Champagne brut ou rosé? Les consommateurs, et pas seulement les femmes, ont tendance ces dernières années à privilégier la couleur, de l'or rose au grenadine vif.

Simple effet de mode? Plus seulement.

La Champagne produit et vend de plus en plus de rosé, passé en quelques années d'un statut «bâtard» à un positionnement «à part», souligne le chef de cave de Pommery, Thierry Gasco.

Depuis dix ans, il est en croissance continue, souligne l'oenologue. Toutes les grandes maisons s'y sont mises ou ont accentué cette production. Et malgré quelques préjugés tenaces, dédaigneux de leur qualité ou misogynes (c'est réservé aux femmes), «de plus en plus d'amateurs, y compris les hommes, ont accepté que le rosé existait en tant que tel».

Le rosé «a un attrait supplémentaire», confirme François Domi, chef de cave depuis 26 ans chez Billecart-Salmon, mondialement réputé pour ses rosés. «Ça ajoute une couleur sur la table et ça adoucit l'image du champagne, ça le rend plus aimable», explique-t-il lors d'une visite de ses cuves à Mareuil-sur-Ay.

La maison, fondée au début du XIXe siècle, produit entre 1,5 et 2 millions de bouteilles par an, dont 60% à l'étranger. Son rosé, qui représente moins d'un tiers de la production, est composé des trois cépages de la Champagne (chardonnay, pinot noir et pinot meunier) assemblés à moins de 10% de vin rouge.

L'assemblage avec du rouge est la méthode dominante en Champagne, seule région de France autorisée à produire ainsi du rosé.

François Domi cherche ainsi à doser le vin rouge en fonction «de la couleur, du parfum désiré, et éviter les tannins astringents». Au final, il vise un vin évoquant les fruits secs, une touche de fraise, mais tout cela «suggéré, plutôt que dit».

«Blanc de rose»

Quelques vignerons champenois, ultra-minoritaires, choisissent de faire du rosé comme on en fait dans toutes les autres régions françaises, à savoir en laissant macérer, plus ou moins longtemps, la peau des raisins avec le jus.

Cette méthode, baptisée «rosé de saignée», produit des résultats plus explicites, selon M. Domi. Elle apporte «plus de puissance, les arômes sont plus marqués, plus percutants». Or, chez Billecart-Salmon, considéré par de nombreux sommeliers comme l'un des meilleurs rosés champenois, on recherche «la subtilité, la délicatesse».

À l'opposé, les partisans de la «saignée» ne jurent que par elle.

Pour Jean-Baptiste Geoffroy, qui produit dans la vallée de la Marne 120 000 bouteilles par an, dont 20% de rosé (contre une moyenne de 8 ou 10% chez ses voisins), «un rosé de saignée, au niveau du goût, c'est le jour et la nuit» avec un rosé classique.

Son rosé, de couleur soutenue et 100% pinot noir, il l'aime «friand, explosif, sur les petits fruits rouges». «Jeune, un rosé doit avoir du punch», estime le quadragénaire, affirmant que la «saignée» permet d'extraire «plus de fruit».

«Ce que je reproche aux rosés d'assemblage, c'est que beaucoup sont, en goût, quasi identique au champagne blanc. Et aussi quand on mélange le blanc et le rouge, on n'obtient jamais une unité parfaite, la pointe de vin rouge tannique manque d'harmonie avec le blanc».

Chez lui, il reconnaît qu'à la dégustation, «soit les clients adorent, soit ils détestent, surtout s'ils ont des clichés dans la tête et qu'ils attendent un rosé au goût de blanc ou hyper léger».

M. Geoffroy a récemment mis au point un nouveau style de rosé, juste 2.000 bouteilles pour l'instant, obtenu à l'issue d'une co-macération de chardonnay et de pinot noir. «Personne ne l'avait tenté», sourit-il. Le résultat, un vin floral, minéral, plus fruit exotique que fruit rouge, baptisé «Blanc de rose».