Grâce à sa polyvalence, sa constance et cette manière de skier qui lui a permis d’influencer son sport, Mikaela Shiffrin était déjà considérée comme la plus grande skieuse de l’histoire. Maintenant, c’est officiel, sur le plan statistique. L’Américaine a remporté la 87victoire de sa carrière en Coupe du monde, samedi matin au slalom d’Åre en Suède, éclipsant ainsi la marque établie par Ingemar Stenmark en 1989.

Shiffrin n’avait même pas besoin de livrer sa meilleure manche à vie lors de sa deuxième descente, tant elle avait bien skié à sa première. Avec une avance de 0,69 s sur Anna Swenn Larsson, elle n’avait qu’à être elle-même et s’assurer de naviguer entre chaque piquet avec grâce et précision.

« Je me suis rarement aussi bien sentie sur mes skis lors de la deuxième manche, surtout que je voulais gagner, évidemment. Lorsqu’on a une avance, il faut être intelligent, mais je voulais aussi aller vite. J’ai skié exactement comme je le voulais. C’était formidable », a-t-elle expliqué après la course, bien installée dans la grosse chaise de meneuse, assortie de ses lunettes fumées Oakley, sa tuque Barilla et ses skis Atomic.

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Mikaela Shiffrin

Tout le monde s’apprêtait à vivre un grand moment. Tout le monde voulait être témoin de l’histoire.

Arrivée au bas de la piste, Shiffrin était ébahie. Un peu comme à chaque victoire. Malgré un léger retard dans la portion du haut, elle a tout de même creusé sa priorité, terminant avec 0,92 s d’avance sur Wendy Holdener. « C’est dur à assimiler », a-t-elle avoué.

En se laissant glisser, la nouvelle reine gardait la bouche grande ouverte. Bouche bée et à bout de souffle, ne sachant que faire de ses mains. Elle a fini par s’accroupir, comme elle le fait souvent, pour contempler le moment. Seule parmi les autres.

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Mikaela Shiffrin

Holdener et Swenn Larsson sont venues la rejoindre. « Tu es fucking incroyable ! », lui a lancé la Suédoise avant de la prendre dans ses bras.

Un record

Son frère Taylor s’est permis de traverser les barrières de sécurité pour aller agripper sa cadette, en pleine présentation du podium. Shiffrin ne l’attendait pas.

« Je ne savais même pas que mon frère et ma belle-sœur allaient venir, a-t-elle précisé. Ça rend tout ça encore plus spécial ! »

Les Shiffrin n’auraient sans doute raté ce moment pour rien au monde. Le prodige de la famille venait de réécrire le livre des records du ski alpin.

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Mikaela Shiffrin et son frère Taylor

L’Américaine, qui soufflera 28 bougies lundi, a fracassé une marque établie six ans avant sa naissance.

Sans conteste la plus grande skieuse de tous les temps, tous sexes confondus, elle a décroché sa 87victoire à sa 246course. Ce qui signifie qu’elle a un taux de réussite de 35,3 %. Il s’agit également de son 136podium en carrière, équivalant à 55,2 %. Des chiffres effarants, qui feront partie de la légende à jamais.

Le plus épatant chez Shiffrin, et la raison pour laquelle elle est à ce point respectée et estimée, demeure sa capacité à s’illustrer et à gagner dans toutes les disciplines. Peu de skieurs peuvent se targuer d’une telle polyvalence. Shiffrin est de tous les combats et elle n’aurait jamais rejoint Stenmark si elle s’était concentrée uniquement sur les épreuves techniques, son champ de prédilection.

En carrière, elle cumule 53 victoires en slalom, 20 en slalom géant, 5 en super-G, 3 en descentes, 3 en face-à-face et 2 en slalom parallèle. Sans compter ses 7 titres en Championnats du monde et ses 2 médailles d’or olympiques.

Reste que les destins de Shiffrin et Stenmark semblent intimement liés. Shiffrin a remporté sa première Coupe du monde à 17 ans, le 20 décembre 2012, également à Åre. La Suède était le pays natal de Stenmark. Tandis que ce dernier a enregistré sa 86victoire, le 19 février 1989, à Aspen au Colorado, l’État natal de Shiffrin.

Autre donnée intéressante, l’Américaine a détrôné le Suédois exactement 12 ans jour pour jour après son premier départ en Coupe du monde, le 11 mars 2011, alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans.

Une saison marquante

Shiffrin est en train de connaître l’une de ses meilleures saisons en carrière. Cette victoire très attendue est sa 13e en 28 courses cette saison. Son record personnel est de 17 victoires, établi en 2019. Après ses déboires aux Jeux olympiques de Pékin l’hiver dernier, elle prouve qu’il ne faut jamais la compter pour battue.

Il reste encore les finales de la saison à disputer en Andorre la semaine prochaine, mais déjà elle a accompli ses trois principaux objectifs pour 2023 : gagner le gros Globe de cristal, gagner le globe en slalom géant et devenir la skieuse la plus victorieuse de l’histoire. Avec ce gain, elle est en bonne position pour se faire également remettre le globe en slalom.

Lorsque l’intervieweuse de la FIS l’a remerciée pour l’entrevue et l’a félicitée pour sa victoire, Shiffrin lui a demandé si elle pouvait ajouter quelque chose, juste avant que le micro ne s’éloigne de sa bouche pour de bon : « Je veux simplement remercier mon équipe pour cette saison et pour toute ma carrière. Après toutes ces années, c’est incroyable et je veux simplement leur dire merci, pour tout. »

Une nouvelle marque pour St-Germain

Après son titre de championne du monde en slalom acquis il y a quelques semaines, Laurence St-Germain continue d’épater la galerie. Grâce à deux descentes sans faille lors desquelles elle est sortie des blocs en lionne, elle a conclu la journée au cinquième rang, son meilleur résultat en carrière en Coupe du monde.

« Je suis surtout contente de ma deuxième manche, a précisé l’athlète de 28 ans depuis sa chambre d’hôtel en Suède. J’ai fait peut-être un peu plus d’erreurs qu’à ma première, mais mon attitude ressemblait plus à celle que j’avais aux Championnats du monde. »

D’ailleurs, tout est une question de confiance pour elle. Depuis son sacre comme championne du monde, St-Germain est plus inspirée que jamais et ça se transpose dans ses performances. « Je ne suis pas arrivée ici en me disant que j’allais gagner à toutes les courses. C’est du ski alpin, n’importe quoi peut arriver, mais je savais que si j’arrivais à avoir les mêmes sensations, je pouvais avoir de bons résultats. »

En fait, à Åre, la Québécoise donne une bonne prestation la plupart du temps. C’est un parcours et une piste qui lui vont à ravir et qui s’accordent bien avec son style et ses préférences. Pente courte, terrain modéré et peu incliné, le tapis suédois est presque devenu une valeur sûre pour St-Germain avec les années.

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Laurence St-Germain

« C’est sûr que ça me donne plus de confiance, mais parfois les pistes faciles sont plus difficiles à exécuter, parce qu’elles sont faciles pour tout le monde, donc il faut vraiment profiter de chaque endroit dans la piste où tu peux aller chercher beaucoup de vitesse », explique-t-elle.

St-Germain avait évidemment son mot à dire sur le triomphe de Shiffrin. Elle en a été témoin de près et elle sait à quel point arracher une seule victoire est difficile. « Je suis juste vraiment contente d’avoir pu être là la journée où elle réussit. C’était un moment émouvant et c’était impressionnant de voir la course qu’elle a faite. »

La victoire est l’objectif principal de chaque skieuse. Cela n’est pas à remettre en cause. L’athlète de Saint-Ferréol-les-Neiges reconnaît néanmoins avoir souhaité la victoire à Shiffrin une fois qu’elle-même a officiellement été écartée du podium.

« J’espérais qu’elle gagne. On lui souhaitait tous aujourd’hui. On voulait être là pour célébrer avec elle. »