Accompagnée de sa mère, Chloé Dufour-Lapointe s’est présentée à la rédaction de La Presse avec son sac d’école accroché au dos, à la fin du mois d’août.

Elle se préparait à faire sa première rentrée en personne au baccalauréat en gestion et design de la mode à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), amorcé à distance pendant la pandémie.

« Je suis plus stressée d’aller sur les bancs d’école que d’être en haut d’un parcours olympique. Ça n’a pas d’allure ! », a pouffé la jeune trentenaire, qui s’inquiétait surtout de ne pas pouvoir marier toutes ses passions avec des études universitaires à temps plein.

Ce n’est pas une surprise, cette « grande rêveuse » tire un trait sur sa carrière de skieuse acrobatique spécialisée en bosses. Elle en a fait l’annonce officielle dans une lettre toute personnelle publiée mercredi matin sur le site internet de Radio-Canada.

Ça vient de ma petite voix intérieure, celle que j’ai toujours eue. J’ai pleuré en l’écrivant et j’ai pleuré en la lisant aux gens autour de moi, mes parents en premier. En même temps, ç’a été une très belle conclusion.

Chloé Dufour-Lapointe

Au lendemain de sa neuvième place aux Jeux olympiques de Pékin, le 6 février 2022, Dufour-Lapointe était dans un avion pour revenir au Canada, règlements sanitaires chinois obligent. Elle a rejoint sa famille aux Bahamas pour célébrer comme il se doit sa quatrième et ultime participation aux JO.

Le mois suivant, elle a pris part à ses toutes dernières Coupes du monde, à Megève, dans les Alpes françaises. Devant son copain, qui l’accompagnait pour la première fois en compétition en Europe, elle s’est élancée dans « l’esprit de [s]’amuser et de simplement boucler la boucle ».

En s’alignant pour les 141e et 142e fois sur une épreuve du circuit, elle a égalé un record canadien en ski acrobatique.

Elle s’est donné l’été pour se remémorer sa longue carrière marquée par 27 podiums, dont deux victoires en Coupe du monde, un globe de cristal, un titre mondial et, bien sûr, une médaille d’argent aux JO de Sotchi, où elle a conquis la planète avant de monter sur le podium, tenant la main de sa sœur cadette Justine, médaillée d’or.

Il reste que son plus beau souvenir est le podium partagé avec Justine et sa sœur aînée Maxime à la Coupe du monde de Val-Saint-Côme, le 23 janvier 2016.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Les sœurs Chloé, Justine et Maxime Dufour-Lapointe à la Coupe du monde de Val-Saint-Côme, en 2016

« Ce jour-là, on savait que c’était possible. On ne s’est pas parlé, mais l’énergie était là. Ç’a vraiment été marquant pour toutes les trois. »

« J’ai d’autres défis »

Âgée de 30 ans, Chloé Dufour-Lapointe a consacré les deux tiers de sa vie à son sport et la moitié au plus haut niveau. Même si elle a des « plans A, B, C, D » pour la suite des choses, elle ne tourne pas la page sans ressentir « un pincement ».

« Une retraite, ce n’est jamais facile, surtout pas à 30 ans. En même temps, j’étais prête à ça. J’aimais encore le ski acrobatique, j’étais passionnée, mais j’étais rendue là dans ma vie. J’ai d’autres défis. J’ai aussi hâte de moins voyager. J’aime encore le voyage, mais peut-être moins intensément !

À 30 ans, c’est plus dur sur le corps. C’est quand même un sport extrême, d’impact, et il y a des risques à tout ça. Quand tu vieillis, tu calcules un peu plus, tu es moins téméraire.

Chloé Dufour-Lapointe

Malgré ces 15 saisons en Coupe du monde, la Montréalaise n’a jamais subi de blessures sérieuses, à l’exception d’une commotion à l’hiver 2020.

« Il n’y a rien qui me brime dans ma vie de tous les jours. C’est vraiment une belle fierté d’être en santé. Mes parents nous avaient trouvé un [préparateur physique] qui nous a toujours aidées à prévenir les blessures. Ç’a été l’une des clés de nos succès. »

Sans avoir le talent inné de sa petite sœur, Chloé s’est démarquée par sa précocité et sa persévérance jusqu’à la toute fin.

Elle venait de terminer sa cinquième secondaire quand elle s’est classée cinquième aux JO de Vancouver en 2010. Sa joie de vivre et ses yeux pétillants avaient alors marqué les esprits. « C’était la naïveté de la jeunesse, le plaisir d’essayer. »

L’hiver suivant, elle a remporté l’argent à l’épreuve en parallèle aux Championnats du monde sur l’exigeant parcours de Deer Valley, s’inclinant en finale devant son idole Jennifer Heil. Elle avait fait une fleur à sa compatriote en défaisant sa grande rivale américaine Hannah Kearney, championne olympique en simple.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Chloé Dufour-Lapointe

Deux ans plus tard, en Norvège, Dufour-Lapointe est montée sur la plus haute marche du podium, toujours en parallèle, une spécialité qui lui a souvent souri. « J’ai raté mon départ, j’ai rattrapé la fille et j’ai skié comme une fusée… Je ne me rappelle pas trop cette descente, mais j’ai skié avec du feu dans les yeux. »

« Un conte de fées »

À Sotchi, elle a vécu une apothéose avec Justine, mais aussi Maxime, qui a atteint la demi-finale.

« Ç’a été un conte de fées. Tout était calculé, organisé pour la performance. J’avais un plan et je l’ai exécuté. Les gens autour de moi faisaient en sorte que j’étais exemptée de toute distraction. À la fin de la soirée, ç’a été juste l’euphorie. Ç’a été magique. C’était exactement comme le petit rêve de jeunesse que j’imaginais. »

PyeongChang en 2018 a été « un peu plus rough… » Le cancer qui a frappé sa mère la saison précédente l’a profondément « déstabilisée ».

« Ç’a été plus comme un cauchemar, a noté celle qui s’est classée 17e. Ça m’a pris du temps à me pardonner et à réaliser ce qui s’était passé. J’étais simplement blessée et la maladie avait changé ma perspective du sport. »

Son dernier cycle olympique lui a également réservé son lot d’obstacles. Privée d’entraînement sur neige en pandémie, elle a peiné à maîtriser le nouveau saut désaxé qu’elle s’est juré de mettre à exécution à Pékin en 2022.

Au bout du parcours, elle « s’est sentie délaissée par sa fédération », Freestyle Canada, qui ne l’a pas recommandée à Sport Canada pour du financement, une première dans sa carrière. Elle a contesté en vain cette décision devant le Centre de règlement des différends sportifs.

Déçue, Dufour-Lapointe ne s’est pas laissé distraire. Sa sélection pour les JO lui a été annoncée à la toute dernière minute, après s’être d’abord fait dire qu’elle ne serait que première remplaçante.

Sa neuvième place dans la capitale chinoise, le meilleur résultat canadien, lui a finalement donné raison.

« Ç’a vraiment été une descente libératrice, s’est-elle réjouie. Je me suis laissée aller, j’ai flotté, j’ai fait mon plus beau cork. Ç’a été une descente en toute liberté. »

« Grande passionnée de mode », déjà impliquée dans l’entrepreneuriat avec l’entreprise de vêtements Tissées serrées qu’elle a fondée avec ses sœurs, attirée par le monde de la télévision, des conférences et de la philanthropie, Chloé Dufour-Lapointe a plusieurs cordes à son arc. Une chose est certaine : sa deuxième carrière sera « multidisciplinaire ».

« Ma retraite est émotive, mais ce sont des émotions joyeuses. Je suis prête à faire ce virage-là. J’ai une page blanche devant moi et je peux décider ce que je veux en faire. »

Exactement comme quand elle secouait ses skis au sommet d’une pente remplie de bosses.