Six mois sans skier. Mikaël Kingsbury n’avait pas vécu cela depuis l’âge de 15 ans. Après cinq jours sur les planches en Suisse, il a pratiquement retrouvé le niveau qui en fait le meilleur bosseur de l’histoire. Bonne chance à ses adversaires.

La montre de Mikaël Kingsbury indique 1663 m d’altitude. Il est dans le village de Zermatt, en Suisse. Autour de son appartement, le décor est tout vert. Ce n’est pas le cas 2000 m plus haut.

Depuis une semaine, la tempête fait rage sur le Cervin. Près de deux mètres de neige sont tombés sur le glacier. Les rafales dépassent parfois les 80 km/h. Les dernières gondoles pour atteindre le sommet de la station sont donc fermées. Et la seule piste de bosses ouverte dans le monde, inaccessible.

Arrivée le 21 septembre, l’équipe canadienne n’avait eu droit qu’à cinq journées d’entraînement en ski jusqu’à mercredi dernier. Pas idéal quand on n’a pas touché à la neige depuis six mois.

Kingsbury n’avait pas vécu une telle interruption depuis l’âge de 15 ans. Sans parler de craintes, il avait ses appréhensions. Celles de mettre un certain temps avant de retrouver ses sensations, sa vitesse et son synchronisme. De ne plus aussi bien composer avec les impacts.

Alors ? « Ça a pris moins de temps que je pensais !, a constaté le meilleur skieur de bosses de l’histoire. Je suis content. Je n’ai pas fait beaucoup de volume, mais mon feeling est vraiment bon. Ça paraît bien aussi sur les vidéos. »

Je ne suis pas… En fait, ouais : je suis agréablement surpris, à quel point reprendre mon sport, c’est comme rembarquer sur un vélo.

Mikaël Kingsbury

Kingsbury s’était promis une chose : ne pas sauter d’étape. La première Coupe du monde est prévue les 4 et 5 décembre, en Finlande. L’équipe tiendra un stage préparatoire en Suède à partir de la mi-novembre. Rien ne presse.

Avant d’atterrir en Suisse, il s’était donc donné des objectifs quotidiens, qu’il a systématiquement atteints. « Après cinq jours, j’ai presque repris là où j’ai laissé à la dernière Coupe du monde », a-t-il noté.

Il a eu le temps de « dépoussiérer » quelques éléments techniques. Il a même sorti sa nouvelle paire de skis de 182 cm, soit 10 de plus que ses planches de compétition. Il s’en sert pour fluidifier sa décélération à l’approche d’un saut. Il en parle avec beaucoup d’enthousiasme.

Le 7 mars, avant l’arrêt de la saison en raison de la pandémie, Kingsbury a remporté un duel à Krasnoïarsk, en Russie. Déjà assuré d’un neuvième globe de cristal consécutif, il a ainsi signé une septième victoire en 10 départs. Les trois autres fois, il avait terminé deuxième.

Un modèle à suivre

Déjà maniaque du gymnase, l’athlète de Deux-Montagnes a profité des derniers mois pour se renforcer. L’interruption des voyages lui a fourni une stabilité et des périodes de repos qu’il n’avait jamais connues. Il a battu des records personnels au squat, au développé couché, de puissance sur le vélo et à plein d’exercices imaginés par son préparateur, Scott Livingston.

À 28 ans, il se dit carrément dans la forme de sa vie. « Je me sens plus fort des jambes. Mon corps récupère plus vite aussi. C’est drôle parce que les athlètes disent qu’en vieillissant, ils ont plus mal. Oui, mon corps s’en ressent, mais mieux je l’entraîne, plus longtemps je serai capable de skier. Pas juste de skier, mais skier à 100 % sans créer de blessure. »

Kingsbury a réitéré son envie de prolonger sa carrière au-delà des Jeux olympiques de Pékin, en 2022. Il cite l’exemple du tennisman Roger Federer, « au sommet de son art à 38, 39 ans ».

Quand [Federer] décide de prendre part à un tournoi, il paraît top shape. Il est capable de gagner des matchs marathons. C’est un bon modèle pour moi.

Mikaël Kingsbury

Dans sa bulle

À Zermatt, Kingsbury loge avec ses coéquipiers Laurent Dumais, Gabriel Dufresne et Elliot Vaillancourt. Le quatuor compose « une bulle dans la bulle » avec le reste du contingent canadien. La trentaine d’athlètes, entraîneurs et membres du personnel de soutien est dispersée dans sept unités. De cette façon, si un cas de COVID-19 était détecté, ceux qui évoluent dans les autres bulles ne seraient pas obligés de se mettre à l’arrêt.

Sinon, le masque et la distanciation sont de rigueur dans tous les endroits publics. « En Suisse, c’est pas mal plus smooth qu’au Québec présentement, a remarqué Kingsbury. Dans l’équipe canadienne, on a un protocole à suivre vu qu’on est plusieurs athlètes. On veut se donner le plus de chances possibles de monter sur la montagne. »

Faute d’accès à un gymnase, la préparation physique s’effectue sur un terrain de soccer extérieur ou à l’intérieur des condos en cas de pluie.

Pour le moment, la saison 2020-2021 est maintenue en l’état, avec neuf épreuves de bosses en Coupe du monde et les Championnats du monde de Zhangjiakou, en Chine, compétition-test pour les JO de Pékin.

Avec la situation sanitaire actuelle, la tournée nord-américaine (Mont-Tremblant, Calgary et Deer Valley, en janvier et février) paraît plus vulnérable, mais Kingsbury est « optimiste ». Qui sait si la quarantaine à laquelle devraient se soumettre les visiteurs ne favoriseront pas les athlètes locaux, a-t-il souligné.

Ils vont trouver une façon de créer un horaire qui sera complètement différent, mais qui finira par fonctionner en fin de compte.

Mikaël Kingsbury

Le sommet, rien de moins

Le champion olympique se prépare à « recevoir des balles courbes » durant tout l’hiver. S’il refuse de regarder trop loin – « une course à la fois » – il continue de placer la barre très haut. « Si je peux garder un bon ratio [de victoires] de près de 80 % en montant, ce serait mieux, par exemple, que la saison passée où j’avais gagné 7 [courses] sur 10. Ce ne sera pas facile, mais j’ai confiance. »

En 109 départs de Coupe du monde, il a obtenu 63 victoires (58 %) et 91 podiums (83 %).

Les attentes sont aussi très claires pour les Mondiaux en Chine, où la neige artificielle lui a toujours souri.

J’ai appris à skier à Saint-Sauveur sur de la neige à canon. Je suis un des meilleurs sur cette neige en ski de bosses, sinon le meilleur. J’ai réussi le doublé aux derniers Championnats du monde [en 2019]. Je ne vise rien en dessous de ça.

Mikaël Kingsbury

En théorie, Kingsbury doit rentrer du Valais samedi. Si la météo s’annonce clémente, il prolongera un peu son séjour pour compenser le temps perdu.

À son retour, il se placera en quarantaine au chalet familial de Saint-Sauveur, où il est bien équipé pour l’entraînement.

Kingsbury sympathise avec les citoyens des régions de Montréal et de Québec, durement touchés par les restrictions de la pratique sportive. Le sort des jeunes l’interpelle particulièrement. « J’ai été ce petit gars sportif qui avait besoin de bouger pour se concentrer à l’école. Je trouve ça dommage. Je suis avec eux à 100 %. »

Tant que ça ne dure pas six mois…