Peu connu il y a quelques mois à peine, Michael Pezzetta est rapidement devenu l’un des favoris des partisans du Canadien. Derrière le personnage extravagant doublé d’un hockeyeur robuste, se cache toutefois un jeune homme terre à terre qui a travaillé sans relâche toute sa vie pour monter les échelons de son sport. Portrait.

À l’assaut des pronostics

On aurait scénarisé cette scène qu’elle n’aurait pas été aussi burlesque.

Le photographe de La Presse prend différents clichés de son sujet dans le Vieux-Montréal lorsqu’un passant s’arrête entre les deux hommes. Au mannequin du jour, il confie cinq des sept chiens qu’il tient en laisse ainsi que ses lunettes fumées.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Michael Pezzetta s’est fait photographier avec cinq des sept chiens d’un passant, dans le Vieux-Montréal.

« Savez-vous de qui il s’agit ? demande le photographe Robert Skinner après avoir immortalisé la scène.

— Aucune idée, répond le quidam.

— C’est un joueur du Canadien de Montréal…

— Ah bon ? Félicitations, je n’ai pas éprouvé autant de plaisir à regarder les matchs depuis 1993 ! »

Le marcheur, en continuant de fumer son joint, reprend ses lunettes et ses chiens et poursuit son chemin.

Michael Pezzetta, sourire aux lèvres, ne semble pas trop certain de ce qui vient de se passer. Mais il n’allait certainement pas bouder son plaisir de se prêter au jeu.

L’attaquant du Tricolore s’amuse. Beaucoup. D’une part à déjouer les pronostics les uns après les autres. D’autre part à vivre chaque jour le rêve qu’il caresse depuis tout petit.

Le mot « surréel » revient souvent dans la conversation lorsqu’il décrit son expérience à Montréal.

À chaque match, je prends un moment pour regarder autour de moi et je me dis à quel point c’est incroyable.

Michael Pezzetta

Pezzetta a rencontré La Presse le 23 mars dernier. Comble de malheur, il s’est blessé trois jours plus tard et a dû rater deux semaines d’activités.

Cette malchance n’enlève rien à la saison de rêve qu’il a vécue jusque-là. En quelques semaines, le Torontois est passé de quasi-inconnu à favori des partisans du Canadien. Choix de sixième tour de l’équipe en 2016 (160e au total), il a passé les trois dernières années avec le Rocket de Laval. A priori, rien ne le prédisposait à une percée dans la LNH cette saison ; le fait qu’il n’était employé que dans un rôle de soutien dans la Ligue américaine alimentait logiquement cette perception.

Or, au camp d’entraînement de septembre dernier, il a survécu aux premières vagues de coupes. Pour la première fois de sa carrière, on lui a donné un match préparatoire. Il a inscrit deux buts et s’est fait des amis sur le banc grâce à son énergie contagieuse.

Vantant l’« intensité » et la « vie » qu’il insufflait dans l’équipe, l’entraîneur-chef Dominique Ducharme avait alors dit de lui qu’il était « un vrai coéquipier ». « Les gars qui travaillent comme ça, qui sont engagés, compétitifs, où est-ce qu’ils s’arrêtent ? On ne sait jamais. On peut avoir une belle surprise. »

Sa prophétie s’est réalisée. Le 1er novembre, le Canadien a rappelé Pezzetta des mineures, une première pour lui, à 24 ans. Il n’a jamais fait le chemin inverse depuis.

« Temps et efforts »

Ducharme n’était pas le premier à avoir une réflexion du genre. David Matsos a dirigé Pezzetta pendant trois ans chez les Wolves de Sudbury, dans la Ligue junior de l’Ontario. Quand le jeune homme a été sélectionné par le Canadien, il n’avait accumulé que 40 points en 105 matchs au sein d’un club moribond. Pas de danger de le confondre avec Matthew Tkachuk, choix de premier tour des Flames de Calgary la même année.

Or, son entraîneur de l’époque croyait fermement que « s’il réussissait à intriguer suffisamment une équipe, il ferait son chemin jusqu’à la LNH ».

Le principal concerné est tout de même réaliste : il n’aurait pas prédit, il y a un an, qu’il serait là où il est aujourd’hui.

« Si j’étais analyste, j’aurais dit la même chose », affirme-t-il, en référence à ceux, nombreux, qui lui prédisaient une carrière entière dans les mineures.

« De l’extérieur, j’étais un joueur de quatrième trio dans la Ligue américaine, et je devais parfois sauter mon tour. Mais ceux qui me connaissent ne miseraient jamais contre moi. Ils savent à quel point je travaille fort, ils sont conscients du temps et des efforts que j’ai investis pour que mon rêve se réalise. Pendant tout ce temps, je bâtissais mon jeu en attendant d’avoir ma chance. »

Le travail et rien d’autre

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Pezzetta distribue généreusement les coups d’épaule et abat du boulot très honnête sur le plan offensif.

Rapidement, les partisans se sont amourachés de ce personnage singulier, et ce, malgré le fait qu’il n’ait rien d’un ailier étoile.

Ses cheveux longs, sa moustache et son sourire perpétuel attirent forcément l’attention, et ses extravagances vestimentaires sont un cadeau pour les gestionnaires de réseaux sociaux du club. À Calgary, pour amuser ses coéquipiers, il s’est présenté à un entraînement en « canadian tuxedo » – pantalon, chemise et blouson de jeans –, avec bolo et Stetson de circonstance.

Regardez son accoutrement

Sur la glace, il distribue généreusement les coups d’épaule et abat du boulot très honnête sur le plan offensif. Il n’hésite pas à jeter les gants, même devant des adversaires largement plus costauds que lui ; ses duels contre Ryan Reaves et Zack Kassian ne sont pas allés à son avantage, mais il a marqué des points dans sa cote d’amour auprès du public… et de ses coéquipiers.

« C’est le genre de gars que tu veux avoir dans ton équipe », a témoigné Laurent Dauphin pendant le récent voyage du Canadien en Floride. À Laval puis à Montréal, le Québécois a côtoyé Pezzetta au cours des trois dernières saisons.

Il apporte une énergie contagieuse et il a toujours une attitude positive. Sur le banc, on l’entend encourager tout le monde. Il met de l’entrain dans le vestiaire.

Laurent Dauphin

Voilà pour la portion hockey de sa personnalité. Car en discutant avec lui, on découvre un homme modeste et terre à terre. Il ne conduit pas une voiture de luxe. Avec ses cheveux noués en queue de cheval, sa veste Patagonia et ses chaussures de sport, il se fond parfaitement dans la faune estudiantine du café où il rencontre le représentant de La Presse.

Après seulement quelques minutes de discussion, il a déjà évoqué sa famille trois fois. Son frère, dont il est très proche. Ses parents, dont les « sacrifices » lui ont permis de vivre son rêve et qui l’ont toujours soutenu, surtout dans les moments où « la lumière n’était pas encore visible au bout du tunnel ».

Sa mère est comptable, et son père, capitaine au sein du service de sécurité incendie de Toronto. « Ils ont toujours travaillé fort », dit-il d’emblée, résumant ainsi un « principe fondamental » dans sa vie. Ses quatre grands-parents ont quitté l’Italie pour s’établir au Canada. Ses grands-pères – ses nonni – ont travaillé dans la construction ; « ils sont partis de rien et se sont bâti une vie, une famille ».

Il parle d’eux comme de « gars durs », qui lui « ont appris à travailler fort ». L’un d’eux, aujourd’hui disparu, est demeuré actif jusqu’à la fin de sa vie, et ce, malgré le fait qu’il ait combattu un cancer. L’autre, « à 85 ans, monte encore sur le toit pour réparer les briques de sa cheminée », lance le hockeyeur en riant.

« Quand c’est l’exemple que tu vois en grandissant, la seule réponse est d’emboîter le pas. Ce sont des choses qui restent pour toujours. »

Une « bête » à l’entraînement

Les efforts qu’il investit dans les entraînements de son équipe en sont certainement le reflet. Encore au cours des derniers jours, alors qu’il était sur la liste des blessés, il patinait jusqu’à une demi-heure de plus que le groupe régulier. À les voir grimacer, Kale Clague et lui, on comprenait que les longs allers-retours qu’ils s’imposaient entre les lignes de buts n’étaient pas une partie de plaisir.

Sa discipline en fait « le rêve d’un coach », souligne son ancien entraîneur David Matsos. Premier de classe à l’école et une « bête » à l’entraînement, celui qui a été nommé capitaine à sa dernière saison à Sudbury « ne s’est jamais, jamais plaint de rien ».

Il n’a pas rechigné non plus lorsqu’il a commencé à être laissé de côté plus souvent après la nomination de Martin St-Louis. Ni lorsque son temps de glace a baissé, parfois sous les 7 minutes par match.

L’attente pour atteindre la LNH lui a appris la patience. Il y a six ans, son frère et lui ont creusé une aire d’entraînement dans la cour arrière du domicile familial. Quatre fois par semaine, pendant l’été, il s’exerce au maniement de rondelle et décoche de 200 à 300 tirs.

« Si, chaque fois, j’en fais un peu plus que tout le monde, avec les années, ça s’accumule, estime-t-il. Souvent, ça ne me tentait pas trop, mais je savais que je devais le faire. Ça m’a beaucoup aidé. C’est une des raisons qui font que j’aime rentrer à la maison. C’est notre endroit à nous, mon frère et moi. On joue, on s’amuse. »

Québécois d’adoption

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Michael Pezzetta

Le public montréalais ne connaît pas Michael Pezzetta depuis longtemps ; or, vu son long passage chez le Rocket de Laval, cela fait déjà plus de trois ans qu’il s’est établi au Québec.

Son intégration est impressionnante. Même si, comme plusieurs membres du Canadien, il réside près du Centre Bell, il se promène partout en ville. Il vante les scènes culinaire et culturelle de la métropole. En couple depuis deux ans avec Mireille Boutin, native de Lévis, il a également exploré la Vieille Capitale. Il raconte le tour de la Gaspésie qu’il a fait avec son frère et leur conjointe respective pendant l’été 2020 ; sa découverte du parc de la Jacques-Cartier grâce à sa copine, amoureuse du plein air comme lui. Sa compréhension du français s’améliore, mais il ne se sent pas encore assez en confiance pour tenir une conversation dans la langue de Marie-Éva de Villers.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE MICHAEL PEZZETTA

Michael Pezzetta avec sa copine Mireille Boutin en Gaspésie

Il parle aussi de la relation qu’il a développée avec les fans. Ceux qui le reconnaissent dans la rue et lui demandent une photo, un autographe. Ceux aussi qui l’interpellent sur les réseaux sociaux. Et bien sûr ceux qui remplissent les gradins du Centre Bell.

« Je suis jeune, donc j’aime bien cette attention qu’on m’accorde, avoue-t-il sans détour. J’adore interagir avec les partisans, et c’est important de le faire. Le Centre Bell, le samedi soir, c’est absolument fou ; 20 000 personnes sont là et t’encouragent. »

Les billets coûtent cher, quelqu’un a peut-être dépensé sa paie de toute une semaine pour amener sa famille. Je dois donner le meilleur de moi-même pour que cette famille ait une bonne soirée.

Michael Pezzetta

C’est justement un samedi, le 12 mars dernier, que Pezzetta a eu la chance d’en donner pour leur argent aux spectateurs. Alors que la séance de tirs de barrage s’étirait, son entraîneur l’a envoyé sur la glace, et ce, même s’il n’avait joué que 5 min 42 s ce soir-là. L’amphithéâtre s’est instantanément enflammé. Son lancer a toutefois frappé l’extérieur du poteau et le tireur suivant du Kraken de Seattle a marqué, mettant fin au suspense.

Après coup, Martin St-Louis a justifié son choix du fait que l’ailier avait déjà marqué un but dans ce match, mais il a surtout rappelé à quel point le numéro 55 était un « bon coéquipier » qui, en somme, méritait d’être récompensé.

« On me disait sur le banc qu’il avait un bon move, a-t-il aussi expliqué. Quand il est sorti pour aller tirer, j’ai vu l’aréna, et je savais que j’avais fait le bon choix. Je pense qu’il a eu la plus grosse ovation… »

« J’en parlais avec Brendan Gallagher, et je lui disais à quel point ça devait être incroyable de vivre ça pendant 10 ans, note encore Pezzetta. J’imagine à peine les séries éliminatoires… C’est surréel. »

Des éloges

Même s’il vit une espèce de conte de fées, le patineur évite de s’emballer. Son contrat se termine à la fin de la présente saison. Il sera alors joueur autonome avec restrictions, avec droit à l’arbitrage.

Lors d’une récente séance de questions-réponses avec des partisans sur la plateforme Twitch, le vice-président aux opérations hockey du Canadien, Jeff Gorton, a été élogieux à son endroit. « Chaque fois qu’il est sur la glace, on le remarque, a dit le gestionnaire. Son style est attrayant pour les partisans et pour ses patrons. Son talent se développe aussi. Sa progression nous impressionne. »

Ces éloges le font sourire. Mais le plus honnêtement du monde, Pezzetta explique qu’il ne sait pas ce que l’avenir lui réserve. « Je vois la direction que l’équipe emprunte et je veux rester ici, mais je veux d’abord finir la saison du mieux que je peux et prouver que j’appartiens à la LNH. Tout ce dont je me soucie, ce sont les matchs qui restent à jouer. Si mon point de mire est à la bonne place, les pièces vont tomber en place. »

Nombreux sont les exemples de joueurs de soutien qui n’ont fait que passer après avoir été en vogue. Son nom s’ajoutera-t-il à une longue liste d’étoiles filantes ? Ou réussira-t-il à s’accrocher et à s’établir chez le Tricolore pour de bon ?

Difficile de le prédire à ce point-ci. Mais si l’histoire nous a appris une chose, c’est qu’il est imprudent de parier contre Michael Pezzetta.