(Shawinigan) Camille Estephan semblait avoir essuyé des coups aux flancs tandis que les boxeurs défilaient à ses côtés dans la salle de conférence de presse, tôt samedi, au Centre Gervais Auto de Shawinigan.

Même si deux de ses têtes d’affiche l’avaient emporté, le promoteur d’Eye of the Tiger Management (EOTTM) ne pouvait que constater l’évidence : le gala ne s’était pas déroulé comme prévu, mais alors pas du tout.

Mary Spencer, celle qui paraissait prête à se mesurer à l’élite mondiale dès 2023, a subi une défaite sans équivoque face à la Belge Femke Hermans, qui a obtenu la faveur des trois juges pour mettre la main sur la ceinture de championne mondiale des super-mi-moyennes de l’IBO.

PHOTO VINCENT ETHIER, FOURNIE PAR EYE OF THE TIGER

Mary Spencer

« J’ai maintenant 38 ans et une expérience de vie est tellement plus précieuse que lorsque j’avais 22 ans et qu’une défaite me donnait l’impression que c’était la fin du monde, a-t-elle entamé. Je comprends maintenant que je dois penser à ce que j’ai fait, pas fait et ce que je ferai mieux la prochaine fois. Ce n’est absolument pas le résultat que je voulais, je suis fâchée ! En même temps, c’est comme si j’avais une perspective de vie différente. Je vais donc apporter cela avec moi et voir comment je compose avec cette défaite et revenir. »

Même si elle n’en gardait pas un souvenir précis, la Montréalaise a admis avoir été « ébranlée » par la gauche qui l’a envoyée au tapis au deuxième assaut, sans que l’arbitre lui donne un compte, jugeant qu’elle avait plutôt glissé.

Il n’y a rien de honteux à dire cela. J’ai été ébranlée et ça m’a pris du temps à reprendre mes esprits. Une boxeuse peut sentir cela, même si j’ai essayé de le cacher dans le ring et de faire comme si tout était cool. Son expérience lui a permis de le noter, j’imagine.

Mary Spencer

Spencer a ensuite philosophé sur la notion de défaite : « La vérité, c’est que je n’aime pas perdre. Qui aime perdre ? En même temps, qui traverse la vie sans perdre ? Ce n’est pas une bonne sensation de penser que tu ne peux pas perdre, n’est-ce pas ? Car qui vit une vie comme ça ? »

« Je me souviens de ma première défaite amateur. C’était rafraîchissant parce que je sentais que je ne devrais pas perdre, je ne peux pas perdre et puis j’ai perdu et c’est arrivé au début de ma carrière. Cela vous montre quelque chose sur la vie et j’étais une adolescente, je venais de commencer la boxe. C’était une leçon importante à l’époque. Maintenant, je connais la chanson, je suppose. »

Refusant les excuses, l’Ontarienne d’origine a néanmoins révélé ne pas s’être sentie à son mieux dans les dernières semaines, craignant de contracter la grippe qui courait à son gym. Quant à la pression d’être la tête d’affiche locale d’un gala, elle a assuré que cela ne l’avait pas affectée.

Camille Estephan n’en était pas aussi certain. « L’ampleur de l’évènement, de la finale… les choses sont arrivées tellement vite, même elle ne pensait pas qu’on puisse faire ça aussi vite, a noté le président d’EOTTM. Alors je crois qu’elle s’est fait embarquer. On a vu à quel point elle était déchaînée au premier round. Ce n’est pas la façon de gagner de grands combats contre de bons adversaires. L’occasion était très grosse et je pense qu’elle s’est emportée. C’est mon opinion. »

En s’asseyant à la table, Hermans, les yeux remplis d’eau, a pris quelques secondes pour savourer l’ampleur du moment, elle qui enlevait le deuxième titre mondial de sa carrière.

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Femke Hermans

La Belge a rappelé comment il était ardu de se développer dans un sport mal valorisé dans son pays.

« Devenir championne du monde, c’est incroyable, a déclaré le nouveau monarque de l’IBO, en pleurs. En Belgique, c’est très très difficile d’être boxeuse, surtout féminine. Je dois travailler à temps plein. Chaque fois, tout le monde me dit que je ne vais pas gagner un championnat à l’extérieur de la Belgique. Mais j’ai gagné en Allemagne. Maintenant, je suis venue ici et j’ai gagné et je vais continuer. Je veux juste montrer qu’on a du talent en Belgique et que boxeuse professionnelle, c’est quelque chose, et qu’on peut devenir de vraies athlètes. »

Spencer dirait oui à une revanche et Estephan a réitéré sa volonté de la soutenir, mais Hermans a rappelé qu’il n’y avait pas de clause le stipulant dans le contrat. « On doit continuer la route et voir ce qui se passe. »

« Pas honorable »

Le poids lourd Arslanbek Makhmudov (15-0, 14 K.-O.), lui, a rempli sa part du contrat en démolissant Michael Wallisch, qui a mis le genou au tapis trois fois au premier round. L’Allemand a déclaré forfait avant la reprise, apparemment blessé à une épaule.

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Michael Wallisch reçoit une droite d’Arslanbek Makhmudov au premier round.

« Honnêtement, je suis très déçu parce que j’ai l’impression qu’il ne s’est pas battu, a soupiré Estephan. Je dois le payer, mais je me sens comme si on s’était fait avoir. Le gars a mangé quelques coups de poing qui lui ont fait vraiment mal. Il s’est dit : « Je n’ai pas d’affaire là. » Ce n’est pas honorable. »

Malgré sa victoire, Makhmudov s’en voulait de s’être laissé emporter par ses émotions alors qu’un coup derrière la tête lui a fait perdre un point.

« Ce n’est pas seulement la bagarre, c’est tout le travail et la préparation qu’il y a derrière. J’étais tellement affamé et émotif que j’ai commis une erreur. Mais lui aussi m’a cogné derrière la tête. »

Son entraîneur Marc Ramsay souhaitait un défi plus important que ce que Wallisch a pu offrir. « J’espérais vraiment avoir plus de rondes de travail et d’opposition. Mais honnêtement, il l’a cogné rapidement fort. J’ai vu tout de suite son expression faciale et les jambes lâcher. Je comprends que pour un boxeur, quand tu peux fermer un dossier, tu le fermes, il n’y a pas de chance à prendre. Ce n’est pas par rapport à Arslanbek, mais j’aurais aimé que ça se passe autrement. »

Estephan a maintenant le mandat de trouver un nouvel opposant de calibre à son gros poids lourd.

En dépit de son succès par décision unanime face au coriace Américain Joshua Conley, Steven Butler (32-3-1, 26 K.-O.) en est un autre qui affichait sa déception à la table de conférence.

« Il travaillait bien, mais j’ai peut-être travaillé un peu de travers, s’en est voulu le Montréalais. C’est le genre de victoire où je peux mettre des outils dans mon coffre à expérience, mais on n’en veut plus des victoires comme ça. Et pas nécessairement parce qu’on n’a pas eu le K.-O. […] On a gagné, on va se contenter de ça, mais moi et mon équipe, j’en suis certain, on n’est pas satisfaits de cette performance globale. »