Disputée pour la première fois en 1931, la descente du Hahnenkamm, à Kitzbühel, est le rendez-vous incontournable du ski alpin. Ce matin, sur la fameuse Streif, les meilleurs skieurs de la planète rivaliseront d'audace dans l'espoir de passer à la postérité. Avec l'accident d'Hans Grugger, jeudi dernier, il y a déjà un parfum de drame dans l'air. À quelques heures de la course, La Presse a pris la température.

Au petit déjeuner, hier matin, un couple s'interrogeait sur la venue possible d'Arnold Schwarzenegger à la course du Hahnenkamm. Dans la vieille rue piétonnière, les livreurs de bière se dépêchaient d'emplir les kiosques en bois qui font de l'ombre aux façades pastel des hôtels. Plus loin, des employés déroulaient le tapis rouge en prévision de la soirée Audi, l'événement par excellence du gratin politico-culturel autrichien.

À la tabagie, il n'était pas nécessaire de parler allemand pour comprendre la nature des titres des journaux. «Drama auf der Streif», résumait le Kurier. Pendant que le skieur Hans Grugger reposait toujours dans le coma à l'hôpital, les préparations allaient bon train à Kitzbühel, théâtre de la Coupe du monde de toutes les frayeurs et de tous les excès.

Autour du portillon de départ, ce matin, il régnera un silence quasi religieux avant le départ de la 71e descente du Hahnenkamm, le nom de la montagne. De tout temps, la Streif effraie. Bien avant que Grugger n'y frôle la mort à l'entraînement jeudi. «J'ai peur. Je n'ai pas peur de dire que j'ai peur», disait, au sujet de cette piste mythique, le Norvégien Aksel Lund Svindal, l'un des meilleurs skieurs de sa génération, en entrevue la semaine dernière.

Pour Romed Baumann, l'un des plus beaux espoirs du ski autrichien, Kitzbühel a toujours représenté une fête. La sienne, parce qu'il est né le 14 janvier, et celle du ski alpin, le sport national en Autriche. Il est originaire de Hochfilzen, un village du Tyrol situé à 20 minutes de Kitzbühel. «J'ai commencé à skier à 3 ans et j'ai fait ma première course à 5 ans, à la maternelle, a-t-il raconté à La Presse. Ici, chaque maternelle a sa propre course de ski.»

Pour son anniversaire, Baumann suppliait ses parents de l'amener voir les courses. Il garde un souvenir impérissable d'une photo prise avec le champion italien Alberto Tomba.

«J'y ai vu de grandes victoires mais aussi des chutes hilarantes, comme celle de Patrick Ortlieb», dit-il au sujet du champion olympique allemand qui s'était fracturé le fémur en 1999.

Hilarantes? Baumann acquiesce, confirmant que le qualificatif n'est pas attribuable à un anglais approximatif. «La plupart du temps, quelqu'un se fait mal, mais ça fait aussi partie du ski alpin, explique le skieur de 25 ans, cinquième du super-G vendredi. C'est pourquoi tant de gens aiment la descente. C'est comme une course de NASCAR. Les gens aiment les accidents. S'il n'y avait pas d'accidents, personne ne regarderait le NASCAR.»

L'interview avec Baumann s'est déroulée mercredi soir, dans l'hyper chic complexe hôtelier où loge l'équipe autrichienne, moins de 12 heures avant que Grugger ne s'explose sur la piste. Après une opération de cinq heures au cerveau, le blessé reposait hier dans un état critique mais stable à l'hôpital régional d'Innsbruck. Sa vie ne serait pas en danger.

La Coupe du monde de Kitzbühel est à l'Autriche ce que «la Coupe Stanley est pour le Canada», dit Mario Scheiber, coéquipier de Grugger et Baumann. Il s'y connaît en hockey. Il est allé voir deux matchs des Canucks à Vancouver et suit les activités des Sabres de Buffalo et de leur star autrichienne Thomas Vanek.

«Chaque année, c'est spécial pour moi ici», dit Scheiber, deuxième à sa toute première descente à Kitzbühel, en 2008. «Juste ce nom, Streif, est spécial. Rien qu'à l'entendre, on devine que le parcours est très difficile. C'est la même chose pour Monte-Carlo avec la Formule 1.»

À l'image du Grand Prix de Monaco, Kitzbühel égale aussi un débarquement de gens friqués et m'as-tu-vu. Le contraste ne saurait être plus grand avec la Coupe du monde de Wengen, l'autre grande classique présentée en Suisse, qui ressemble davantage à une sortie familiale à la campagne.

Mais il n'y a pas que ces dames en manteau de fourrure et leurs maris dans un duvet luisant à Kitzbühel. Plus de 50 000 spectateurs sont attendus dans l'aire d'arrivée de la descente, aboutissement d'un véritable pèlerinage pour amateurs de ski alpin.

«Depuis la fin des années 80, c'est devenu un événement immense auquel tout le monde veut assister», dit l'Autrichien Gernot Grasser, technicien de l'équipe canadienne. «Des voyages tout inclus sont organisés depuis Vienne, l'Allemagne, la Suisse.»

Les Crazy Canucks ont laissé leur empreinte sur Kitzbühel. De 1980 à 1984, Ken Read, Steve Podborski (deux fois) et Todd Brooker s'y sont successivement imposés. Horst Ebersberg, 75 ans, s'en souvient très bien. «C'était incroyable, c'est comme si la montagne appartenait aux Canadiens», dit ce natif de Kitzbühel, qui a lui-même fini sixième du Hahnenkamm en 1955. M. Ebersberg vit encore dans un chalet situé à quelques centaines de mètres du portillon de départ.

Sur une note plus dramatique, Brooker avait vu sa carrière prendre fin en 1987 après une épouvantable dégringolade dont on parle encore ici. Deux ans plus tard, son compatriote Brian Stemmle s'était presque écartelé quand son ski s'est pris dans un filet de sécurité. Des clôtures plus sécuritaires ont été posées par la suite.

Les Crazy Canucks ont aussi réinventé l'expression «après-ski» lors de soirées bien arrosées au pub Londoner, une institution à Kitzbühel. Depuis, une tradition veut que le gagnant de la descente s'y rende à minuit et assure le service au bar. L'an dernier, le Suisse Didier Cuche, torse nu, s'était prêté au jeu dans une ambiance frénétique.

«Je ne vais plus au Londoner, je laisse ça aux plus jeunes, rigolait Ken Read, en entrevue il y a deux semaines. Je préfère y prendre le thé l'après-midi...»

Récompense ultime, le vainqueur revient durant l'été pour voir l'une des cabines de la gondole Hahnenkammbahn être nommée en son honneur. Entre les noms de Read, Cuche, Zurbriggen, Klammer, Maier, il reste de la place.