Embauché le 9 février comme entraîneur-chef par intérim du Canadien, Martin St-Louis s’est prêté à une tournée médiatique cette semaine. Nos journalistes Simon-Olivier Lorange et Guillaume Lefrançois se sont entretenus pendant une trentaine de minutes avec l’ancien joueur qui amorce une nouvelle carrière.

Une discussion avec Martin St-Louis peut être intimidante quand on ne le connaît pas en personne. Pas intimidante en raison des deux troncs d’arbre qui lui servent de jambes, mais plutôt dans l’intensité qu’il dégage à tout moment. Dans son regard, dans sa façon de réfléchir avant de donner chaque réponse, dans les bouts de phrase qu’il formule en serrant les dents.

C’est ce Martin St-Louis qui s’est livré à deux scribes de La Presse, mercredi, après un entraînement à Brossard.

Et c’est assurément lorsqu’il était question de sa famille qu’il s’est le plus laissé emporter. À la base de sa réaction : une question sur un de ses trois fils, Lucas (le cadet), qui a été recruté par la très prestigieuse Université Harvard. À partir de l’automne 2023, c’est là que Lucas St-Louis jouera son hockey universitaire.

Martin St-Louis lui-même a étudié (et joué) quatre ans à l’Université du Vermont, où il a décroché un diplôme en administration. Rien d’étonnant ici, puisque le nouvel entraîneur-chef par intérim du Canadien n’hésite pas une seconde quand on lui demande quelle était sa force à l’école.

« J’étais fort en maths. Le français, ce n’était pas trop le fun. Les maths, j’aimais ça, parce que c’était de la résolution de problèmes. »

Son regard s’illumine. À une autre époque, St-Louis avait dû exposer à son coach à Tampa, John Tortorella, sa vision du hockey comme étant une somme d’opérations arithmétiques. « Il pense en équations », explique Jim Tortorella, le frère de John, rencontré pour un reportage à venir. « Il a dit à John : “J’aurai parfois tort, mais plus je ferai de bons jeux, plus j’aurai confiance.” Je pense qu’il va faire ça avec ses joueurs, il va leur permettre de prendre des décisions à partir de leur lecture du jeu. »

De fait, sans même qu’on ait évoqué la conversation avec Jim Tortorella, St-Louis déballe sa pensée.

Moi, ça, c’est le hockey. Le hockey, c’est des maths. Tu essaies toujours de résoudre un problème. Il y a de la géométrie aussi. Tu utilises la bande… Le hockey, c’est des maths. L’équation change constamment.

Martin St-Louis

« Es-tu capable [il s’interrompt, claque trois fois des doigts] de la résoudre ? Les meilleurs joueurs vont la résoudre sur le fly. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Martin St-Louis durant un entraînement du Canadien

De Mont-Laurier à Harvard

Quand ce n’est pas l’intensité, c’est la fierté qui ressort. Tenez, quand il évoque la mobilité sociale de sa famille, sur quatre générations.

« Mon père est un gars de Mont-Laurier. Il a grandi sur un moulin à scie, il a commencé à travailler à 8 ans », a rappelé St-Louis. Il raconte ensuite qu’un seul de ses oncles a fréquenté l’université. C’est Rémi, 83 ans aujourd’hui, le plus vieux des 14 enfants de la famille du côté paternel.

« Ce sont tous des travailleurs, c’est pas des lâches. Mais ils n’ont jamais eu la chance d’être dans un domaine où l’éducation était une option », poursuit Martin St-Louis.

Normand St-Louis, le père de Martin, a arrêté l’école après sa 12e année, mais lui aussi, il avait le tour en mathématiques. « J’ai même sauté ma 10e année, raconte le paternel. Mais je détestais l’école. J’aurais pu continuer, mais je n’aimais pas ça, et il n’y avait pas de cégep dans mon temps. Rester assis, je trouvais ça plate. Moi, je bouge, c’est pour ça que je suis devenu facteur ! »

« Moi, j’ai eu la chance, mon père m’a toujours poussé à jouer dans les universités américaines, parce que lui, il n’a pas eu cette chance-là, reconnaît Martin St-Louis. Tu regardes ma génération, d’où mon père et mon grand-père sont partis… C’est une belle évolution de la famille St-Louis, et j’en suis fier. »

Lucas St-Louis fréquentera donc Harvard, un nom qui attire toujours l’attention. Il sera alors à quelques kilomètres de son grand frère, Ryan, étudiant et joueur à Northeastern, une autre bonne université de la région.

Mes enfants ne seraient pas là sans le gros travail de mon grand-père. La famille St-Louis, on n’a pas de grosse éducation, mais c’est du bon monde qui travaille fort.

Martin St-Louis

« Tout ça a été implanté par mon grand-père, ajoute-t-il. Mon père a toujours travaillé fort et j’ai ça en moi. Ce sont des valeurs qui permettent d’avoir du succès dans la vie, et je ne parle pas d’argent, je parle du travail, de toujours essayer d’améliorer ton sort. »

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Martin St-Louis a connu une grande carrière.

L’étudiant devenu enseignant

Par sa passion presque maladive du hockey, St-Louis rappelle ces joueurs que l’on dit « étudiants du hockey ». D’ailleurs, quand on le questionne sur d’autres sports, d’autres entraîneurs, il demeure évasif, il nomme certes Bill Belichick, mais on ne sent pas non plus qu’il pourrait décrire par cœur sa philosophie. Le hockey occupe une grande place.

St-Louis a connu une grande carrière, nul besoin d’entrer dans les détails, et c’est notamment grâce à sa pensée développée ci-dessus. Or, sa bosse des mathématiques, sur la glace, ça s’enseigne à des joueurs qui n’ont pas la même « intelligence hockey » ? Oui, assure-t-il.

« Il y en a qui l’ont déjà, d’autres qui l’ont un peu. Un tel joueur va peut-être juste s’améliorer de 2 %. Un autre, de 10 %. Ce n’est pas tout le monde qui s’améliore à la même vitesse. Mais ça ne change pas l’envie de le montrer. »

Et quand il parle de le « montrer », il veut être clair. « Je ne suis pas ici pour montrer à Cole Caufield comment tirer la rondelle. » Le paradoxe est intéressant. St-Louis a récolté 1033 points. Il a gagné deux trophées Art-Ross, il a connu une saison de 100 points et produisait à un rythme de 103 points lors de la saison 2013 écourtée.

On blague souvent sur l’euphémisme des joueurs « bons sans la rondelle », mais St-Louis, lui, avait le profil d’un gars qui excellait avec la rondelle. Pourtant, ce n’est pas cet aspect qu’il souhaite transmettre à ses joueurs.

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Martin St-Louis et Alexander Romanov

« Je crois beaucoup qu’il faut enseigner aux quatre gars qui n’ont pas la rondelle. Le gars avec la rondelle, ça ne me dérange pas, ce qu’il fait. C’est sûr qu’il y a des moments, à la fin d’un match, où tu dois jouer plus simplement. Mais si tu enseignes aux quatre gars sans la rondelle à être à des endroits différents, à ne pas toujours être au même endroit, le gars avec la rondelle va avoir plus d’options pour sa décision. »

St-Louis rappelle toutefois que l’intelligence, le fameux « QI hockey », ne fait pas foi de tout. Le travail est aussi un ingrédient essentiel, comme quoi l’influence du grand-père n’est pas qu’une phrase en l’air.

« Les gars qui n’ont pas peur du travail et qui sont engagés mentalement, ils vont entrer dans le concept beaucoup plus vite qu’un autre qui est borné et qui n’a pas le goût d’engager son cerveau. »

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