuper du volet spiritueux).

Dans la jeune vingtaine, Jean-Philippe est parti étudier la viticulture à Beaune, en Bourgogne. Il devait ensuite participer au démarrage d'un domaine dans la vallée du Niagara. Ce projet ne s'est jamais concrétisé.

Des rencontres déterminantes

Pendant les deux années qu'il a passées en France, le futur agent a fait de nombreuses rencontres déterminantes, guidé entre autres par un de ses camarades de classe, l'Américain John Olney. Neveu du grand auteur culinaire Richard Olney, John travaillait à l'époque pour l'illustre importateur Kermit Lynch. Il est vigneron au Ridge, domaine californien, depuis 1996.

Rézin a fêté son 20anniversaire en décembre dernier. Au lendemain des célébrations, nous avons rencontré un Jean-Philippe Lefebvre s'apprêtant à défricher de nouveaux territoires vinicoles à l'autre bout du monde. Le temps de quelques verres, il est revenu sur ses premiers amours vinicoles, ces «moutons à cinq pattes» qui constituent l'ADN de l'agence.

LES VIGNERONS MARQUANTS

Philippe Pacalet chez Prieuré-Roch


Le «patron» de Jean-Philippe à Gevrey-Chambertin, Alain Burguet, l'avait pris sous son aile et le «traînait» partout, y compris dans ses sorties avec Henry-Frédéric Roch, cohéritier du légendaire Domaine de la Romanée-Conti et fondateur du domaine culte Prieuré-Roch. «Il y a un gars à Nuits-Saint-Georges qui fait du vin sans soufre», selon une rumeur qui courait alors en Bourgogne. Ce «gars», c'était Philippe Pacalet, dernier élève de Jules Chauvet, considéré comme le «père des vins naturels». «C'était une tout autre expression de la Bourgogne, qui avait la couleur d'un poulsard du Jura», se rappelle Jean-Philippe. Malheureusement, un Nuits-Saint-Georges jugé «atypique» par les laboratoires de la SAQ, en 1999, a mis fin à la collaboration entre le domaine et Rézin. L'agence Glou a repris l'importation il y a quelques années.

André Ostertag

C'est à ce vigneron alsacien que Jean-Philippe revient toujours lorsqu'il a besoin de se recentrer, de se rappeler ce qu'il aime dans le vin. «C'est le phare, le modèle à penser. Il est allé dans certains travers. Il est revenu. Il s'est beaucoup remis en question.» C'est à l'occasion d'un souper de Noël chez Becky Wasserman, célèbre exportatrice de vin installée en Bourgogne depuis 1968, qu'il a découvert les vins d'Ostertag. «Mon oeil avait été attiré par une boîte contenant six petites bouteilles couvertes de terre. Elle provenait d'une des gammes plus rares d'André, les "vins de temps". André, c'est un poète.»

Jean Foillard

«Le Morgon Côte de Py de Foillard est le vin qui m'a fait réaliser qu'il y avait autre chose que Duboeuf, Mommessin et Jadot dans le Beaujolais.» C'est un des premiers vignerons qu'il est allé visiter quand l'idée de l'agence est née, autour de 1993-1994. Plusieurs cuvées de Foillard sont maintenant sur les tablettes de la SAQ, dont la magnifique Corcelette et le plus accessible Beaujolais générique, une cuvée - et une étiquette - élaborée en collaboration avec Rézin. Ont suivi Marcel Lapierre, Georges Descombes et Yvon Métras, trois autres légendes du Beaujolais.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Philippe Pacalet chez Prieuré-Roch

Marcel Richaud

«On allait en vacances "en famille" à Rasteau avec mon patron, Alain Burguet. Parmi les invités, il y avait son importateur belge, qui avait apporté un "vulgaire" vin du Vaucluse. Encore une fois, contre toute attente, j'ai eu un coup de coeur. J'étais habitué à du grenache hyper concentré et alcoolisé. Je n'en revenais pas qu'on réussisse à faire un vin aussi digeste dans des conditions méridionales.»

Edmond Vatan

Le «père Vatan» est l'un de ces «dinosaures» qui ont alimenté le prestige de Rézin. «Quand j'ai visité sa vieille cave poussiéreuse pleine de toiles d'araignées, j'ai compris qu'on pouvait vraiment faire du vin à l'abri de l'oenologie moderne», raconte Jean-Philippe. Pendant plusieurs années, l'agent québécois a réussi à obtenir 250 des 4000 bouteilles produites par année. Aujourd'hui, c'est la fille, Anne-Vatan Foucault, qui s'occupe de la précieuse parcelle des Monts Damnés, en Sancerre. Les vins du Domaine Edmond Vatan ne sont plus importés au Québec.

Sky

Alors qu'il est sans famille en France, entre Noël et le jour de l'An, Jean-Philippe se fait inviter chez l'oncle de son ami John Olney. Richard Olney (1927-1999) était un grand auteur culinaire d'origine américaine, qui possédait une maison en Provence. «On fait les courses à Toulon, l'environnement est extra, on mange comme des rois. Puis John et moi descendons à la cave. Nous pouvons choisir n'importe quelle bouteille. Il y a un Cheval blanc 1947, des bourgognes de chez Ponsot et toutes sortes de trésors. John choisit une bouteille de Sky, un obscur vignoble californien. Je veux le tuer! Mais lorsqu'il l'ouvre, je tombe complètement des nues. "Ça, ça existe quelque part en Californie?"» À son retour au Québec, Jean-Philippe s'organise pour ajouter les zinfandels de Sky à son portfolio.

En commande privée

Domaine du Jaugaret

«C'est le vigneron qui m'a réconcilié avec Bordeaux. Son vin m'avait été servi à la table d'un de mes fournisseurs de Loire, à Saumur, avec la mention: voici quelque chose qu'on ne goûte pas souvent...» C'était un bordeaux quasi naturel, on ne peut plus artisanal, du minuscule Domaine de Jaugaret, sur 1,3 hectare de vignes. Le vigneron, Jean-François Fillastre, fait du vin un peu comme le père Vatan, dans une vieille cave rustique. Il utilise le moins de chimie possible à la vigne comme dans le chai et insiste même pour coller ses vins (étape qui élimine les particules en suspension) avec le blanc des oeufs de ses propres poules!

En commande privée

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marcel Richaud