Le départ soudain d'Erik Guay va laisser un trou béant dans l'équipe canadienne de ski alpin. Aux yeux de Ken Read, il est le plus grand skieur de l'histoire au pays. Point final.

« Erik est sans aucun doute le meilleur athlète masculin, et Nancy Greene, la meilleure athlète féminine, a exposé l'ex-Crazy Canuck, rencontré vendredi après-midi au Château Lake Louise. Si on parle de la personne qui a eu le plus d'impact, à mes yeux, c'est Erik. Il a été là pendant 15 ans, deux titres mondiaux, trois médailles au total. Les Jeux olympiques ? Tu dois avoir la chance que tous les astres s'alignent. Quatrième et cinquième, on est dans la fourchette... Ça n'a juste pas tout à fait fonctionné. »

En 2002, Read venait d'être nommé président de Canada Alpin (ACA), quand Guay a émergé avec un premier podium à la Coupe du monde de Lake Louise, à l'âge de 22 ans. Après des Jeux olympiques de Salt Lake désastreux, une nouvelle génération avait naturellement pris la place.

« Il avait réussi très, très rapidement. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est devenu champion mondial, a souligné Read. Ça a pris plus de temps à Manny [Osborne-Paradis], plus de temps à Johnny [Kucera], plus de temps à François [Bourque]... À la fin, tu as besoin d'une équipe. Pas seulement d'un athlète. »

Le départ soudain de Guay combiné aux blessures d'Osborne-Paradis et de Broderick Thompson, tous deux finis pour la saison, ont amputé l'équipe masculine de vitesse de plus de la moitié de son effectif.

Benjamin Thomsen, qui participera à la descente samedi, et le Québécois Dustin Cook, prévu seulement pour le super-G demain, sont maintenant seuls pour monter la garde.

« Erik a été l'épine dorsale de l'équipe pendant 15 ans. Manny parti aussi, c'est comme le coeur de l'équipe qui n'est plus là. [...] C'est un grand vide à combler. »

- Dustin Cook

Read, qui a quitté son poste en 2008 quand ses fils ont intégré les programmes d'ACA, note que la transition n'est pas optimale.

« En ce début de saison, il y avait de grands espoirs de voir les athlètes plus vieux servir de mentors aux plus jeunes. [À 24 ans], Brod était ciblé comme un vrai athlète de transition. Soudainement, boum ! À l'approche de la première course, le monde a changé en une semaine, ce qui est très, très difficile à surmonter. »

Read estime néanmoins que cette expérience fait partie du processus d'apprentissage dans ce sport impitoyable. Il croit aussi que les entraîneurs en place sont suffisamment aguerris pour traverser la tempête.

CRAINTES

Le contexte économique est cependant fort différent de celui de 2002. À l'époque, Read avait réussi à attirer de grands commanditaires. Un an plus tard, Vancouver obtenait la présentation des Jeux de 2010, prélude à une véritable manne pour le sport canadien.

Vania Grandi, la nouvelle présidente-directrice générale d'ACA, opère dans un environnement beaucoup plus sombre. Depuis son arrivée en poste, le 1er janvier, cette ancienne skieuse, journaliste et directrice générale du marketing et des ventes chez Rio Tinto à Montréal a visité pas moins de 80 grandes entreprises ciblées. Taux de succès : 0.

À la fin du dernier cycle olympique, trois commanditaires majeurs n'ont pas renouvelé leur partenariat. Le budget de l'équipe alpine a fondu de 20 % pour se chiffrer à 5 millions.

« Pour la Suisse, c'est cinq ou six fois plus, a noté la PDG. Comme pour tous les sports amateurs, c'est difficile de trouver les fonds pour soutenir tous les programmes qu'on aimerait mettre en place. »

Avec seulement deux athlètes actifs dans l'équipe masculine de vitesse, le directeur aux affaires sportives Martin Rufener craint des coupes, mais Mme Grandi s'est faite rassurante.

« Le Canada reste une nation de vitesse. On est peu, mais on doit s'assurer de maintenir le programme et de garder un esprit positif. Dustin Cook est absolument capable de remonter sur le podium en super-G. »

- Martin Rufener

« Vous savez ce qu'on a fait avec les femmes [en 2013] ? On a coupé le programme de vitesse et on a des problèmes depuis des années. On a des garçons qui s'en viennent, mais on doit être très prudents avec eux », a insisté Rufener, d'origine suisse.

PATIENCE

Rufener fait référence au groupe de Coupe d'Europe dirigé par Kucera. Tous au début de la vingtaine, les six membres, dont Jeffrey Read, fils de Ken, ont très peu ou pas d'expérience en Coupe du monde.

« Ce sont de très bons skieurs pour leur âge, mais il faudra attendre deux ou trois ans avant qu'ils soient vraiment compétitifs en Coupe du monde. »

- Erik Guay, à propos de la relève au sein de l'équipe canadienne

L'ex-membre de l'équipe canadienne Kelly VanderBeek, aujourd'hui analyste à la CBC, rappelle que la patience est de mise. « Il faut du temps pour trouver sa vitesse, a-t-elle souligné. En particulier pour les gars, qui atteignent leur maturité physique plus tard que les filles. Et au Canada, ils sont exposés plus tard aux meilleurs skieurs européens. Ça ralentit aussi le processus. »

Sam Mulligan, vice-champion mondial junior de la descente, en est tout à fait conscient. « On ne s'attend pas à être des Erik Guay tout de suite ! », a convenu le Britanno-Colombien de 21 ans. « Mais parfois, les occasions se présentent de façon étrange. Je crois qu'ils veulent qu'on en prenne avantage. Notre plan ne change pas, mais peut-être qu'on sent une plus grande responsabilité. On espère qu'ils seront fiers de nous. »

Pour Ben Thomsen, 31 ans, le départ de Guay représente une occasion de retrouver le plus haut niveau. Le nouveau retraité avait prévu effectuer sa descente d'adieu samedi. Il a plutôt choisi de faire son au revoir symbolique au super-G de demain, quand il a appris que son compatriote obtiendrait un dossard parmi les 30 premiers s'il cédait sa place.

« Pour moi, c'est un remontant », a dit Thomsen, qui vise un retour parmi les 30 meilleurs après quelques saisons gâchées par des blessures aux genoux.

Comme le dit Ken Read : « On doit regarder les petites victoires. [Samedi à la descente], un Canadien dans le top 30, c'est une victoire. Après, on pensera à en avoir deux... »

Dernier entraînement annulé

Le troisième et dernier entraînement en prévision de la descente de samedi a été annulé en raison de conditions météo instables (brouillard et neige). Par ailleurs, Manuel Osborne-Paradis a été opéré jeudi après-midi à Calgary pour sa double fracture au tibia et au péroné subie lors de sa chute à l'entraînement mercredi. « J'ai échangé quelques textos avec lui et il va beaucoup mieux, parce que jeudi, il souffrait beaucoup », a rapporté Martin Rufener. Ce dernier était furieux de la longue attente endurée par son athlète avant son transfert par ambulance de Banff à Calgary, survenu très tard mercredi.