(Anaheim, Californie) Cela fait plus de 12 ans que Michael Matheson connaît Jonathan Drouin.

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À l’adolescence, les deux ont passé une saison ensemble chez les Lions du Lac-Saint-Louis, dans les rangs midget AAA. Le défenseur aujourd’hui âgé de 29 ans sait donc de quoi il parle lorsqu’il évoque l’amour du hockey de son coéquipier, qui faisait la pluie et le beau temps dans les arénas de la province à l’époque.

« Il ne voulait jamais rentrer chez lui, il était vraiment heureux sur la patinoire », a raconté Matheson, tard vendredi soir, après la défaite de 3-2 de son équipe contre les Ducks d’Anaheim.

On voyait à quel point il adore le hockey. On savait que c’était un joueur spécial, qui connaîtrait du succès dans la LNH.

Michael Matheson, au sujet de Jonathan Drouin

Le succès n’a pas nécessairement été celui qu’on attendait de Drouin vu son pedigree et son immense talent. En a témoigné la disette de quelque 14 mois sans but qu’il vient de traverser. Son amour du jeu, toutefois, ne se dément pas. Il suffit de discuter avec lui quelques instants pour le réaliser. Ou de regarder en boucle la séquence au cours de laquelle il a marqué, tôt en première période contre les Ducks.

Après que le gardien John Gibson eut mal maîtrisé le tir bas de Matheson — tiens donc —, Drouin a sauté sur le disque libre et l’a poussé dans une cage béante. Sa célébration a bien illustré l’importance que ce but représentait pour lui. Un bonheur franc, un sourire radieux, au milieu des cris et des accolades de ses coéquipiers.

« C’était le fun, c’était drôle, a dit Drouin après la rencontre. C’est des moments qui sont cool, même si l’attente a été un peu trop longue. »

D’abord un fabricant de jeux, il n’a jamais été identifié comme un marqueur naturel. Par le passé, pendant une longue sécheresse, il a d’ailleurs invité les observateurs à s’intéresser à la colonne de chiffres à la droite des buts, soit celle des mentions d’aide. À juste titre.

Or, « n’importe quel athlète va le dire : quand une colonne est à zéro, tu veux trouver une façon de marquer un but », a-t-il avoué. « Tu essaies de ne pas y penser, mais tu ne peux pas éviter tout ce qui te passe par la tête. Je devais continuer de jouer ma game. Je suis content, car j’ai été récompensé ce soir. »

Passer à autre chose

Le fait que Drouin marque enfin un but le soir même de la fin de la période des échanges de la LNH frappe certainement l’imaginaire.

Le Québécois, qui sera sans contrat à la fin de la présente saison, n’avait pas caché qu’il aurait volontiers changé d’adresse pour avoir la chance de gagner la Coupe Stanley. Il l’a encore évoqué vendredi soir.

On le sait, ce n’est pas arrivé. Le directeur général Kent Hughes a expliqué, un peu plus tôt en point de presse, que le salaire de Drouin avait été un obstacle à la conclusion d’un marché.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le directeur général Kent Hughes

Il est difficile de croire que son incapacité à marquer ait échappé aux autres équipes du circuit. Car le cas de Drouin est unique. De tous les attaquants de la ligue ayant disputé au moins 35 matchs, seulement deux sont désormais privés de but — Jake Leschyshyn et David Gustafsson, des joueurs de quatrième trio. Et de tous ceux qui ont amassé au moins 15 points, personne n’a marqué moins de quatre buts. Sauf Drouin.

Ce dernier a expliqué que, comme son coéquipier Joel Edmundson, notamment, il avait vécu des heures stressantes. « Maintenant que j’ai un enfant, je pense à plus de choses qu’avant, a-t-il avoué. Si [un échange] arrivait, je ne serais pas le seul à déménager. Je pensais à toutes les choses qui pouvaient changer. »

Dans les circonstances, le fait de rester à Montréal était un moindre mal.

Je suis heureux ici, heureux de passer à autre chose.

Jonathan Drouin

Il n’empêche que depuis quelque temps, l’ailier évoque son passage au sein du Tricolore au passé, sinon comme un chapitre qui tire à sa fin. Conscient qu’il a suscité des émotions mitigées au sein du public, « j’ai adoré mon expérience », a-t-il répété vendredi. « Je l’adore encore », a-t-il précisé.

Fin de cycle

Il n’est pas dupe pour autant. Tous les signes convergent vers une fin de cycle. Interrogé au sujet d’une possible prolongation de contrat, Kent Hughes a indiqué qu’il était « prématuré » de s’avancer à ce sujet et que la direction « regarder[ait] les derniers matchs pour l’évaluer et voir ce qui arrivera ». On a déjà vu plus touchante déclaration d’amour.

Ses coéquipiers ont été plus chaleureux à son endroit. « On était vraiment contents après son but », a affirmé Michael Matheson, qui était de la mêlée de félicitations.

PHOTO MARK J. TERRILL, ASSOCIATED PRESS

Jonathan Drouin célébrant avec ses coéquipiers

« On l’adore, a ajouté Joel Edmundson, qui se trouvait au banc lorsque Drouin a marqué. On était tous excités. Lui aussi, ça se voyait à son sourire. C’est cool qu’il ait enfin marqué ce but. On lui souhaite qu’il continue comme ça. »

Les 20 matchs qui restent à la saison du Canadien serviront vraisemblablement de tournée d’adieu pour Jonathan Drouin. Comme rarement auparavant, la quasi-totalité du poids sur ses épaules a disparu. La pression d’atteindre les séries éliminatoires. L’incertitude liée à une transaction. Les impératifs individuels demeurent, puisqu’il devra dénicher un nouveau contrat ; il arrive toutefois au deuxième rang des pointeurs du CH depuis le début de l’année 2023. Quelqu’un aura du boulot pour lui.

Autant sur la glace qu’en personne, on le sent libre, en paix. Il peut donc jouer au hockey, tout simplement.

Faire, en somme, ce qu’il adore.

En hausse

Jesse Ylönen

Il n’est pas spectaculaire, mais il gagne en assurance, autant dans son territoire qu’en zone adverse. Même si ça ne se traduit pas en points, c’est une bonne note dans son cahier. Il a en outre décoché trois tirs au but.

En baisse

Chris Tierney

PHOTO MARK J. TERRILL, ASSOCIATED PRESS

Cam Fowler (4) et Chris Tierney (67) bataillant pour la rondelle

Le quatrième trio du Canadien s’est retrouvé, bien malgré lui, longtemps opposé aux attaquants les plus dangereux des Ducks. Sans surprise, ça n’a pas tourné à l’avantage des hommes en blanc. Mais…

Le chiffre du match

2

Le même Tierney, tout en connaissant une soirée difficile, a bloqué, depuis le haut de l’enclave, deux tirs absolument foudroyants. Il en a été quitte, chaque fois, pour un retour au banc dans la douleur.

Dans le détail

Edmundson n’a pas dormi

Joel Edmundson n’avait pas fait de cachette la veille : il souhaitait de tout cœur être encore un membre du Canadien après l’heure limite des transactions dans la LNH, vendredi après-midi. Son souhait a été exaucé, mais les heures ont été longues avant que le défenseur soit fixé sur son sort. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit. Et la sieste d’avant-match ? « Je n’ai pas dormi du tout, a-t-il avoué. J’ai hâte au congé [de samedi]. » À l’évidence, son niveau de stress était élevé. « Tu peux déménager dans un pays différent, dans un autre fuseau horaire, devoir ramasser tes affaires… C’est un gros changement », a noté celui qui semble avoir été marqué par une transaction surprise, en 2019, qui l’a envoyé des Blues de St. Louis aux Hurricanes de la Caroline. Après son deuxième match au retour de sa longue convalescence, il s’est dit « fatigué », pour des raisons évidentes. Mais « content d’être resté à Montréal ».

Nouvelle amitié

Michael Matheson semble s’être trouvé un nouveau meilleur ami. En fin de deuxième période, la jeune sensation Trevor Zegras et lui se sont sommairement chamaillés, semblant en avoir long à se raconter. Puis, en début de troisième, le défenseur du Canadien a envoyé son adversaire les quatre fers en l’air derrière le filet du Tricolore. Zegras s’est vengé avec un coup de bâton. Matheson n’a pas semblé faire de grand effort pour ne pas tomber, et l’attaquant des Ducks a été puni, soulevant la colère de la foule. Jusqu’à la fin du match, le Montréalais a été copieusement hué chaque fois qu’il touchait au disque. Souriant lorsqu’on a évoqué la séquence avec lui, Matheson a répondu que le public avait simplement vu à l’œuvre « deux gars passionnés qui travaillaient fort pour gagner ». Zegras, a-t-il souligné, est très volubile sur la patinoire, mais il n’a pas voulu le critiquer pour autant. « C’est à moi de ne pas me laisser déranger par ce qu’il dit et ce qu’il fait », a-t-il conclu.

La fierté pas à moitié

La visite du Canadien coïncidait avec la Soirée de la fierté des Ducks, en solidarité avec la communauté LGBTQ+. L’organisation, pour l’occasion, n’a lésiné sur aucun effort. Des arcs-en-ciel mur à mur dans l’aréna et même à l’extérieur de l’édifice, des uniformes spéciaux pour l’échauffement, le ruban de différentes couleurs sur les bâtons, toutes sortes de produits promotionnels… Tout a été soigneusement planifié, jusqu’aux hymnes nationaux, chantés par la « Chorale des hommes gais du comté d’Orange », chaudement applaudie. On était à des années-lumière des Rangers de New York et des Flyers de Philadelphie qui, pour des raisons plus que vaseuses, ont annulé leur soirée thématique respective. Le Canadien, au fait, tiendra la sienne le 6 avril prochain au Centre Bell. On nous souffle à l’oreille que « tout est prêt ».