(Kanata) À pareille date, il y a un an, Sarah Nurse n’en menait pas large.

À quelques semaines des Jeux olympiques de Pékin, il était hors de question pour elle de sauter sur la glace. Aux prises avec une sérieuse blessure à un genou, elle était loin d’être assurée d’être remise à temps pour les JO. Son moral, forcément, n’était pas au plus haut.

Il y a donc quelque chose de spectaculaire à l’entendre aujourd’hui exprimer le souhait que « 2022 ne finisse jamais ».

Si Marie-Philip Poulin a récemment reçu le titre d’athlète de l’année au pays, on peut certainement attribuer celui de la personnalité de l’année dans le monde du hockey à Sarah Nurse.

La native de Hamilton a remporté la médaille d’or avec la formation canadienne à Pékin, où ses 18 points en 7 matchs ont établi un record olympique. L’été venu, nouvelle médaille d’or, cette fois au Championnat du monde, au Danemark.

Juste là, il y a déjà une candidature hautement méritoire. Mais son ascendant a largement transcendé les portes des arénas.

C’est aussi au cours des derniers mois qu’elle est devenue la première femme à se retrouver sur la couverture de la célèbre franchise de jeux vidéo NHL.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @EASPORTS

Trevor Zegra et Sarah Nurse sur la couverture du jeu vidéo NHL 23

Plutôt que de miser sur un seul joueur, comme c’était le cas depuis presque 30 ans, le studio Electronic Arts a opté pour un duo. Avec Trevor Zegras, des Ducks d’Anaheim, Nurse a été de toutes les campagnes promotionnelles du jeu.

Et voilà qu’à la fin de l’année, le prestigieux magazine Forbes l’a incluse dans sa liste des 30 athlètes de moins de 30 ans les plus influents en Amérique du Nord. Le seul autre hockeyeur du groupe ? Connor McDavid. Ce n’est pas la pire des compagnies.

« C’était un courriel assez cool à recevoir ! », s’exclame en riant celle que La Presse a rencontrée le 10 décembre dernier à Kanata, en banlieue d’Ottawa, en marge d’un évènement de l’Association des joueuses professionnelles – PWHPA, en anglais.

Titulaire d’un diplôme universitaire en administration, Nurse est abonnée à Forbes depuis des années. Elle mesure donc pleinement ce que signifie cette reconnaissance.

« Ça me rappelle tout le chemin que j’ai parcouru et toutes les personnes qui m’ont aidée à y parvenir », dit-elle.

Tout au long de l’entretien, jamais l’attaquante de 27 ans ne ramènera à elle-même ses succès et ses honneurs des derniers mois. Au sujet des Jeux olympiques, elle mentionne à quel point toutes les joueuses de la formation étaient « sur la même longueur d’onde », presque fusionnelles. Au sujet de sa production offensive en Chine, elle envoie les compliments à ses partenaires de trio Marie-Philip Poulin et Brianne Jenner. « Si quelqu’un m’avait dit, il y a cinq ou dix ans, que j’allais jouer avec deux des meilleures joueuses du monde… lance-t-elle, songeuse. J’ai des frissons juste d’y repenser ! »

« Elle n’a pas un gros ego, et pourtant, elle en aurait le droit avec toute l’attention qu’elle reçoit, témoigne la défenseure Jocelyne Larocque, coéquipière dans l’équipe nationale. Elle ne laisse rien lui monter à la tête. Elle travaille fort, elle est humble, tellement gentille… C’est un modèle pour tout le monde. »

PHOTO JOHN LOCHER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Sarah Nurse célèbre un but marqué contre les États-Unis, il y a quelques jours, dans la Série de la rivalité.

Modèle

Cette notion de modèle est au cœur de l’explosion de sa notoriété.

Le hockey féminin étant, encore à ce jour, en déficit de reconnaissance par rapport à son pendant masculin, les joueuses sont de perpétuelles porte-parole. Pas une journée ne passe sans qu’elles défendent la légitimité de leur sport, qui est peu couvert entre les tournois olympiques.

Fille d’un immigrant trinidadien, Sarah Nurse a, en plus, dû franchir la barrière que représentait la couleur de sa peau, dans un sport dont les participants sont très majoritairement blancs.

Choquée par le meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis en 2020, elle a pris la plume et signé un texte percutant sur le site du Park Journal, plateforme qui donne la parole aux athlètes. Intitulé « J’ai ma place ici » [I Belong Here], son témoignage met l’accent sur la manière dont elle a toujours répondu aux attaques sexistes et racistes dont elle a été la cible : en donnant son maximum sur la glace.

Lisez le texte de Sarah Nurse (en anglais)

« Je ne me suis pas toujours sentie la bienvenue dans le hockey », souligne-t-elle au cours de la rencontre avec La Presse. Même si elle a encore une longue carrière devant elle, l’Ontarienne a déjà une bonne idée de l’« héritage » qu’elle voudra laisser : « Que tout le monde se sente important, sache qu’il a une valeur, qu’il a sa place. »

C’est d’ailleurs ce qu’elle avait en tête lorsqu’elle a conclu une entente avec Electronic Arts. Des pourparlers avaient informellement été amorcés au cours de l’été 2021. Après sa performance hors du commun aux JO, une offre formelle a été déposée. Avant de l’accepter, Sarah Nurse a posé une condition non négociable. Celle d’une « intégration authentique ».

« Je leur ai demandé ce qu’ils cherchaient exactement », raconte-t-elle.

Pourquoi me voulez-vous là ? Est-ce juste pour cocher une case ? Ils ont répondu qu’ils voulaient deux joueurs professionnels, que Trevor et moi serions toujours au même niveau, sur toutes les couvertures, dans toutes les promos. C’était primordial pour moi. Je pense qu’ils ont fait un très bon travail.

Sarah Nurse

À quel point cette crainte de « cocher une case » est-elle présente dans sa vie ?

« Tout le temps, répond-elle. Ce ne sont pas tous les partenariats qui sont authentiques. Certains veulent pouvoir dire qu’ils ont montré une femme, ou une femme noire, juste pour cocher cette case. Je ne signe plus jamais aucune entente avant d’être heureuse et satisfaite à 100 %. »

PHOTO LINDSEY WASSON, ASSOCIATED PRESS

Aux Jeux olympiques de Pékin, Sarah Nurse a marqué 18 points en 7 matchs, établissant un record olympique.

Ambassadrice

Cette affirmation de soi vient forcément avec l’expérience. Avec l’âge et la maturité, aussi.

Blayre Turnbull, elle aussi membre de la formation canadienne, a d’abord joué avec Sarah Nurse à l’Université du Wisconsin. Elle raconte avoir vu sa coéquipière de longue date progresser sur la glace de manière fulgurante. Au-delà de ses évidentes habiletés individuelles, elle côtoie aujourd’hui une joueuse redoutable en protection de rondelle. Mais elle souligne rapidement à quel point elle a « grandi comme personne », au point de devenir « une incroyable ambassadrice ».

C’est une grande fierté, un honneur pour nous de la voir aller. C’est une de celles qui représentent le mieux notre groupe, qui nous engage pleinement.

Marie-Philip Poulin, au sujet de Sarah Nurse

Et elle le fait toujours avec le sourire, insiste Laura Stacey, attaquante qui s’est jointe au programme national tout juste avant Nurse. Elle vante aujourd’hui la manière dont elle « inspire tellement de monde, tellement de petites filles et de petits garçons ».

Cette dernière mention n’est pas anodine. Dans leur combat pour la professionnalisation du hockey féminin, toutes les joueuses parlent de l’importance du legs qu’elles souhaitent laisser aux athlètes de demain.

Ce qui a frappé Sarah Nurse après qu’elle est devenue l’un des visages de NHL 23, c’est la réaction des jeunes garçons.

« Je suis entrée dans un aréna, il y a quelques jours, et je me faisais arrêter par plein de gars qui voulaient me parler, me dire bonjour, prendre une photo avec moi, relate-t-elle. Ce que ça dit, c’est qu’ils me voient comme une joueuse professionnelle moi aussi. S’ils reconnaissent ça, ils le feront avec les filles de leur âge. Quand j’ai grandi, je me faisais toujours dire que je ne jouerais jamais dans la LNH, que le hockey n’était pas pour moi. Aujourd’hui, ils réalisent qu’une femme peut être une pro, même si elle n’est pas dans la même ligue. »

La diversité au hockey est un dossier qui « avance », estime-t-elle, quoique « tranquillement ». Le but à atteindre est encore loin.

Chaque fois que la LNH ou d’autres instances de haut niveau manifestent leur soutien au hockey féminin sur les réseaux sociaux, « des trolls nous disent de retourner dans notre cuisine ». « Ce n’est pas OK », dit-elle fermement.

Elle voit comme un « privilège » le fait d’obtenir une tribune qui lui permette d’« avoir un impact, de changer la game ». Il peut néanmoins être lassant, à la longue, d’avoir encore et encore les mêmes discussions, avoue-t-elle. Or, « c’est comme ça qu’on va faire bouger l’aiguille ».

Il y a, quoi, 30 joueurs de couleur dans la LNH ? Ce n’est pas beaucoup. J’adorerais en voir davantage, que les enfants puissent aspirer à se rendre là. Je regarde mes amis, mes cousins, mes cousines. Ils grandissent, mais ne voient pas beaucoup de joueurs qui leur ressemblent. C’est dur.

Sarah Nurse

Optimiste, Sarah Nurse garde « confiance » en l’avenir : le sien et celui des femmes dans le hockey. Une ligue professionnelle « viendra bientôt », promet-elle, sans s’avancer davantage. L’espoir ne meurt pas.

Que se souhaite-t-elle pour 2023 ?

« Beaucoup de bonheur, conclut-elle, avec son ineffaçable sourire. Le plus de chances possible d’être avec mes coéquipières. Et d’avoir autant de succès qu’en 2022. »

La barre est haute. Mais elle l’était il y a un an, à une époque bien moins réjouissante. On connaît la suite.