(Columbus) Lorsque Andrew Hammond a défendu le filet du Canadien, le 20 février dernier, on a fait grand cas des quelque 1400 jours qu’il avait passés sans disputer de match dans la LNH.

La patience et la résilience du Hamburglar méritaient certainement d’être soulignées. Mais ce n’est quand même pas lui qui détient la marque pour la plus longue attente ayant mené à un retour cette saison.

Jean-François Bérubé en a fait, du chemin, depuis que les Kings de Los Angeles en ont fait un choix de quatrième tour, en 2009. Métaphoriquement, mais surtout littéralement. En incluant la LNH, la Ligue américaine et l’ECHL, il a porté l’uniforme de 11 équipes, dont 9 au cours des seules 7 dernières saisons.

Il a appartenu à six équipes de la LNH. Vous souveniez-vous que les Golden Knights de Vegas l’avaient sélectionné des Islanders de New York au repêchage d’expansion de 2017 ? C’est pourtant arrivé.

La dernière fois qu’il avait été vu dans la LNH, c’était le 6 avril 2018, avec les Blackhawks de Chicago. Il ne savait pas, à l’époque, qu’il attendrait 1416 jours avant de renouer avec le plus haut calibre du monde.

Malgré une carrière haute en rebondissements, impliquant une vie familiale complexifiée (positivement) par l’arrivée dans sa vie d’un petit garçon aujourd’hui âgé de 21 mois, le Québécois sourit de toutes ses dents. « La vie est belle ! », lance même, à la fin de la conversation avec le représentant de La Presse, celui qui s’aligne maintenant avec les Blue Jackets de Columbus.

PHOTO BRAD PENNER, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Jean-François Bérubé alors qu’il portait l’uniforme des Islanders de New York

Visiblement détendu, le gardien de 30 ans savoure ce qui lui arrive. La saison dernière, malgré quelques offres de contrats à deux volets, il a choisi de signer une entente de la Ligue américaine avec le Reign d’Ontario. L’incertitude liée à la pandémie de COVID-19 et le fait d’avoir un bébé en très bas âge l’avaient convaincu de poser ses valises en Californie, État d’où vient sa femme.

L’été venu, un retour dans la LNH semblait loin d’être probable. Quelques équipes ont proposé des essais professionnels, mais aucune ne lui a offert de contrat.

« Il n’y a rien qui se passait. Zéro, aucun appel. Là, tu commences à te poser des questions », raconte-t-il.

Pari

Autour de lui, dans la grande salle vide où les Blue Jackets tiennent habituellement leurs points de presse, des affiches format géant des joueurs de la formation actuelle sont placardées sur les murs. Ce qui comprend évidemment celles d’Elvis Merzlikins et de Joonas Korpisalo, qui se partagent le filet à Columbus depuis maintenant trois ans.

Les Jackets avaient justement proposé un essai professionnel à Bérubé. Or, vu la présence de ce duo aussi bien établi, il savait bien qu’il ne verrait pas d’action « en haut ». Il a donc commencé à regarder du côté de l’Europe. Des offres sont notamment venues de la KHL. Mais sa femme et lui ont convenu que, si cette avenue était retenue, il partirait seul. Le sacrifice était trop grand, d’autant qu’il officialisait, en quelque sorte, la fin de sa carrière dans la LNH.

Comme il connaissait bien l’organisation des Blue Jackets, à laquelle il a été associé en 2018-2019, il a décidé de se présenter à leur camp d’entraînement. Pari gagné : à une semaine du début de la saison, il a signé un contrat d’un an à deux volets. Il l’a fait en pleine connaissance de cause. Il se retrouvait quatrième dans la hiérarchie des gardiens, derrière Daniil Tarasov, 23 ans, qui obtiendrait la majorité des départs avec le club-école des Monsters de Cleveland.

« Ils voulaient que je joue le rôle de grand frère, que je m’occupe de lui, raconte Bérubé. Les gardiens, on s’analyse tous entre nous, alors on m’a dit que si je travaillais fort à l’entraînement, Daniil verrait ce que ça prend pour connaître du succès chez les professionnels. On s’est poussés et on a développé une belle chimie. »

L’appel

À la mi-février, le ciel est tombé sur la tête des Blue Jackets : leurs deux premiers gardiens se sont blessés quasi simultanément. Et Tarasov était déjà à l’écart du jeu, ennuyé par une blessure à une hanche qui a nécessité une opération.

Le téléphone de Bérubé a alors sonné. Non seulement on le rapatriait avec le grand club, mais on lui annonçait également que c’était lui qui affronterait les Sabres de Buffalo, le 20 février – soit la même journée que le retour d’Hammond.

Ça s’est passé vraiment vite, mais j’étais prêt pour le défi. Ça faisait trois ans que je me préparais et que j’attendais ce moment-là !

Jean-François Bérubé

Comme il avait déjà disputé 35 matchs avec les Islanders et les Blackhawks par le passé, il n’a pas eu à composer avec l’inqualifiable stress d’un premier match en carrière. Ce qu’il voulait, c’était « retrouver le rythme [de la LNH] le plus vite possible ». « Ça m’a pris une période pour m’adapter. Après, je me sentais bien. »

Son rythme, il l’a bel et bien retrouvé. Il a remporté ses trois premiers départs, puis a subi une défaite contre les Hurricanes de la Caroline, qui l’ont mitraillé de 50 tirs. En quatre rencontres, il présente un superbe taux d’efficacité de ,924.

Il a par la suite été cédé à la Ligue américaine, mais a de nouveau été rappelé le 21 mars. Il devrait théoriquement finir la saison à Columbus, alors que Korpisalo a subi une opération qui lui fera rater les dernières semaines du calendrier. Même si Merzlikins semble en voie de disputer la quasi-totalité des matchs restants, Bérubé aimerait bien obtenir un autre départ. « Si ça arrive, tant mieux, sinon, je suis déjà content d’être ici. »

Au fait, il n’a jamais affronté le Canadien, qui sera en ville ce mercredi. On dit ça, on ne dit rien.

Vétérans

Son histoire, comme celle d’Andrew Hammond, pourrait changer les perceptions des dirigeants de la ligue, croit-il. On a vu, au cours des dernières années, des vétérans se trouver du boulot après un long passage dans les mineures. Pheonix Copley, Keith Kinkaid et Dustin Tokarski, par exemple, ont refait surface dans la trentaine.

La transition vers les rangs professionnels peut être longue, rappelle-t-il. La confiance, au début de la vingtaine, est fragile. « Quand la porte s’ouvre, elle peut se refermer vite », ajoute-t-il, en référence à sa propre expérience. Dans ce contexte, certaines équipes se montrent patientes avec leurs espoirs, ce qui laisse des postes disponibles pour de vieux routiers.

Bérubé ne sait toutefois pas ce qui l’attend après la conclusion de la saison, à la fin du mois d’avril – les Blue Jackets ne participeront pas aux séries éliminatoires.

Son objectif n’a jamais changé. Il espère que ses performances des dernières semaines lui permettront de décrocher un contrat à un volet de la LNH. L’idéal serait de rester à Columbus, quitte à partager son temps entre cette ville et Cleveland, facilement accessible en voiture. Une offre avantageuse ailleurs le convaincrait sans doute de déménager de nouveau.

Si les ligues mineures étaient la seule option, la petite famille chercherait probablement à s’établir en Californie. Bérubé a vendu sa maison de la région de Montréal, où il n’allait presque plus. À Columbus, il loue un appartement sur Airbnb. Or, avec l’âge, le goût de la précarité s’est effrité.

« Se promener à gauche et à droite, ça devient fatigant ; j’ai maintenant d’autres responsabilités que le hockey, dit-il. C’est important de nous trouver un endroit stable où on sera confortables. »

Cette réflexion, lucide, ne l’empêche pas de profiter pleinement de sa chance actuelle. Ni d’espérer que son rêve se poursuive encore un peu.