(Calgary) Régulier comme un métronome depuis trois ans, Laurent Dubreuil ne tient rien pour acquis.

« Le Maroc peut battre le Portugal au soccer. Ça peut arriver. C’est pareil en patin. »

Surtout au 500 mètres, où trois centièmes peuvent séparer trois patineurs, comme cela s’est produit pour les positions 2 à 4 de la Coupe du monde de Calgary, samedi après-midi.

Malgré un départ un poil en deçà de ses standards, Dubreuil était sur sa propre planète à l’Anneau olympique. S’élançant dans la dernière paire, il a réalisé une deuxième portion quasi parfaite pour s’envoler vers la médaille d’or, sa deuxième en trois épreuves en ce début de saison « de rêve ».

J’ai souvent dit que je n’étais pas assez bon pour être déçu d’une médaille de bronze. Mais en ce moment, j’en serais probablement déçu. Pas détruit, on s’entend, là. Même si je finis dernier, je m’en fous, à la limite. Ce n’est pas si important que ça. Mais je suis à un endroit où pour être pleinement satisfait, ça prend la médaille d’or.

Laurent Dubreuil

Le sprinteur québécois a arrêté le chrono à 34,01 s pour détrôner Tatsuya Shinhama, dont le temps de 34,18 s tenait depuis le tout début de la compétition.

« Shinhama me devançait assurément après 300 mètres », a analysé Dubreuil au sujet du Japonais qui effectuait un retour en Coupe du monde après avoir raté son coup aux sélections nationales. « Mais il a hésité à l’entrée du dernier virage. Ce n’est pas sa force, surtout quand il termine à l’intérieur. Moi, je finis vraiment fort, peu importe le corridor. »

Dans le couloir extérieur, le vainqueur a tracé un arc parfait le long des blocs. « J’ai pratiquement continué à accélérer et gardé ma vitesse jusqu’à la fin. C’est vraiment là que j’ai fait la différence avec les trois autres gars. »

Le médaillé d’argent Shinhama, le Sud-Coréen Kim Jun-ho (34,19) et Yuma Murakami (34,20) ont en effet terminé dans un mouchoir de poche.

Dubreuil aurait préféré que Murakami arrache le bronze pour partager le podium avec lui, comme aux Championnats des quatre continents de Québec et à la Coupe du monde de Stavanger, où le Japonais s’était imposé devant lui en début de saison.

Les deux hommes ont fortifié une amitié naissante depuis que Murakami est venu s’entraîner sept semaines à Québec, l’été dernier.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Le Japonais Yuma Murakami, en novembre dernier

Dubreuil dit en avoir profité autant que son rival nippon, un spécialiste des départs, comme il l’a encore démontré samedi (1er en 9,44 s).

« J’ai eu un été assez difficile avec des problèmes de dos, ce qui a mené à des problèmes de motivation, a révélé Dubreuil. Quand il est arrivé, ça m’a forcé à être un peu plus concentré, peut-être. Je savais qu’il prenait un gros engagement en partant du Japon pour venir s’entraîner avec moi. »

Murakami a passé quelques nuits chez les Dubreuil et a appris à connaître la petite Rose, deux ans et demi.

« J’ai vu qu’il faisait beaucoup plus de musculation et plus longtemps que moi, a raconté le Japonais dans son anglais limité plus tôt cette semaine. J’en fais peut-être deux fois une heure par semaine. Laurent en fait trois fois, dont une séance de deux heures et demie… »

Dubreuil lui a fait découvrir les joies de grimper les escaliers du Cap-Blanc à pleine vitesse. Murakami n’y est jamais retourné…

Pas de record

Comme il l’avait mentionné la veille, Dubreuil ne pensait plus au record mondial évoqué plus tôt cette semaine. Réputée rapide, la glace de Calgary est apparemment trop molle en ce moment, ce qui rend le maintien de l’équilibre plus précaire à très haute vitesse.

« Les temps de [vendredi] ont un peu refroidi mes ardeurs », a dit celui qui était passé à 16 centièmes de la marque avec un temps de 33,77 s, l’an dernier.

Honnêtement, je n’ai pas pensé au record aujourd’hui. Je pensais juste à faire une bonne course pour gagner. C’était rendu ça, l’objectif.

Laurent Dubreuil

« Aussi bien d’oublier ça » la semaine prochaine également, à l’occasion de la deuxième Coupe du monde à Calgary.

À qui le chapeau de cow-boy ?

Avec sa victoire au 500 mètres, Dubreuil a décroché la cinquième médaille d’or individuelle en Coupe du monde, pour un total de 28 podiums.

Il a célébré en levant les bras au ciel et en effectuant un petit « pompage » du poing droit après avoir vu l’entraîneur à la retraite Marcel Lacroix bondir de son siège pour l’encourager d’un cri tonitruant.

« Je trouve que les joueurs de hockey réagissent beaucoup, a noté l’athlète de 30 ans. Les bons en comptent 40 par année. Ils peuvent-tu relaxer un peu ? Nous, on a six Coupes du monde par saison. Si tu en gagnes six, tu es parfait. C’est plus dur que de scorer un but, j’imagine ! Mais oui, je suis toujours content quand je gagne une médaille. Je ne les tiens pas pour acquises. »

Il a vérifié que sa dernière se trouvait bel et bien dans son sac à dos quand nous lui avons demandé où il l’avait mise…

« Il ne faut pas que je la perde parce que Rose ne sera pas contente. C’est important pour elle, regarder les cérémonies de podium. »

Dubreuil n’a pas porté le traditionnel chapeau de cow-boy, préférant conserver la casquette d’un commanditaire. Il prévoyait remettre le couvre-chef à un partisan ou à un membre de la famille, mais surtout pas à sa grand-mère…

« Elle est fortement souverainiste. Un chapeau de cow-boy, elle va le cr… dans les vidanges ! »

Fiola 13e

PHOTO FRANCOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le Québécois Christopher Fiola, en novembre 2016

Septième et huitième à ses deux premières courses de la saison, Christopher Fiola n’a pas été en mesure de poursuivre sur sa lancée. Il s’est classé 13e en 34,67 s, la faute d’un départ raté, une phase où il a l’habitude d’exceller.

« Je sentais que j’étais mal placé quand je me suis positionné, a expliqué le Montréalais d’origine. J’ai manqué mes trois premiers pas. J’étais arrêté. Je me suis dit : j’y vais pour un bon tour parce que je sens que ce n’est pas un bon départ. […] Ce n’est pas dramatique, mais j’aurais pu faire mieux. Je reste quand même dans le top 10 au classement général, ce n’est pas la fin du monde. »

Au moins, il n’a pas connu le sort de son compatriote Ted-Jan Bloemen, disqualifié pour deux faux départs… au 5000 mètres. Pas la meilleure du double médaillé olympique, qui effectuait sa rentrée après une pause pour la naissance de son garçon.