Marie-Michèle Gagnon n'a jamais voulu revoir la chute qui a mis fin à sa dernière saison avant même qu'elle ne commence réellement, le 30 novembre. «Certaines de mes coéquipières le font, mais je n'aime pas regarder mes chutes.»

De toute façon, la skieuse de Lac-Etchemin n'a pas besoin d'avoir visionné la reprise pour décrire, gestes à l'appui, le fin détail de cette chute survenue lors du deuxième entraînement de descente à la Coupe du monde de Lake Louise.

Au dernier virage avant le schuss d'arrivée, le Claire's Corner, elle a relâché la pression un peu trop tôt sur son ski extérieur à l'approche d'un petit saut. Ledit ski a heurté une balle de neige sur le parcours. En voulant le ramener, elle a cogné l'autre ski, ce qui lui a fait perdre l'équilibre.

Quand la skieuse a amorti le choc sur la piste avec sa main gauche, son épaule s'est déboîtée, réminiscence d'une blessure subie aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014 et qui lui avait valu une opération un an plus tard.

Ce n'était pas le pire. En atterrissant dans les filets, elle a eu une drôle de sensation à la jambe droite, coincée vers le haut: une hyperextension qu'elle ne trouvait pas normale.

Les médecins l'ont d'abord rassurée; des manipulations menées à deux reprises laissaient croire que le ligament croisé antérieur était encore en place. Or, un examen d'imagerie par résonance magnétique passé le lendemain a plutôt révélé une rupture complète.

Celle qui n'avait jamais raté un départ de Coupe du monde depuis ses débuts en décembre 2008 savait très bien ce que ça voulait dire. Opération, saison terminée et annulation de sa participation à de troisièmes Jeux olympiques à PyeongChang, où elle pouvait espérer une médaille au super combiné.

Premières amours

Curieusement, cette chute aux conséquences dramatiques - elle s'est également soumise à une deuxième intervention chirurgicale à l'épaule - n'a fait que renforcer son désir de réorienter sa carrière. Après neuf saisons essentiellement consacrées aux épreuves techniques (slalom, slalom géant), elle se destinerait dorénavant à la vitesse (super-G, descente), ses premières amours.

«Juste après la blessure, c'est ce que j'ai dit à mon entraîneur [Manuel Gamper]: c'est ça que je vais faire», a-t-elle relaté lors d'un rare passage à Montréal, la semaine dernière, dans le cadre d'une soirée de financement de Canada Alpin. «Il a dit: c'est sûr, tu as tellement de talent, on va poursuivre dans cette direction.»

À Lake Louise, avant de tomber, Gagnon se dirigeait vers une descente canon. À mi-parcours, elle tenait le meilleur chrono intermédiaire et avait enregistré la vitesse de pointe la plus rapide à 131,65 km/h.

«J'allais probablement gagner l'entraînement, note-t-elle. Je sais que c'est juste un entraînement, mais pour moi, ça veut dire que j'étais à l'aise en vitesse pour quelqu'un qui n'a jamais vraiment performé en descente. Non seulement j'aimais vraiment ça, mais ça allait bien aussi. Ce qui est arrivé en bas, ce n'était que de la malchance. Ça ne m'a pas du tout découragée.»

Elle rappelle que l'Américaine Lindsey Vonn, skieuse la plus prolifique de l'histoire, est tombée au même endroit lors de la course du lendemain. «Il lui est arrivé la même chose, c'est juste qu'elle portait une orthèse, ça lui a sauvé les fesses.»

Gagnon a digéré sa déception mieux qu'elle ne le croyait. «Je suis vraiment restée positive. Ça m'a donné une pause de l'intensité des voyages continuels. Comme j'étais une skieuse multidisciplinaire, j'étais tout le temps dans mes valises. J'ai fêté Noël chez mes parents pour la première fois en 10 ans. Ça m'a permis de passer du temps avec ma famille, mes quatre frères et soeur et leurs enfants qui ne me connaissaient pas. Maintenant, ils savent c'est qui, matante Mimi.»

Rééducation

Gagnon était à Lac-Etchemin pendant les Jeux olympiques. Elle a suivi tous les sports à la télé, dont les épreuves de ski alpin... sauf le super combiné, sur lequel elle avait tout misé.

Coup du destin, son amoureux, le skieur californien Travis Ganong, s'est lui aussi déchiré le ligament croisé antérieur droit un mois plus tard, de même que le ménisque. Le couple d'éclopés est donc passé à travers les étapes de la rééducation ensemble. Quand leurs genoux ont été suffisamment rétablis, ils ont agrémenté leur convalescence d'un voyage de vélo de montagne chez des amis au Mexique.

Sept mois après ses deux opérations, Gagnon est retournée sur ses skis pour la première fois en juillet sur le glacier du Stelvio, en Italie.

Après un autre stage sur neige à Zermatt (Suisse), elle revient d'un séjour de trois semaines et demie au Chili.

«Physiquement, il n'y avait pas de restrictions. Mentalement, la plupart du temps, ça va vraiment bien. Je n'ai pas peur, rien, mais une fois, j'ai failli me planter dans un entraînement de descente. Ce n'était pas à un bon endroit. Je me serais tellement pété la gueule... J'ai utilisé mes capacités physiques pour me ramener. Finalement, c'était une bonne chose. Se faire peur une fois de temps en temps, c'est correct.»

Pas de slalom

Le plan ne change donc pas. Exit le slalom, discipline qui lui a valu deux de ses quatre podiums en Coupe du monde et le sixième rang cumulatif en 2014. Elle n'en fera aucun l'hiver prochain.

Sa préparation minimale entre les piquets ne lui servira que pour le super combiné des Mondiaux d'Åre, en février, où l'épreuve mariant une manche de slalom et une descente sera au programme pour la dernière fois. Même si la Québécoise y a signé ses deux victoires sur le Cirque blanc, elle ne pleurera pas son départ. «Ce n'est pas une discipline aussi reconnue que la descente et je n'en ai jamais vraiment fait une spécialité.»

Pour l'hiver 2018-2019, la fière représentante de l'équipe junior de ski du Mont-Orignal mesure ses ambitions: finir parmi les 15 premières en super-G et retrouver ce rang en slalom géant. La descente, où la connaissance des parcours est un net avantage, demandera un plus long apprentissage. Elle ne compte que sept départs et un seul top 30 dans la discipline reine.

L'entraîneur Manuel Gamper avait évoqué un «projet de deux ans» avant le début de la dernière saison avortée. Pour l'Italien d'origine, cette transition de la technique à la vitesse n'a rien d'inhabituel.

«Seulement du côté des hommes, [l'Autrichien] Michael Walchhofer était slalomeur et il a fini par gagner le Globe de cristal et le titre mondial de la descente, soulignait-il. Il y en a plusieurs comme ça aussi du côté des femmes. [Marie-Michèle] n'a que 28 ans [maintenant 29] et je crois qu'elle a les habiletés pour la vitesse. Avec un peu plus d'entraînement, elle va le démontrer. Et elle a du plaisir, ce qui est très important.»

Malgré la blessure, ce goût de la vitesse ne s'est pas démenti lors du dernier camp au Chili. Sa passion pour le sport s'en trouve même renforcée: «J'ai comme un nouveau coup de foudre pour le ski.»

Gagnon prend donc rendez-vous pour la Coupe du monde de Lake Louise, début décembre, où elle s'assurera seulement de ne pas relâcher la pression sur son ski extérieur dans le Claire's Corner.