Tout en respectant le choix d'Alex Harvey de partir à la retraite, le conseiller à la haute performance de Ski de fond Canada, Pierre-Nicolas Lemyre, affirme qu'il en avait encore beaucoup à donner. Maintenant, il doit penser à la suite.

Lemyre a appris le départ à la retraite d'Alex Harvey la veille de l'annonce publique, la semaine dernière. Le conseiller à la haute performance de Ski de fond Canada était encore en Norvège, où il dirige le département de psychologie et de coaching de l'Université des sports d'Oslo.

Il n'est arrivé que mardi midi aux Championnats du monde de Seefeld, tout juste pour le 10 km féminin. Normal, il est conseiller à temps partiel. Ce statut devrait changer à partir de la saison prochaine, si tout se déroule comme prévu à Oslo et à Canmore, siège albertain de la fédération.

Pour remettre l'équipe canadienne à flot, un engagement à temps plein ne sera pas de trop. La dernière course d'Harvey, aux finales de la Coupe du monde de Québec le 24 mars, marquera la fin d'une époque dorée pour le ski de fond canadien, amorcée avec la médaille d'or de Beckie Scott aux Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002.

Lemyre n'a pas tenté de convaincre son athlète vedette de surseoir à son projet. Il n'en a simplement pas discuté avec lui, préférant laisser Harvey se concentrer sur ses deux dernières épreuves aux Mondiaux, le relais 4 x 10 km vendredi, où il assumera la première portion en classique, et surtout le 50 km de dimanche, où il essaiera de doubler la mise après l'or de 2017.

N'empêche, le conseiller regrette le départ de l'athlète de 30 ans. « J'aurais souhaité qu'il continue pour lui, parce que je pense qu'il aurait pu dominer ces trois prochaines années », a avancé Lemyre, mercredi. 

« On aurait pu le préparer encore mieux pour Pékin [en 2022] que pour PyeongChang. Quand tu es passé très, très proche comme ça [4e au 50 km], tu peux apprendre de cette expérience. On était loin d'être à bout de possibilités pour l'aider à continuer à se développer. »

- Pierre-Nicolas Lemyre

Dans le contexte actuel, où Harvey n'avait plus le goût de s'éloigner pour de longues périodes, étirer la sauce n'avait pas de sens, conçoit Lemyre.

« C'est sa carrière, sa vie, il faut respecter son choix. Sans ce feu sacré, il n'a aucune chance. Tu ne peux pas survivre trois ans avec la seule motivation d'aller chercher la médaille. Il faut que tu aimes faire ça tous les jours, il faut que tu aimes être ici en Europe l'hiver. À ce niveau-là, le talent, ce n'est pas assez. Il faut que tu aies plus faim que tous les autres autour de toi. »

Si d'aventure le quintuple médaillé mondial veut reprendre la compétition après une pause, Lemyre le croit capable de revenir au sommet. La porte sera toujours ouverte, mais il ne mise évidemment pas sur un retour hautement improbable.

Aujourd'hui, Harvey passera le relais à Scott Hill, à peu près inconnu au bataillon avant les Mondiaux de Seefeld, même au sein de l'équipe canadienne. « Alex est son idole depuis toujours », a raconté sa mère Rayma Hill, croisée jeudi matin.

Comme Len Valjas, un autre futur retraité, Scott Hill est issu du club Hardwood, dans la grande région de Toronto. Mercredi, le fondeur de 24 ans a été le premier Canadien au 15 km classique, 34e à 3 minutes, son meilleur résultat à ce niveau. Quatre jours plus tôt, il avait vécu une déconvenue au skiathlon, où il avait fait une chute. Les officiels l'avaient d'abord arrêté avant la boucle ultime, croyant à tort qu'il s'était fait rejoindre par le meneur. L'Ontarien a plaidé sa cause et pu poursuivre sa route. Il a été le 58e et dernier classé...

Depuis quelque temps, Hill s'entraîne à Canmore, un peu par lui-même et conseillé par Jack Sasseville, un ancien coach de l'équipe canadienne.

En cette prochaine ère post-Harvey, Hill est le genre d'athlète que Lemyre voudra mieux encadrer. Quelques juniors pointent aussi le bout de leur nez, comme le Britanno-Colombien Remi Drolet, septième aux derniers Mondiaux juniors, même s'il a perdu ses deux skis durant la course.

« Nos jeunes juniors (13-16 ans) sont aussi bons que ceux en Norvège, a affirmé Lemyre. Les juniors un peu plus vieux (16-19 ans), on en a certains qui sont aussi bons, mais on en a peu. On commence à rencontrer des défis de 19 à 23 ans. On n'a pas de solutions qui fonctionnent vraiment bien pour ce groupe d'âge. On perd beaucoup d'athlètes exceptionnels qui frappent un plateau ou ne se développent pas comme ils le devraient. C'est là-dessus qu'il faut mettre notre attention. »

Une question de moyens

Le psychologue de formation refuse « l'impression » que les moyens inférieurs du Canada par rapport aux grandes nations scandinaves sont un frein aux performances. « On a vraiment un potentiel unique dans certains champs où on n'est pas optimal en ce moment. »

Lemyre cite le grand nombre d'entraîneurs au pays et la force de leur engagement. En mai, il fera venir Pal Gunnar Mikkelsplass, coach de la Norvégienne Therese Johaug, pour des conférences théoriques et pratiques à Canmore.

Le Centre national d'entraînement Pierre Harvey, dont il fut de la première cuvée au début des années 90, sera appelé à travailler de façon plus étroite avec la fédération provinciale, un mouvement bien amorcé.

L'équipe de techniciens dirigée par Yves Bilodeau, chez qui il a déjà habité au Mont-Sainte-Anne, a atteint une qualité comparable aux meilleures nations, soutient Lemyre. « Son maintien est l'une de mes priorités les plus sérieuses. Si on recommence à zéro de ce côté, ça peut coûter une génération complète de skieurs avant de reproduire ce niveau de performance. »

Et l'argent dans tout ça ? Le départ de Harvey aura un impact sur les recommandations de financement d'À nous le podium, concède Lemyre, mais il refuse d'en chiffrer la valeur. « J'espère qu'on n'aura pas moins d'argent, mais que nos sources de financement vont changer. C'est difficile de composer avec des agences où les budgets peuvent beaucoup varier d'une année à l'autre. »

La retraite d'Harvey est une « occasion de retourner toutes les pierres » et de réallouer les ressources qui lui étaient consacrées à d'autres secteurs, insiste le conseiller haute performance. Le dirigeant de 46 ans se donne jusqu'aux Jeux olympiques de 2026 pour mettre sur pied un système « solide » qui produira des athlètes de calibre international à un rythme régulier.

« J'aimerais avoir quatre athlètes, tant chez les femmes que chez les hommes, qui réussissent des top 30 en Coupe du monde et autour desquels on pourra bâtir de bons relais. On sait exactement où on s'en va pour passer à la prochaine étape. »

D'ici là, il reste à espérer qu'Harvey ponctue son dernier tour de piste d'un point d'exclamation.