Un an après la mort de David Poisson, les skieurs français continuent à repousser les limites sur les pistes glacées. «C'est la vie, elle continue», rappelle le chef d'équipe David Chastan.

Derrière la voix de Johan Clarey, un hélicoptère se fait entendre sur l'enregistrement de l'entrevue. L'appareil décolle pour aller secourir Manuel Osborne-Paradis, victime d'une double fracture à une jambe.

À ce moment-là, personne ne connaît la gravité réelle de la blessure subie par le skieur canadien au premier entraînement de la Coupe du monde de Lake Louise, mercredi dernier.

Tandis qu'Erik Guay se tourmente en haut de la piste, au point de prendre la décision de tirer sa révérence quelques heures plus tard, Clarey, qui vient de terminer la descente, raconte à La Presse les vicissitudes de la vie d'un skieur de vitesse.

À 37 ans, soit le même âge que le nouveau retraité de Mont-Tremblant, le Français est le plus vieux skieur du circuit après l'Autrichien Hannes Reichelt.

«Moi, il n'y a qu'une chose, il n'y a que le plaisir, honnêtement», explique Clarey, qui a songé à se retirer en 2014 après des Jeux olympiques décevants à Sotchi.

«S'il n'y avait pas le plaisir, je ne serais plus là. Ce n'est pas une question d'argent, parce que j'ai des sponsors qui s'occupent bien de moi, mais qui ne sont plus aussi bien qu'avant. Ce n'est pas la gloire non plus ni rien de tout ça. C'est juste le plaisir de faire de la compétition et de faire du ski. Je vis ma passion, et tant que j'ai du plaisir à l'entraînement et en course, je continuerai.»

Physiquement, le skieur de Tignes a eu son lot de problèmes, dont une opération au dos en 2013. «Les vieux descendeurs, on est tous pas très bien», relève celui qui a obtenu quatre podiums en Coupe du monde, dont deux dans des courses remportées par Guay. «J'ai mal au genou droit, j'essaie de faire avec, c'est un peu compliqué. Mais quand ce n'est pas le genou, c'est le dos, quand ce n'est pas le dos, c'est autre chose.»

Détresse

À la douleur physique, il faut ajouter la détresse psychologique. Le 13 novembre 2017, les skieurs français ont vécu la perte de leur coéquipier David Poisson, qui s'est tué à l'âge de 35 ans dans une chute à l'entraînement à Nakiska.

Cette année, les Bleus ont délibérément délaissé la station à l'ouest de Calgary, où ils avaient leurs habitudes, pour poursuivre leur préparation présaison à Copper Mountain, au Colorado. Mais afin de se rendre à Lake Louise, ils ne pouvaient éviter le panneau routier annonçant la sortie pour Nakiska, sur la Transcanadienne.

«Je ne vous cache pas que de revenir au Canada, ça a été un peu spécial pour nous, indique Clarey. De passer pas très loin de Nakiska, où s'est produit l'accident, ça a été compliqué. Il y a plein de souvenirs qui sont ravivés chaque instant ici. C'est juste un cap à passer encore. Il faut beaucoup de temps, ça fait seulement un an que c'est arrivé. Je pense qu'il nous faut encore du temps, mais il y a des moments pas très faciles, ça, c'est sûr.»

Clarey, qui a étonné dimanche avec une septième place en super-G, dit avoir passé la dernière saison sur le «pilote automatique». «J'ai très peu de souvenirs précis de l'année dernière parce que j'étais vraiment un peu dans une détresse psychologique. On ne retient pas parce qu'on est ailleurs. On fait des courses pour les faire, pas pour être performant. On n'est pas dans le moment présent.»

Arrivé en catastrophe en Alberta le jour après la mort de Poisson, le chef de l'équipe masculine David Chastan avait eu à apaiser un groupe anéanti tout en réglant les procédures pour le rapatriement du corps.

«Quand on est dans l'action comme l'année dernière, on ne s'est peut-être pas aperçu de l'impact que ça pouvait avoir, relève-t-il. Avec du recul, après la saison, c'est vrai que ça a quand même été difficile pour les gars. Ils ont été solides de tenir toute la saison.»

Les résultats en ont souffert, mais le podium de Brice Roger (3e), parti avec le dossard 49 au super-G de Kvitfjell, en Norvège, a représenté «un rayon de soleil» en fin de saison pour tout le groupe de vitesse, souligne David Chastan.

«La vie, elle continue»

Avec Clarey, Adrien Théaux était le plus proche de Poisson. Le meneur de l'équipe de France avait terminé septième de la descente de Lake Louise, première épreuve au programme après la mort de Poisson.

«Il fallait penser à nous, il fallait penser au ski, mais ça revenait toujours», relate le Pyrénéen de 34 ans, qui avait enchaîné avec une cinquième place à Beaver Creek. «Moi, j'y ai pensé au départ de chaque course. Ce n'est jamais ce qu'il y a de plus simple. Mais après, il faut essayer, même en pensant à lui, de passer par-dessus tout ça, continuer à avancer. Parce que l'année dernière, on s'était entraînés tout l'été pour la saison et on ne pouvait pas abandonner comme ça. Je pense que c'est ce qu'il aurait aimé aussi. Malheureusement, c'est comme ça, mais la vie, elle continue.»

Un spécialiste en préparation mentale l'a aidé à passer à travers l'hiver. «C'est quand même de la descente et du super-G, il faut prendre des risques, rappelle Théaux. On ne peut pas se permettre d'y aller à 70% puisque des fois, on prend plus de risques quand c'est comme ça.»

Alors les Français font comme les autres et continuent de frôler les limites à 140 km/h sur des pistes glacées comme du béton. Avec sur leur casque un petit collant en forme de coeur pour rappeler le souvenir de leur ami disparu.

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Le plaisir de Svindal

Un peu comme Johan Clarey, Aksel Lund Svindal, huitième (descente) et cinquième (super-G) à Lake Louise, poursuit sa carrière parce qu'il éprouve encore du plaisir sur ses deux planches. Même s'il a tout gagné avec sa médaille d'or en descente aux Jeux olympiques de PyeongChang. Et même si son genou le fait toujours souffrir et qu'un pouce disloqué l'oblige à coller son gant à son bâton avec du ruban gommé. «J'aime le défi», plaide le Norvégien de 35 ans, détenteur de 11 Globes de cristal sur le circuit de la Coupe du monde. «On est une équipe, on voyage partout sur la planète et on essaie d'être les meilleurs au monde dans ce qu'on fait. C'est une chose pas mal cool! On est de bons amis et je ne veux pas abandonner ça.»