(Mont-Tremblant) Un cri a déchiré le ciel enneigé au milieu de l’entraînement à la Coupe du monde de Tremblant, jeudi après-midi. C’était Kerrian Chunlaud, qui s’était fait mal à un genou à l’approche du deuxième saut.

Le skieur de Sainte-Foy est descendu en civière. Ça ne se présente vraiment pas bien pour Kerrian, s’est inquiété l’entraîneur-chef Michel Hamelin à l’issue de la séance.

Après Mikaël Kingsbury, déjà qualifié pour les Jeux olympiques de Pékin, Chunlaud est le Canadien le mieux placé dans la course à la sélection qui s’achève la semaine prochaine en Utah. Le bosseur de 28 ans a terminé 17e, 15e et 11e aux trois premières épreuves de la saison avant Noël.

« Tu fais plus de sacrifices, tu t’entraînes plus précisément, tu y mets plus de temps et il arrive quelque chose, a exposé le coach. On y est presque. C’est comme si je te tirais le tapis sous les pieds. C’est encore plus dramatique. »

Selon toute vraisemblance, Chunlaud s’est déchiré le ligament croisé antérieur du genou gauche. Si un examen plus approfondi confirme ce diagnostic, sa saison est terminée.

Son absence assurée pour la course de vendredi met un peu plus en lumière le creux de vague de l’équipe canadienne de bosses, habituée de monopoliser les podiums pendant près de trois décennies. À part Kingsbury, un seul autre membre a réussi à se glisser parmi les 10 premiers à l’épreuve (olympique) de simple cette saison : Sofiane Gagnon, neuvième à Idre Fjäll, en Suède.

Cette absence de résultats, qui se profile depuis quelques années, ne passe pas inaperçue. Dominick Gauthier, ancien skieur et entraîneur de l’équipe canadienne, s’est fendu d’une chronique coup de poing sur le site internet de Radio-Canada au début de l’année. Son titre : « Le ski de bosses canadien à la dérive ».

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Parlant d’« hécatombe » et jugeant que « rien ne va plus », le cofondateur de B2Dix estime qu’il « faut absolument revoir le système au complet ». Il suggère entre autres un retour du sommet vers la base, composée des clubs et des provinces.

Évaluation du système

Hamelin est un ami de Gauthier. Les deux ont participé à des compétitions ensemble et coaché au même moment au sein de l’équipe canadienne au début des années 2000. Si les propos de son ex-collègue l’ont « piqué un peu », il lui donne raison en partie.

« Je m’occupe de Mik et j’essaie de faire monter tout le programme. Ma gang n’a pas performé à son niveau, ça, c’est ultra clair. Je comprends très bien pourquoi il a sorti ça et on a toujours performé dans le passé. […] Il faut évaluer la connexion entre les clubs, les provinces et nous. »

À la tête de tout le programme canadien depuis 2018, Hamelin affirme avoir fait des gestes dans le bon sens en déléguant des entraîneurs d’expérience comme Jim Schiman et Steve Omischl à l’équipe de développement.

C’est sûr qu’un programme, ça ne lève pas en deux ou trois ans. Des pas sont déjà pris, mais ils ne sont pas encore visibles sur la performance.

Michel Hamelin, entraîneur-chef de l’équipe nationale des bosses

Hamelin compte communiquer avec Gauthier à un moment donné, mais il a d’autres chats à fouetter. « Mon objectif en ce moment, ce n’est certainement pas de me faire brasser avec ça. Je m’en vais aux Jeux. Dans ma tête, c’est comme aller à la guerre. Je m’en vais à la guerre et je veux que le Canada réussisse. »

Le retour de Laurent Dumais s’inscrit dans la colonne des bonnes nouvelles. Sixième aux derniers Championnats du monde remportés par Kingsbury au Kazakhstan, le skieur de Québec a raté les trois premières compétitions de l’hiver en raison d’une hernie discale. Une injection de cortisone au début de décembre lui a permis de rechausser les skis un mois plus tard.

« J’ai encore de la douleur et de l’irritation, mais c’est le jour et la nuit avec ce que je ressentais à Ruka et à Idre Fjäll, a expliqué l’ancien champion mondial junior en parallèle, jeudi. Je bouge plus naturellement. Déjà ça, c’est une petite victoire. »

Un résultat parmi les 16 premiers d’ici les quatre prochaines courses le placerait dans une excellente position pour Pékin. « Je vois ça comme un build-up jusqu’à Deer Valley la semaine prochaine », a-t-il prévenu.

« Pas à la dérive »

Les propos de Gauthier ont mal passé pour Dumais.

« Personnellement, j’ai trouvé ça un peu poche qu’il ait publié ça sans nous en parler, a commenté l’athlète de 25 ans. Oui, on voit un creux dans l’équipe canadienne après Mik. Il n’y a plus de Phil [Marquis], de Simon Pouliot-Cavanagh, de Marc-Antoine [Gagnon]. En même temps, je ne pense pas que le ski acrobatique canadien est à la dérive en ce moment. On est tous de bons skieurs, de bons sauteurs, de bons compétiteurs. Il ne faut pas ignorer l’aspect des juges, qu’on ne contrôle pas. Autant ils peuvent être de notre côté, autant ils peuvent ne pas l’être. »

Gabriel Dufresne a lui aussi besoin d’au moins un top 16 pour espérer un billet pour les JO.

Si je réussis à appliquer mon plan de match, le top 10 est plus qu’accessible. À partir de là, entre dix et deux ou trois, tout est possible…

Gabriel Dufresne, skieur de bosses

L’athlète de Joliette n’a pas plus goûté la sortie de Gauthier – et surtout le moment choisi pour la faire, juste avant la Coupe du monde canadienne. Il lui a fait connaître ses sentiments dans un échange sur Twitter.

« Ça fait plusieurs années qu’il vit dans l’Ouest canadien et je trouve qu’il est allé beaucoup en détail par rapport aux clubs provinciaux et régionaux à travers le Canada, a soulevé Dufresne jeudi. Je suis pas mal certain qu’il ne les a pas visités depuis au moins 10 ans. J’ai trouvé que son article soulignait 30 % du problème général, mais en ignorait 70 %. »

Certes, les résultats canadiens ont fléchi depuis « 4 à 10 ans », mais le niveau de compétition s’est grandement amélioré dans l’intervalle, a argumenté Dufresne.

« N’oublions pas que le sport a beaucoup évolué en raison de Mikaël qui a mis la barre tellement haut. Pour penser essayer de le battre, tous les autres compétiteurs doivent devenir meilleurs. Notre sport ne s’est pas amélioré qu’un peu, il est devenu trois à quatre fois meilleur qu’il y a 10 ans. »

Comme son coéquipier Dumais, Dufresne affirme également que les bosseurs canadiens n’ont pas autant la faveur des juges que dans le passé.

Quoi qu’il en soit, Hamelin s’attend à voir son groupe rebondir dans les quatre prochaines épreuves. « En ce moment, ils ont le couteau entre les dents. Ils veulent que ça passe et ils vont sortir leur best of dans les prochaines courses. »