Un mois après la mort subite de son père, son plus grand partisan, la skieuse paralympique Frédérique Turgeon a remporté ses deux premières épreuves de Coupe du monde, mercredi et hier, en Croatie. «Je le fais en son honneur et à sa mémoire. C'est mon papa, je l'aime», a-t-elle confié à La Presse.

Le 17 décembre, Frédérique Turgeon est rentrée de Suisse, où elle a ouvert sa saison avec un podium en Coupe d'Europe de paraski. Son père Ronald l'attendait à l'aéroport. Elle lui a offert une casquette de Saint-Moritz, comme elle le fait toujours en revenant d'une course à l'étranger.

En route vers la résidence familiale de Candiac, il a souligné à sa fille à quel point elle progressait, lui a dit qu'elle était sur le point d'atteindre ses buts. À Saint-Moritz, la jeune athlète de 19 ans avait devancé une médaillée des Jeux paralympiques de PyeongChang, où elle avait elle-même fini neuvième en mars.

M. Turgeon avait préparé un pâté chinois pour le souper. En plus de Frédérique, sa femme Sonia et sa fille aînée Raphaëlle étaient autour de la table. La famille de skieurs était réunie. «Il avait mis sa casquette de Saint-Moritz, il n'était pas peu fier», raconte Sonia Paradis. «C'était un moment très heureux, le 17 au soir.»

Pendant la nuit, le coeur de Ronald Turgeon a arrêté de battre pendant son sommeil. Les membres de la famille ont rapidement effectué des manoeuvres de réanimation. Les ambulanciers ont tout tenté avec un défibrillateur. Il n'est jamais revenu à la vie. Il avait 60 ans.

«Il était en parfaite forme, il n'y a eu aucun signe, souligne Mme Paradis. Notre vie a changé sur un 10 cents. Ronald, c'était notre pilier, le papa qui faisait tout pour sa famille.»

Frédérique n'avait que quelques mois quand elle a fait ses premières descentes à Bromont, dans le sac à dos de son père. Quand elle a commencé la compétition, à la suite de sa grande soeur Raphaëlle, d'abord dans le circuit normal, puis en paraski, il est devenu son partisan inconditionnel.

«Mon père et moi, on se rejoignait beaucoup avec le ski, note-t-elle. On en parlait tout le temps. C'était vraiment notre passion commune. Il suivait mes compétitions, même s'il était trois heures du matin pour lui. Quand je recevais ses textos de félicitations, j'étais comme: "Va dormir!"»

Avec un deuil à traverser et des funérailles à préparer, Frédérique Turgeon ne s'est pas entraînée comme prévu à Bromont pendant les Fêtes. «Je n'ai pas fait un virage, dit-elle. Je n'avais pas beaucoup de temps et il y avait beaucoup de choses à faire. Je voulais être là pour ma mère. Pour moi aussi. Mes émotions étaient dures à gérer. Il y a quand même une journée où je m'étais toute préparée pour aller m'entraîner. Au final, je n'étais pas capable, pour la seule raison que j'étais morte de fatigue.»

Les funérailles ont eu lieu le 5 janvier. À sa surprise, son entraîneur Lasse Ericsson avait fait le déplacement depuis la Colombie-Britannique.

Il fallait ensuite décider si, comme il en avait été question, la skieuse participerait à la première Coupe du monde de la saison, à Zagreb, mercredi et hier. Compte tenu de son quatrième rang au même endroit l'an dernier et de ses succès en décembre en Suisse, elle rêvait d'un premier podium en Coupe du monde. « On va aller chercher la médaille pour ton papa », lui a dit son coach.

Samedi, ils se sont donc envolés pour la Croatie en prévision des deux slaloms de Zagreb, disputée sur la même piste où l'Américaine Mikaela Shiffrin s'était imposée 10 jours plus tôt. Malgré les doutes et la fatigue, Turgeon a signé une première victoire mercredi. Elle a renchéri avec un deuxième succès hier.

«Deux médailles d'or, c'est vraiment plus que ce à quoi je m'attendais, dit-elle. C'est un peu rêver pour moi. Surtout qu'une compétitrice qui est ici, [la Slovaque] Petra Smaržová, me dépassait de quelques secondes l'an passé. J'en avais un peu peur. Je suis vraiment contente.»

Mercredi, les rires et les pleurs se sont mélangés pendant l'appel à la maison. «J'étais tellement fière. Pas juste pour moi, mais aussi pour mon père. Je ne peux pas m'imaginer à quel point lui serait fier de me voir réussir comme ça. Je suis très émotive. Je gagne vraiment ces médailles-là en son honneur. J'ai vraiment le goût de lui faire plaisir et d'aller en chercher encore plus.»

Elle en aura l'occasion dès la semaine prochaine alors que Kranjska Gora (Slovénie) et Sella Nevea (Italie) accueilleront les Championnats du monde, du 21 janvier au 1er février. Le calibre sera encore plus relevé, plusieurs compétitrices ayant fait l'impasse sur Zagreb pour se préserver. Si son niveau d'énergie le lui permet, Frédérique Turgeon disputera les cinq épreuves.

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Sur un ski

Frédérique Turgeon est née avec une déficience fémorale congénitale à la jambe droite, qui est de 50% plus courte que la gauche. Elle descend sur un seul ski, appuyée sur deux bâtons adaptés avec deux petits skis aux extrémités. Il n'en a pas toujours été ainsi: jusqu'en 2013, elle skiait sur deux planches, avec sa prothèse. «Elle était avec les autres dans le club de Bromont et je suis certaine que des gens ne réalisaient pas qu'elle avait un handicap», raconte sa mère, Sonia Paradis. Une sérieuse blessure à la jambe droite l'a obligée à réapprendre à descendre sur sa seule jambe gauche. Ce changement radical ne l'a pas empêchée de se qualifier, quatre ans plus tard, pour les Jeux paralympiques de PyeongChang, où elle a fini neuvième l'hiver dernier.