En théorie, la Série du siècle de 1972 avait été organisée pour déterminer qui du Canada ou de l’Union soviétique avait la meilleure équipe de hockey. La série s’est plutôt déroulée sur fond de guerre politique et idéologique, qui a encore aujourd’hui une place de choix dans l’histoire canadienne.

C’est Serge Savard, rencontré à son tournoi annuel de golf au club Le Mirage, qui a redirigé rapidement la discussion vers la véritable signification de la Série du siècle. Bien évidemment, les joueurs sélectionnés voulaient marquer le plus de buts possible pour remporter l’affrontement. Toutefois, au-delà de la médaille, le Canada a gagné respect et notoriété.

À l’époque, le Canada était encore un très jeune pays. Il avait à peine 100 ans. En 1972, le drapeau rouge et blanc à la feuille d’érable n’avait que sept ans d’existence. Un pays sans révolution, sans guerre civile, sans déchirement. Un pays où tout était à faire. Tout était à prouver. Tout était à écrire.

En 1972, le monde occidental est encore en pleine guerre froide. Les Américains avaient envoyé un homme sur la Lune pour la première fois trois ans auparavant. D’un côté, l’Amérique du Nord, de l’autre, les Soviétiques. Le bloc de l’Ouest contre le bloc de l’Est. La démocratie contre le communisme.

Lorsque la rondelle est tombée pour la première fois, le 2 septembre, au Forum de Montréal, il y avait plus qu’une victoire à l’enjeu.

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Serge Savard

« Tous ceux qui y ont participé ont été tellement marqués. C’était la première fois que les athlètes professionnels représentaient leur pays », se souvient Savard.

Il croit que cet évènement a aussi servi à unir le Canada, quelque peu divisé par le nouveau drapeau. Toutefois, lorsque les joueurs se sont présentés sur la patinoire avec la feuille d’érable sur l’uniforme, « on n’a plus jamais entendu de plaintes à propos du drapeau canadien. L’équipe de 1972 a unifié le pays ».

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Tony Esposito, Ken Dryden, Bobby Clarke, Frank Mahovlich et Don Awrey avant le premier match de la série, au Forum de Montréal, le 2 septembre 1972

L’intérêt était là pour le prouver. Plus des deux tiers des 22 millions de Canadiens étaient devant leur téléviseur lorsque Paul Henderson a marqué le but victorieux.

« Tous ceux qui allaient à l’école ou qui avaient au moins 6 ans s’en rappellent, parce que tout a arrêté en 1972. Et c’est assez spécial pour tout ce monde-là aussi, ils se rappellent tous où ils étaient. »

D’un océan à l’autre, toutes les boîtes à images ont créé un souvenir impérissable.

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Serge Savard en août 1972

Un moment unique

Lorsque Paul Henderson a donné la victoire au Canada au palais des sports de Loujniki avec seulement 34 secondes à faire au match ultime, c’était l’extase du côté canadien. Tout s’est passé tellement vite que Savard ne se souvient même plus s’il était sur la patinoire ou sur le banc des joueurs. « Mais je sais qu’après avoir marqué, on n’était pas loin de Paul Henderson », a-t-il ajouté, sourire aux lèvres.

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Serge Savard à l’entraînement à Toronto

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Serge Savard à l'entraînement à Toronto

Il se rappelle toutefois qu’il a vu Ken Dryden sortir de son demi-cercle pour la première fois de sa carrière. Il était même rendu devant Vladislav Tretiak.

Lors de buts gagnants en finale de la Coupe Stanley, je n’ai jamais vu Ken Dryden sortir de son filet, alors ça vous dit tout !

Serge Savard

D’ailleurs, Savard a confirmé que cette victoire est le souvenir le plus précieux de Ken Dryden, même s’il a remporté six fois la Coupe Stanley avec le Canadien, en raison de tout ce que ça représentait et de l’immensité du moment.

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Pete Mahovlich, Serge Savard, Guy Lapointe et Ken Dryden à l’entraînement en août 1972

Avoir vécu cette expérience avec des coéquipiers a aussi ajouté un caractère spécial à ce triomphe, selon le Sénateur. Avec Dryden, Guy Lapointe, Yvan Cournoyer, Pete Mahovlich et Frank Mahovlich, le Tricolore de l’époque était bien représenté. De compétitionner avec quelques-uns de ses frères d’armes était « quand même assez extraordinaire ».

Savard a même insisté sur le fait qu’au premier match du Canadien au Forum après la Série du siècle, Scotty Bowman avait envoyé les six joueurs qui avaient représenté le Canada sur la patinoire pour la première présence de la rencontre. « Un des plus beaux souvenirs de ma carrière sportive », a-t-il ajouté. Les joueurs ont reçu une ovation debout.

« C’est dur à comprendre, mais s’élever aussi haut émotivement, c’est presque impossible. C’est un moment qu’on n’oubliera jamais », a indiqué Savard, les étoiles dans les yeux.

Comme quoi l’émerveillement d’avoir gagné plus qu’une série de hockey est toujours aussi édifiant 50 ans plus tard.

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Serge Savard en août 1972