De Thomas Grandi à Erik Guay, de Mélanie Turgeon à Jan Hudec, l'entraîneur Serge Dugas a été un acteur clé derrière les plus beaux succès du ski alpin canadien depuis trois décennies. À 67 ans, le Magogois continue d'arpenter les pentes. Portrait.

Serge Dugas a été l'un des premiers à qui Erik Guay a annoncé qu'il prenait sa retraite, le soir du 22 novembre, à Lake Louise. «C'est la meilleure nouvelle que j'ai entendue aujourd'hui», a réagi l'entraîneur de 67 ans.

Plus tôt dans la journée, Manuel Osborne-Paradis s'était brisé une jambe durant une descente d'entraînement de la Coupe du monde. Une semaine avant, Broderick Thompson, espoir de l'équipe canadienne de vitesse, s'était défait un genou à Nakiska. Dugas en avait assez vu.

La retraite anticipée de Guay ne le laissait pas indifférent. Discret de nature, il contenait son émotion le lendemain en commentant le départ de celui avec qui il travaillait depuis 2005.

«C'est certain que ça m'a fait quelque chose. J'étais surpris de ma réaction parce que je ne suis pas comme ça. J'étais ému, mais j'étais content qu'il ait lui-même pris la décision. Je lui ai dit: "Tu as tellement de belles choses qui t'attendent à la maison."»

Dugas repartait vers le télésiège quand La Presse l'a intercepté sur la terrasse du chalet de la station. Entre la reconnaissance du parcours et la course, il s'était arrêté à peine quelques secondes dans le salon des athlètes pour attraper deux biscuits. Pas question pour lui de s'éterniser à l'intérieur. Beau temps, mauvais temps, sa vie se passe sur la montagne.

Arrivé à l'aube, il avait pris la température ambiante et celle de la neige à quelques endroits stratégiques sur la piste, informations qu'il partagera plus tard avec les techniciens. Il s'était ensuite installé au bas d'un mur, pour donner ses conseils aux skieurs de l'équipe canadienne et à ceux d'autres nations.

Tout le monde le connaît sur la pente. Normal, il parcourt la Coupe du monde depuis 1989, ce qui, sauf erreur, en fait le coach le plus expérimenté sur le circuit.

«Ski bum»

Originaire de Magog, Serge Dugas ne se destinait pourtant pas à devenir entraîneur. «Ski bum», de son propre aveu, il donnait un coup de main dans l'organisation de la classique Adams' Memorial, course très populaire au mont Orford dans les années 60. Il a arrêté de skier pendant des années, alors qu'il travaillait dans les bars et à son école de voile sur le lac Memphrémagog.

Piotr Jelen l'a fait remonter sur les planches en 1989. L'entraîneur de l'équipe canadienne cherchait quelqu'un pour l'aider à tenir un stage en prévision des championnats canadiens qui se dérouleraient au mont Orford deux mois plus tard. Dugas s'est fait remarquer, notamment de l'athlète l'olympique Alain Villiard, qui a suggéré de l'embaucher.

«Au début, j'ai dit: "Je ne suis pas intéressé." Piotr a rappelé. J'ai répondu: "Cinq mois, pas plus." Je suis encore là, 30 ans plus tard...»

Dugas a donc commencé avec le groupe technique masculin, où il a travaillé pendant huit ans. Il accompagnait Thomas Grandi quand l'Albertain est monté sur le podium à Park City en 1996 : « C'était quelque chose, un premier Canadien sur le podium en slalom géant. Hermann Maier avait gagné. »

Après les Jeux olympiques de Nagano, en 1998, il est devenu entraîneur de Mélanie Turgeon, toujours à la demande de Jelen. «Je connaissais ses parents, ils venaient de Magog. »

La championne mondiale junior était l'unique Canadienne à faire de la vitesse. Les ressources étaient limitées, avec Jelen et Dugas comme seuls entraîneurs.

Pendant quelques années, Dugas agissait également à titre de technicien. Il a donc préparé les skis de Turgeon lors de sa seule victoire en Coupe du monde, à Innsbruck, en 2000. Il devait sortir du placard qui lui servait de salle de fartage afin de tourner les planches... Pour regarder des vidéos, le trio se rendait en cachette à l'hôtel des Allemandes. Quand celles-ci étaient au lit, leurs entraîneurs, magnanimes, ouvraient la porte arrière à leurs rivaux canadiens.

Photo fournie par Canada Alpin

L'entraîneur Serge Dugas offre ses conseils à Riley Seger et Cam Alexander, deux jeunes membres de l'équipe canadienne de ski alpin.

En 2003, Turgeon a remporté la descente aux Championnats du monde de Saint-Moritz. «On était encore deux coachs, se souvient Dugas. Pour moi, c'était une première médaille aux Mondiaux. Pour ce que Mélanie pouvait faire comme entraînement à cause de son dos, ça tenait de l'exploit.»

Après sept ans avec les femmes, Dugas a rejoint son collègue Burkhard Schaffer avec l'équipe de vitesse masculine en 2005. Il a vécu l'époque dorée des Canadian Cowboys de Guay, François Bourque, Osborne-Paradis, Jan Hudec et John Kucera.

Aux JO de Turin, en 2006, les jeunes Guay et Bourque ont terminé quatrièmes. Aux Mondiaux d'Are, un an plus tard, Hudec a gagné l'argent en descente, où Guay a (encore) fini au pied du podium. En 2009, à Val-d'Isère, Kucera a enlevé le titre, succès inédit pour un Canadien jusque-là. Guay l'a imité deux ans plus tard à Garmisch-Partenkirchen. Aux JO de Sotchi, en 2014, Hudec a mis un terme à 20 ans d'attente en remportant l'argent au super-G.

«Le plus beau moment, ce sont les championnats du monde à Saint-Moritz, il y a deux ans, reprend Dugas. Je vais toujours m'en souvenir: Erik premier, Manny troisième en super-G. Et Erik deuxième [quatre jours plus tard] en descente. Avec trois gars au départ, tu vas chercher trois médailles sur six. C'est une bonne moyenne.»

Tâches multiples

Homme à tout faire, Dugas est un rouage essentiel dans le fonctionnement de l'équipe de vitesse. En plus de l'aspect technique, ses tâches sont multiples: préparation des parcours, transport de l'équipement, conduite d'une camionnette de l'Alberta au Colorado d'une traite. Il a aussi la faculté de détendre l'atmosphère dans les moments tendus. «Tous les jours, j'essaie de créer un moment drôle.»

Sa fierté? Être le seul entraîneur de ski canadien certifié niveau 5. Après les Jeux de PyeongChang, ses huitièmes, il pensait bien rentrer dans ses terres. Mais l'entraîneur-chef Schaffer et Guay l'ont convaincu de revenir pour une autre saison, sa 29e.

«Serge, c'est le gars solide, toujours à l'heure, d'humeur égale, a souligné Guay la veille de l'annonce de sa retraite. Tu sais qu'il va travailler fort, que ça aille bien ou mal. Je l'apprécie beaucoup l'hiver, mais l'été, sur les glaciers, c'est incroyable comment il travaille fort. Il n'est pas jeune non plus; j'aimerais bien avoir sa santé à 67 ans!»

Mais Serge Dugas n'est pas prêt à s'arrêter définitivement. Au printemps, il participera à un camp organisé par Guay pour le groupe de ski de sa fille au mont Édouard. Et en novembre, à Lake Louise, il pensait déjà au retour de Thompson et d'Osborne-Paradis. «Ils auront besoin d'aide, il faudra retravailler leur confiance. Il y en a, de l'ouvrage à faire!»

Photo Michael Probst, archives Associated Press

Mélanie Turgeon a remporté la descente aux Championnats du monde de Saint-Moritz, le 9 février 2008.