Sur le coup, Samuel St-Laurent n’a pas du tout pensé à ça, mais quand il a quitté la glace de l’aréna Joe-Louis de Detroit, le 8 février 1990, c’est un bout de l’histoire du hockey qui est parti avec lui.

De ce match entre Detroit et Chicago, le grand livre des récits du hockey a retenu bien peu de choses, mais en prenant la relève de Glen Hanlon ce soir-là devant le filet des Red Wings, le temps de son dernier tour de piste dans la LNH, St-Laurent est devenu le dernier gardien à jouer avec un masque de type première génération en fibre de verre.

« J’ai jamais pensé à ça, j’ai jamais vérifié si c’était vrai, mais c’est ça que tout le monde me dit, alors ça doit être vrai ! commence par expliquer l’ex-gardien au bout du combiné. On m’en parle assez souvent, mais c’est pas la chose la plus importante de ma vie. »

Il n’y a aucun film qui a été fait sur le sujet, et le dernier masque de Sam St-Laurent n’est pas non plus accroché à un mur au Temple de la renommée (« il est chez moi quelque part », dit-il). Mais une page a été tournée ce soir-là à Detroit, un peu plus de 30 ans après l’apparition du premier masque du genre, porté de manière inattendue par Jacques Plante devant le filet du Canadien à New York, le 1er novembre 1959.

Le geste de Plante et sa symbolique auront autrement marqué le hockey, et son masque allait par la suite faire époque. À partir de la décennie suivante, et jusqu’au tournant des années 1980, la vaste majorité des gardiens de la LNH allait porter ce type de masque, avec des trous au niveau des yeux et aussi bien souvent au niveau de la bouche.

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Samuel St-Laurent en 1986

Sam St-Laurent, lui, était bien loin de penser à tout ça au moment d’arriver sur les glaces de la LNH en 1985-1986. Ce gardien originaire d’Arvida avait passé le plus clair de son temps dans les ligues mineures avant d’obtenir une audition de quatre matchs avec les Devils du New Jersey cette saison-là.

Il passera ensuite aux Wings, avec lesquels il disputera 30 matchs lors des quatre saisons suivantes.

« Quand j’ai fini par arriver dans la ligue, j’ai vu que les plus jeunes jouaient avec des masques qui ont des grilles, les mêmes qu’on voit aujourd’hui, poursuit-il. Mais moi, j’étais habitué avec l’autre modèle. Il n’y avait pas de barre devant les yeux et j’aimais mieux ça, je voyais mieux la rondelle arriver de cette façon. »

Dans mon temps, on était moins gros, l’équipement était beaucoup plus petit. Je me tenais debout et il fallait savoir où la rondelle allait aller… c’est comme ça qu’on jouait.

Samuel St-Laurent

Mais à une époque, les années 1980, où les lancers commençaient à devenir de plus en plus lourds, les braves comme St-Laurent, qui osaient s’aventurer avec un masque d’autrefois devant le filet, se faisaient de plus en plus rares. Parce que ça commençait à devenir un peu hasardeux que de se tenir devant Brett Hull ou Al Iafrate avec comme seule protection quelques millimètres de fibre de verre sur le visage.

« J’ai reçu la rondelle en pleine face une couple de fois, admet St-Laurent. Je me souviens d’un match contre Chicago, la rondelle est arrivée du cercle des mises en jeu directement dans ma face. J’ai fait une légère commotion, comme on dit… »

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Samuel St-Laurent en action au Forum de Montréal

Pourtant, le gardien québécois avait vu de très près les dangers liés aux masques en fibre de verre lorsqu’il était arrivé dans l’organisation des Flyers de Philadelphie, en 1979-1980 ; la saison précédente, une lame de bâton dans l’œil avait mis fin à la carrière du célèbre Bernard Parent, mal protégé par son masque.

« Je suis arrivé dans l’organisation des Flyers un an après ça et je portais un masque semblable à celui de Bernard, de rappeler St-Laurent. Je ne sais pas si c’était si dangereux. Combien de gardiens ont subi la même blessure en portant ce masque-là ? De toute façon, je n’ai jamais pensé à ça. C’était quoi, les autres options ? On disait que le casque avec la grille, ce n’était pas fiable, parce que la grille pouvait casser… »

Il faut se rappeler qu’avant nous, les gardiens ne portaient pas de masque !

Samuel St-Laurent

Aujourd’hui, Samuel St-Laurent est opérateur de machinerie à Marieville, et il est bien loin du monde du hockey, après avoir été entraîneur des gardiens chez les Rangers de New York jusqu’au lock-out de 2004. Mais il demeure associé à ce petit bout d’histoire qui a marqué le hockey à sa manière.

« Je me souviens qu’après mon départ, deux autres gardiens, dont Grant Fuhr, avaient parlé de s’affronter une dernière fois en portant leurs vieux masques, mais finalement, ils l’ont jamais fait… probablement qu’ils se sont fait dire que c’était trop dangereux ! »