(Mont-Tremblant) Étonnamment, la vie de Laurence St-Germain n’a pas réellement changé depuis qu’elle est devenue championne du monde.

« Il y a des collègues dans mes projets scolaires à qui je dis que je pars souvent faire du ski, qui me demandent si je fais du ski de haut niveau… », lance St-Germain, attablée au deuxième étage du chalet des voyageurs, au pied du mont Tremblant.

Et lorsque ses coéquipiers de Polytechnique lui posent cette question, St-Germain n’en fait pas de cas. Et sans prétention, elle répond juste : « Quand même. »

Pourtant, St-Germain a confirmé sa place parmi les meilleures skieuses la saison dernière. Lors des Championnats du monde de Courchevel, en février, l’athlète de 29 ans a gagné un titre mondial en slalom ; aucune Canadienne n’avait réussi cet exploit depuis Anne Heiggtveit en 1960.

Puis, au-delà de ce triomphe pour le moins inattendu, St-Germain a aussi conclu le calendrier des coupes du monde avec aplomb avec notamment une cinquième position à Äre, en Suède, et une septième place à Špindlerův Mlýn, en République tchèque.

Laurence St-Germain est en train de devenir la skieuse qu’elle a toujours rêvé d’être.

Même si son sacre a eu lieu il y a neuf mois, entendre « championne du monde » avant son prénom a toujours le même effet. « Mes coéquipières m’appellent comme ça aussi pour me taquiner. Elles savent que ça me gêne un peu. »

Parfois, je conduis toute seule et je pense à ma saison et quand je pense au fait que je suis championne du monde, ça n’a vraiment pas de sens. Parfois, je vois ma médaille et c’est encore spécial.

Laurence St-Germain

Mais l’athlète de Saint-Ferréol-les-Neiges devra s’y faire. Comme le titre de président américain, celui de championne de monde reste apposé à côté du nom de celle l’ayant obtenu. Pour l’éternité. Et personne ne pourra le lui enlever.

Cette médaille d’or acquise durement restera pour elle une fierté, évidemment, mais surtout la certitude de ne pas avoir fait tous ces efforts en vain. Si jamais elle ne remonte plus jamais sur le podium, elle pourra toujours se consoler avec le fait qu’en février 2023, en Savoie, elle aura été la meilleure slalomeuse au monde.

« J’aurais été un peu déçue si je n’avais jamais eu de médaille, mais j’étais déjà à un point dans ma carrière où j’étais fière de ce que j’avais accompli. […] J’aime le ski alpin, c’est ma passion, mais si j’étais obligée d’arrêter demain matin, je serais fière moi. »

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Laurence St-Germain avec sa médaille d’or des Championnats du monde de ski alpin

Pression et constance

Or, St-Germain amorcera samedi sa huitième saison sur le circuit de la Coupe du monde, à Levi, un endroit où elle a souvent bien fait.

La principale différence entre ce début de saison et les sept précédents est la conviction de pouvoir gagner. « Ça va m’ajouter un peu de pression personnelle. »

Ce goût pour la victoire l’a toujours habitée. Mais depuis qu’elle y a goûté, et qu’elle y a pris goût, impossible pour elle d’être rassasiée. Elle aura besoin de sa dose pour être complètement heureuse et satisfaite.

Mais si elle veut à nouveau grimper sur la plus haute marche du podium, c’est pour s’abreuver de la victoire en toute connaissance de cause. Elle veut en profiter et mordre dans chaque instant. En France, elle admet avec un peu de regrets de ne pas avoir saisi complètement l’immensité du moment, submergée par l’émotion. « J’y ai goûté en étant tellement sur l’adrénaline qu’il y a des choses de cette journée dont je ne me souviens même pas. On dirait que je veux le revivre pour être consciente de ce qui se passe. »

Bien entendu, avec sa fin de saison, ses objectifs sont renouvelés et même accentués.

Je sais ce que ça me prend et dans quel état d’esprit j’étais au départ et dans ma préparation cette journée-là. Je pense que je suis dans une bonne position pour le reproduire, donc mes objectifs sont plus élevés.

Laurence St-Germain

Elle sait bien, dorénavant, qu’au sommet de sa forme, elle peut être la meilleure. Dans une bonne journée, elle peut se bagarrer pour l’or contre les plus grandes skieuses de son époque. L’idée, maintenant, est de connaître une bonne journée le plus souvent possible.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Laurence St-Germain à l’entraînement

La bonne nouvelle, croit St-Germain, c’est qu’à son retour sur la neige au mois d’août, ses sensations étaient les mêmes. Rien ne semblait avoir changé depuis le camp d’entraînement de l’équipe canadienne à Tremblant à la fin de l’hiver. « Ça me met vraiment en confiance », précise-t-elle.

Entre la volonté d’être constante et la nécessité de ne pas se laisser ronger par la pression personnelle, St-Germain aura comme plus grand défi pour la saison 2024 de skier pour la victoire, sans trop penser à la victoire.

Une sorte de dilemme cornélien auquel les plus grands champions doivent faire face un jour ou l’autre. Et ce moment est venu pour la Québécoise.

L’été dernier, Mikaela Shiffrin a révélé dans une balado être incapable de gagner si elle pense à la victoire en haut de la montagne avant de s’élancer. Et que ses plus grands triomphes sont survenus lorsque la quête de l’or à tout prix quittait son esprit.

St-Germain a constaté la même chose : « [Le titre de championne du monde] était zéro dans mes objectifs. C’était un but, mais je ne savais pas quand ça allait arriver. […] Ce qui a fonctionné aux Championnats du monde, c’est que je n’ai jamais pensé à ma médaille. »

Mais comme un artiste au lendemain de critiques dithyrambiques, St-Germain retourne au boulot avec le sentiment de pouvoir bien faire. Même si son but restera toujours de mieux faire, il est difficile de rêver mieux lorsqu’on est déjà au sommet du monde.