(Calgary) Cédrick Brunet était aux anges le 13 octobre. Aux Championnats canadiens de Calgary, le patineur de vitesse sur longue piste a réussi la course de sa vie au 500 mètres. Son record personnel de 34,97 secondes lui a valu la médaille de bronze. Sur le podium, il a posé avec le champion du monde, son coéquipier Laurent Dubreuil.

Même s’il a raté par sept centièmes le critère de temps exigé par Patinage de vitesse Canada (PVC), le jeune homme de 20 ans a obtenu une sélection inespérée pour les quatre Coupes du monde automnales. « Je me trouvais vraiment choyé », a-t-il dit il y a deux jours.

Mais ce n’était pas dans la poche : son coéquipier Alex Boisvert-Lacroix et Jacob Graham, qui avaient respectivement terminé 5e et 13e, ont contesté leur exclusion auprès du Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC). Leur argument : ils avaient déjà réalisé le chrono minimal, contrairement à Brunet et à Christopher Fiola, qui a pour sa part fini quatrième aux championnats.

« Au début, je me disais Patinage de vitesse Canada était de mon côté, que ça devrait sûrement bien aller », s’est encouragé Brunet, qui a commencé à préparer ses bagages pour la Pologne. « Arrivera ce qui arrivera. »

À deux jours de son départ, au début de novembre, il a reçu un courriel du CRDSC lui annonçant que PVC avait perdu l’arbitrage. Fiola et lui devaient faire une croix sur ces compétitions importantes en vue d’une qualification pour les Jeux olympiques de Pékin.

« Quand je l’ai su, j’étais sur le cul, en cr…, vraiment fâché. C’est sûr que je ne l’ai pas bien pris. En même temps, j’essayais de me convaincre que rien n’arrive pour rien. J’ai 21 ans, j’ai tout l’avenir devant moi. C’est la vie, on passe à un autre appel. »

PHOTO DAVE HOLLAND, FOURNIE PAR PATINAGE DE VITESSE CANADA

Cédrick Brunet

Il en a d’ailleurs reçu un de la directrice, haute performance, Cathy Tong. Celle-ci l’a encouragé et lui a indiqué qu’il aurait l’occasion de se reprendre à la quatrième Coupe du monde, présentée à partir de vendredi à Calgary, où le Canada compte une cinquième entrée.

Malgré la situation inconfortable, Brunet n’en voulait pas à Boisvert-Lacroix, avec qui il s’entraîne au Centre de glaces Intact Assurance à Québec. « Il a fini cinquième, il a réussi son standard à de multiples reprises. Avoir été à sa place, je pense que j’aurais fait la même chose. Ç’a été de son côté, ç’aurait très bien pu aller du mien. »

Le lendemain de la mauvaise nouvelle, les deux patineurs se sont retrouvés sur l’anneau pour un entraînement. Brunet a tout de suite rassuré son aîné de plus de 13 ans. « Alex m’a dit de ne pas prendre ça personnel. Qu’il ne faisait que faire appliquer ce qui était écrit dans le Bulletin [de haute performance]. Je lui ai dit : "Inquiète-toi pas, je ne t’haïrai pas la face à cause de ça !" »

« Une belle attitude »

Un mois plus tard, Boisvert-Lacroix est encore impressionné par la conversation qu’il a pu avoir avec son coéquipier.

« Il m’a dit qu’il comprenait à 100 % que ce n’était pas contre lui, que c’était une question de règlement, a relaté Boisvert-Lacroix. Ce n’était pas contre la personne. En aucun cas on n’a rabaissé Christopher ou Cédrick dans ma défense. »

Cédrick m’a dit qu’il aurait fait la même chose s’il avait été dans ma situation. Il a tellement eu une belle attitude et une belle maturité, le jeune. J’ai trouvé ça vraiment le fun.

Alex Boisvert-Lacroix

Boisvert-Lacroix a évidemment eu moins de plaisir à contester la décision de sa fédération. Il a contacté plusieurs avocats pour tenter de faire valoir ses droits. Il est tombé sur MVincent Dubuc-Cusick, spécialisé en immigration d’affaires pour la firme Patrice Brunet Avocats.

Le jeune avocat a accepté de prendre sa cause pro bono avec son équipe. Ils y ont mis près d’une centaine d’heures, a appris le patineur par la suite : « C’est tellement un beau cadeau qu’ils m’ont offert de m’aider gratuitement comme ça, c’est fou ! »

Même s’il était persuadé de la validité de son argumentaire, Boisvert-Lacroix était loin d’être certain de l’emporter.

« Dans ma tête, c’était un no-brainer, c’était évident [que j’avais raison]. C’est plus envers le système que j’avais mes doutes. C’est très rare qu’un arbitre du tribunal du sport prenne la décision [pour la sélection]. Souvent, il va faire une suggestion et renvoyer la décision à la fédération. Dans ce cas, la fédération ne prend jamais le blâme et va s’en tenir à la décision initiale. C’est pour ça qu’on a vraiment insisté pour que l’arbitre prenne lui-même la décision. »

« Décision déraisonnable »

Compte tenu de l’urgence de la situation, les parties ont accepté de procéder par voie de revue documentaire. En plus des arguments des avocats, dont les deux représentants de PVC, les patineurs ont pu faire valoir leur point dans une lettre.

Dans une décision de 19 pages rendue le 11 novembre, l’arbitre Karine Poulin s’est rangée totalement au raisonnement des avocats de Boisvert-Lacroix et Graham. Le libellé du point 4.4.2 du Bulletin, celui établissant l’ordre des priorités dans le processus, a été déterminant. En somme, elle a conclu que PVC n’avait pas suivi ses propres critères de sélection.

« Par conséquent, la décision de l’Intimé [PVC] est déraisonnable, ne s’appuyant aucunement sur les règles applicables qu’il a lui-même élaborées, a-t-elle écrit. Eût-il appliqué les critères objectifs et précis du Bulletin, sa décision n’aurait pu être la même. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alex Boisvert-Lacroix en action aux Jeux olympiques de PyeongChang

Boisvert-Lacroix admet avoir été affecté par toute cette histoire, sur laquelle il a longtemps ruminé.

« Ça n’a pas été facile quand je suis arrivé à la première Coupe du monde par rapport au staff, à la directrice du programme de haute performance qui était notre chef d’équipe pendant tout le voyage. Encore aujourd’hui, il y a un froid entre nous. De sa part, parce que moi, je suis passé par-dessus ça. »

Dans sa présentation soumise à l’arbitre, la fédération a affirmé qu’« un athlète qui prétend avoir le potentiel de remporter des médailles aux Jeux olympiques 2022 devrait être en mesure de se classer parmi les quatre premiers lors d’une compétition locale ».

Le vétéran de 34 ans attribue à une « erreur de parcours » sa « mauvaise course » en octobre aux championnats canadiens. Quatre jours plus tôt, il avait réussi le standard lors d’un essai de temps.

« Ça clôt la discussion »

Les deux premières Coupes du monde de Boisvert-Lacroix en Pologne et en Norvège n’ont pas été à la hauteur de ses attentes.

Après un « reset » salvateur de deux semaines à Montréal, il a repris du poil de la bête à la Coupe du monde de Salt Lake City, le week-end dernier. Cinquième du groupe B dimanche, son temps de 34,41 s devrait logiquement ouvrir un deuxième quota pour le Canada dans cette épreuve aux Jeux olympiques de Pékin.

« La direction ne m’a pas encore parlé directement par rapport à tout ça. Ce qui est un peu ironique, c’est que c’est moi qui classe le deuxième spot au 500 m pour les Jeux en ce moment. Je pense que ça clôt un peu la discussion sur le sujet. »

Ça prouve que j’étais le bon gars à amener. C’est clair et sans équivoque.

Alex Boisvert-Lacroix

Médaillé de bronze aux Mondiaux de 2016, Boisvert-Lacroix veut poursuivre sa progression dès vendredi à Calgary. Idéalement, il finirait parmi les trois premiers pour remonter dans le groupe A pour le deuxième 500 m dimanche. Mais le plus important, à ses yeux, est d’arriver au sommet de sa forme aux sélections olympiques de Québec, à la fin du mois.

Le jeune Brunet, lui, espère que les malheurs sont derrière lui. Il y a deux semaines, il a appris, deux jours avant son départ, que le Canada ne se rendrait pas à une Coupe du monde néo-sénior en Allemagne en raison des risques de la COVID-19…

À l’aube de sa première Coupe du monde à vie à Calgary, il vise un chrono sous les 34,90 s pour régler une fois pour toutes la question du standard et éviter un autre imbroglio.