L’ouverture des Jeux olympiques ? Un plateau plus relevé ? Une meilleure vitrine ? Un plus grand intérêt ? C’est un peu tout ça qui fait en sorte que la boxe féminine connaît l’essor qu’elle connaît présentement, selon Danielle Bouchard, une pionnière du sport.

« Ça me fait tellement plaisir d’entendre qu’on pense qu’il manque un combat féminin sur une carte ! Ça veut dire qu’on est rendu là où on voulait presque être. C’est-à-dire qu’on est rendu avec une grande visibilité. On est rendu avec des galas et une qualité de boxe féminine impressionnante », a déclaré Bouchard, qui entraîne maintenant plusieurs femmes, dont Kim Clavel.

Bouchard a boxé chez les professionnelles au tournant des années 2000, alors que c’était pratiquement un acte de foi.

« À mon époque, il fallait presque souhaiter que quelqu’un se blesse pour que je puisse embarquer sur une carte ! Je ne souhaitais malheur à personne, mais mon bonheur se trouvait là-dedans, a noté Bouchard. On n’est plus là du tout. »

Bouchard a livré son dernier combat le 3 juillet 2008, à Buenos Aires, en Argentine. Elle s’est inclinée par décision unanime devant Marcela Elenia Acuna pour le titre des super-coqs de la World Boxing Association. Ce revers a porté sa fiche à 9-2-1, avec un K.-O.. Après avoir livré tous ses combats sauf un au Canada, elle a dû s’exiler pour le plus important duel de sa carrière.

Les temps ont bien changé : le week-end dernier, au Madison Square Garden, cinq des neuf combats à l’affiche du promoteur Eddie Hearns étaient féminins, dont la finale et la demi-finale, deux combats d’unification chez les plumes (Amanda Serrano face à Erika Cruz) et les super-plumes (Alycia Baumgardner contre Elhem Mekhaled) avec un total de 10 ceintures à l’enjeu.

« Ceux qui ont vu les combats du gala de samedi ont vu toute une boxe, a relevé Bouchard. Alycia Baumgardner boxe comme un homme et ce n’est pas péjoratif quand je dis ça : les hommes ont toujours été notre modèle. C’est ce qu’on voit présentement et les gens se déplacent pour voir ça. […] Il y a cet engouement qui s’est développé, en raison de la qualité de la boxe offerte.

« Tout ça concorde avec l’arrivée de la boxe féminine aux Jeux olympiques (à Londres, en 2012). J’ai toujours dit à Stéphan (Larouche, son conjoint, mais aussi un entraîneur de boxe de champions du monde, incidemment) que lorsque les meilleures, les médaillées d’or olympiques, allaient passer chez les pros, alors il allait y avoir un engouement. Des filles comme Claressa Shields, Katie Taylor allaient être suivies et c’est exactement ce qui se produit présentement. »

Plus la qualité est là, plus la demande est forte. Plus la demande est forte, plus les bourses sont importantes.

« Les athlètes voient l’opportunité de passer chez les pros et de devenir une vedette au même titre qu’un boxeur peut le devenir. Avec ça vient la perspective de toucher des bourses supérieures. Plus c’est vendeur, plus les bourses des boxeuses vont ressembler à celles des hommes. C’est comme ça, c’est un “business”. Tout ça fait en sorte que plus de filles vont passer chez les professionnelles. »

La boxe féminine profite évidemment de son inclusion dans les galas « masculins ». Avant New York le week-end dernier, il y a eu Londres à la fin de 2022. Il faut inclure les galas de Groupe Yvon Michel et Eye of the Tiger Management à cette liste, eux qui ont récemment tenus des combats de championnat du monde féminin en finale de leurs évènements.

« Tu en as pour tous les goûts. Il y a des gens qui ont découvert la boxe féminine et qui sont plus intéressés par ça. Pour d’autres, c’est le fait d’avoir les deux volets qui les encourage à se déplacer, a souligné Bouchard. De combiner les deux ensemble dans les mêmes galas, c’est merveilleux pour les spectateurs et les téléspectateurs qui veulent voir de la boxe féminine, de la boxe masculine, ou de la boxe tout court. Je pense que c’est vendeur.

« Ça a pris du temps : avant, quand on avait un combat féminin sur une carte c’était une grosse affaire. Maintenant, on est rendu pratiquement avec la parité dans les galas. Ça permet à des filles qui sont en boxe amateure depuis longtemps de se dire que si elles passent chez les professionnelles, alors elles vont se battre. […] C’est aussi le jeu de l’offre et la demande : il y a une volonté de voir de la boxe féminine, donc les promoteurs vont en ajouter à leurs cartes. »

Les règles maintenant

Prochaine étape pour la boxe féminine ? Arrimer ses règles à celles de la boxe masculine, juge Bouchard. Les femmes disputent des rounds de deux minutes et un maximum de 10 rounds, même en championnat du monde (les hommes se battent sur 12 rounds de trois minutes en de telles occasions).

« En boxe amateure, c’est sur trois minutes, a expliqué Bouchard. J’ai même répondu à Lou DiBella sur Twitter qui souhaitait que ça reste à deux minutes, car il juge que c’est plus excitant, qu’il y a moins de temps mort. Ça m’a secouée. J’aimerais ça que ce soient les femmes qui décident. J’aimerais entendre ce qu’elles pensent de ça. Mais je le sais ce qu’elles pensent : on veut du trois minutes.

« Ce n’est pas vrai que de passer à trois minutes va faire en sorte que nous aurons des combats plates ou moins intenses. J’en vois des combats professionnels féminins et je vois des combats amateurs de trois minutes : ce n’est pas moins actif. L’autre bémol, ce qui est très désagréable pour nous les entraîneurs, c’est que les boxeuses amateures et professionnelles s’entraînent ensemble et qu’on est toujours confrontés à la durée des rounds. Quand on s’approche d’un combat professionnel, on travaille sur deux minutes ; un combat amateur, sur trois. On doit toujours s’ajuster par rapport au temps, ce qui est tout de même très important à l’entraînement », a-t-elle poursuivi.

« L’autre tendance également, c’est que comme chez les hommes, les boxeuses professionnelles ont maintenant le droit de tenter de se qualifier pour les Jeux olympiques. Donc, c’est curieux de dire que tu es une boxeuse professionnelle qui boxe sur deux minutes avant de rembarquer dans le système amateur pour te qualifier sur trois minutes. Chez les hommes, on ne se casse pas la tête, c’est trois minutes. Je trouve que c’est très incohérent », a-t-elle réitéré.

Pourquoi en est-il ainsi ?

« Ce sont des hommes, pas nécessairement jeunes, qui ont pris la décision en notre nom. J’aimerais bien que ce soit des femmes qui en discutent. C’est drôle, les Claressa Shields de ce monde souhaitent voir les femmes se battre trois minutes et sur 12 rounds dans les combats de championnat. Ce débat a encore sa place. »

En attendant, que ce soit sur deux ou trois minutes, les amateurs de boxe n’en ont que davantage à se mettre sous la dent.