(Palm Springs, Californie) Sur des centaines de kilomètres, l’autoroute 10 reliant Phoenix à Los Angeles, dans le sud-ouest des États-Unis, ressemble à une scène de carte postale.

Deux voies dans chaque direction tranchent une terre aride, sablonneuse. Au lever et au coucher du soleil, loin derrière les cactus et la rare végétation, les montagnes qui découpent l’horizon créent des scènes à couper le souffle. On ouvre l’œil, à la recherche du coyote et du roadrunner (grand géocoucou en français).

Comme on arrive dans la vallée de Coachella, le décor s’industrialise peu à peu. De grandes chaînes de commerce de détail et de restauration apparaissent, entre les publicités géantes d’avocats interpellant les victimes d’accidents de la route.

Puis, sans qu’on s’y attende trop, un aréna. Planté à même la voie de service, en plein milieu d’une région où la chaleur est décrite comme insoutenable quatre mois par année.

Cet amphithéâtre, c’est le domicile des Firebirds de Coachella Valley, nouvelle franchise de la Ligue américaine et club-école du Kraken de Seattle.

La Presse s’est rendue sur place, une semaine avant Noël, à l’occasion du match inaugural de l’équipe, à la découverte d’un marché où n’existe aucune tradition de hockey.

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L’Acrisure Arena est planté au beau milieu du désert, tout près de l’autoroute 10 reliant Phoenix à Los Angeles.

Éclectique

Pour le public québécois, l’unique référent lié au nom Coachella est son célèbre festival de musique, l’un des plus importants et influents de la planète. Spontanément, on aura en tête l’image d’une foule de jeunes qui font la fête, dans une ambiance hippie chic, avec les fleurs dans les cheveux et les tenues légères de circonstance.

Définir la région par ce seul évènement serait toutefois l’équivalent de réduire Montréal à son week-end du Grand Prix. Les 51 semaines de l’année où n’a pas lieu le festival, la ville d’Indio, qui l’accueille, retrouve son anonymat.

La vallée de Coachella, en Californie, se trouve à un peu moins de 200 kilomètres à l’est de Los Angeles, dans le désert du Colorado. Quelque deux heures de voiture suffisent pour atteindre la frontière mexicaine. Son chef-lieu est Palm Springs, connue pour ses spas, ses terrains de golf et ses communautés de retraités. En roulant vers son centre-ville, entre les palmiers et les maisons cossues, on ne se sent pas exactement en terre de hockey, disons.

L’impression ne change pas lorsque, 25 bonnes minutes après avoir dépassé l’aréna, on atteint le cœur de la ville. Le principal quadrilatère est touristique au possible, où se succèdent les restaurants et les boutiques de toutes sortes, où l’on retrouvera des articles de luxe comme des souvenirs bon marché.

À la veille du premier match des Firebirds, ce samedi matin ne pourrait être plus paisible. À deux pas des rues commerciales, une voiture suspendue constitue la pièce maîtresse d’une exposition en plein air du musée d’art contemporain situé juste à côté. Un peu plus loin, des curieux se prennent en photo devant une réplique géante de Marilyn Monroe.

  • Au centre-ville de Palm Springs se succèdent les restaurants et les boutiques de toutes sortes, où l’on trouvera des articles de luxe comme des souvenirs bon marché.

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    Au centre-ville de Palm Springs se succèdent les restaurants et les boutiques de toutes sortes, où l’on trouvera des articles de luxe comme des souvenirs bon marché.

  • Vue du centre-ville de Palm Springs et de son « Allée des étoiles »

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    Vue du centre-ville de Palm Springs et de son « Allée des étoiles »

  • À deux pas des rues commerciales, une voiture suspendue constitue la pièce maîtresse d’une exposition en plein air du musée d’art contemporain.

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    À deux pas des rues commerciales, une voiture suspendue constitue la pièce maîtresse d’une exposition en plein air du musée d’art contemporain.

  • Le restaurant Oscar’s présente chaque samedi le « Bitchiest Brunch », à la fois un déjeuner et un spectacle de drag-queens.

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    Le restaurant Oscar’s présente chaque samedi le « Bitchiest Brunch », à la fois un déjeuner et un spectacle de drag-queens.

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Une clameur attire l’attention du représentant de La Presse. Sur une terrasse qu’on aperçoit partiellement de la rue, une centaine de personnes déjeunent devant un spectacle de drag-queens. Sur la scène, Anita Rose donne tout son sens au nom de l’évènement qu’elle anime, le « Bitchiest Brunch » [le brunch le plus malicieux]. Le public, comblé, en redemande.

Au fil des conversations avec des résidants, le mot « éclectique » est celui qu’on entend le plus souvent pour parler de la région. Si les snowbirds québécois optent traditionnellement pour la Floride, ceux de l’ouest du continent choisissent Palm Springs. Selon le Bureau américain du recensement, 32,4 % de sa population permanente est âgée de 65 ans et plus, deux fois la moyenne nationale. La tendance est semblable dans les villes avoisinantes.

Dans la région réside également une importante représentation hispano-américaine, qui constitue le quart de la population de Palm Springs et les deux tiers de celle d’Indio, ville la plus populeuse de la vallée.

« On est un mélange intéressant de cols bleus, de fermiers et de retraités », résume, en riant, Matthew Royer. Cet aiguiseur de couteaux, croisé au marché public de Palm Springs, est rentré dans ses terres après avoir étudié sur la côte pacifique.

« Et de touristes ! ajoute-t-il pour compléter sa liste. Ce n’est pas une région métropolitaine du tout, encore qu’il y ait quelques festivals… Les gens veulent venir vivre des choses ici. Huit mois par année, c’est le paradis. Mais de juin à septembre, c’est l’enfer. Il fait plus de 40 tous les jours. Alors ouais… c’est un mix bizarre ! »

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Matthew Royer, aiguiseur de couteaux croisé au marché public de Palm Springs

Capitale gaie

Ce « mix » n’est pas encore arrivé au bout de sa description. Palm Springs est aussi une véritable capitale gaie à l’échelle du pays.

Au début des années 2000, Ron Oden est devenu le premier maire afro-américain ouvertement homosexuel de l’histoire du pays. Aux élections municipales de 2018, la population a élu un conseil de ville entièrement composé de membres de la communauté LGBTQ+. Une première, là aussi. « Les nids-de-poule n’ont pas de genre », a d’ailleurs déclaré la conseillère trans Lisa Middleton au Guardian peu après son élection.

Selon certaines estimations, jusqu’à la moitié de la population de Palm Springs s’identifierait comme LGBTQ+.

Sunny Bella Harmon, employé d’un café dans la jeune vingtaine, a déménagé ici l’année dernière. À sa demande, nous utilisons le masculin pour le désigner.

Après avoir grandi à Fresno, ville rurale située au nord de Los Angeles, il a cherché à s’établir dans « un endroit avec plus d’acceptation », à plus forte raison au terme des quatre années de la présidence de Donald Trump. Jamais, dans sa région natale, il ne lui serait venu à l’idée de déambuler en public en tenant sa copine par la main.

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Après avoir grandi dans une petite ville rurale, Sunny Bella Harmon a déménagé à Palm Springs l’année dernière.

« Je crois que c’est important pour les personnes queer de ne pas juste aller dans les grandes villes, ajoute celui que La Presse a rencontré dans un café. En sortant les poubelles, tout à l’heure, j’ai vu des drag-queens fumer une cigarette dehors. Elles étaient magnifiques. Personne ne les regardait de travers. »

JoAnn Lopez a fait le même constat lorsque son épouse et elle ont déménagé à Palm Springs en 1988. Au cœur de l’épidémie de sida qui sévissait à l’époque, celle qui faisait de la prévention contre le VIH s’est « toujours sentie à l’aise » dans ce milieu de vie.

À l’époque, néanmoins, la présence d’une population âgée, plus conservatrice, créait un certain clivage. « C’était davantage “ eux ” et “ nous ”. Mais ç’a complètement changé depuis », ajoute cette retraitée qui, lorsque nous l’avons rencontrée, s’apprêtait à attaquer un après-midi de jeux de société au « Centre communautaire LGBTQ du désert », établi à un jet de pierre du centre-ville.

Avant qu’on la laisse à son groupe d’amis, Mme Lopez souligne avec fierté qu’elle a ses billets pour le match de hockey du lendemain. C’est, après tout, le prétexte qui nous a amené ici.

Tout nouveau, tout beau

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Les Firebirds ont procédé à une électrisante cérémonie d’avant-match, à quelques minutes de la toute première rencontre locale de l’histoire de la franchise.

Le lecteur avisé l’aura remarqué : rien, dans la description de la vallée de Coachella, ne rappelle une publicité de Tim Hortons, dans laquelle maman se lève avant le soleil pour jeter le sac de hockey de fiston dans le coffre de la voiture.

En fait, jusqu’à récemment, ces images n’auraient même pas pu être filmées ici. L’Acrisure Arena, domicile des Firebirds, héberge en effet les deux seules patinoires de la région. La bâtisse contenant une glace à Cathedral City, non loin de là, a été convertie en entrepôt pendant la pandémie de COVID-19. La patinoire, de toute façon, n’était pas de taille réglementaire pour un match de la LNH.

Steve Fraser, président des Firebirds, le résume simplement : « Il n’y a pas eu de hockey dans ce coin de la vallée depuis trois ans. »

Ce natif de l’Indiana est devenu un spécialiste des marchés émergents. À sa sortie de l’université au début des années 2000, il a été embauché par les Stingrays de Charleston, équipe de l’ECHL établie en Caroline du Sud, à une époque où le hockey était encore une nouveauté dans ce coin de pays. En 2015, il a collaboré à la naissance du Reign d’Ontario, en Californie, club-école des Kings de Los Angeles. C’est d’ailleurs cette organisation qu’il a quittée pour prendre la tête de la future franchise établie à Palm Springs.

La Presse l’a rencontré dans les hauteurs de l’Acrisure Arena à quelques heures du match inaugural des Firebirds. Majoritairement bâti sous terre, afin de contrer la chaleur du désert, l’édifice ne paie pas de mine de l’extérieur. L’intérieur est toutefois somptueux, totalement en phase avec la qualité des amphithéâtres les plus récents de la LNH. Le groupe derrière l’aréna est d’ailleurs celui qui a imaginé le fabuleux domicile du Kraken de Seattle.

ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE WEB DE L’ACRISURE ARENA

Majoritairement bâti sous terre, afin de contrer la chaleur du désert, l’édifice ne paie pas de mine de l’extérieur.

Au moment de notre passage, les lieux sentaient la peinture fraîche. L’inauguration avait eu lieu l’avant-veille, avec le passage des humoristes Dave Chappelle et Chris Rock.

Lorsqu’on énumère les caractéristiques démographiques qui ne sont pas exactement celles d’un marché de hockey traditionnel, Fraser sourit. « Nos études marketing se sont basées sur d’autres statistiques », dit-il.

Les nombreux retraités du coin, même s’ils ne font pas partie de la population active à proprement parler, sont perçus comme un public recherché. Ceux qui sont de passage pendant l’hiver proviennent de l’Ouest canadien ou du Nord-Ouest américain. « Leur familiarité avec le hockey est évidente, note le président du club. Ils ont la capacité financière de venir assister à des concerts ou à des matchs. »

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Une enseigne lumineuse installée dans l’aréna

Les premiers

Autre argument de poids : les Firebirds sont, tous sports confondus, la première équipe professionnelle du coin. Du sport de haut niveau est pratiqué dans la région – pensons notamment au tournoi de tennis d’Indian Wells –, mais aucune franchise n’y est domiciliée en permanence.

La naissance des Golden Knights de Vegas, en 2017, a démontré à quel point une population peut s’enticher rapidement de « son » équipe, même si celle-ci pratique un sport qui n’est pas enraciné dans sa culture. On se lance le même pari dans la vallée de Coachella, et jusqu’ici, la réponse est résolument positive.

Quelque 5000 abonnements de saison, ce qui représente la moitié de la capacité de l’édifice, ont rapidement trouvé preneur.

La communauté est emballée.

Steve Fraser, président des Firebirds de Coachella Valley

Bien qu’il se soit agi d’un évènement spécial et, surtout, inédit, son affirmation semblait avérée. Le grand soir venu, l’ambiance était survoltée. La fébrilité était palpable parmi les partisans qui, autour de l’aréna décoré pour Noël – nous étions le 18 décembre –, faisaient la queue pour entrer.

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La fébrilité était palpable parmi les partisans autour de l’aréna décoré pour Noël.

À l’intérieur, les joueurs ont été accueillis par la foule comme si elle les connaissait depuis des années. Après chaque but des locaux, un hurlement strident d’oiseau résonne, clin d’œil au nom de la franchise. En troisième période, dans une ambiance de carnaval, un groupe de mariachis interprète, sur place, Ring of Fire, de Johnny Cash.

Les Firebirds l’emportent finalement 4-3 contre les Roadrunners de Tucson. En faisant le tour de la patinoire après avoir reçu l’une des étoiles de la rencontre, le gardien Joey Daccord a lancé des signes de reconnaissance à la foule, à la manière des joueurs de soccer. Lui-même un amoureux du ballon rond, l’ancien des Sénateurs d’Ottawa a expliqué après coup vouloir s’« engager » le plus possible avec ce nouveau public, afin de « lui montrer qu’on l’apprécie ». C’est la troisième fois, depuis les rangs universitaires, qu’il a l’occasion de jouer pour une nouvelle franchise. « Chaque fois, c’est super », lance-t-il.

La frénésie n’est pas restée aussi intense depuis, encore qu’avec un peu moins de 7300 spectateurs par match, les Firebirds arrivent au cinquième rang de la Ligue américaine pour les foules locales les plus imposantes.

Il y a toutefois, sans l’ombre d’un doute, quelque chose qui se passe dans le désert de la Californie. Seul le temps dira si le succès passera le test de la longévité.

Le coup de départ, néanmoins, a été réussi.