La ténacité et la passion de Martin St-Louis ont fait sa renommée comme joueur. Ce qui a toutefois frappé l’ensemble des observateurs depuis sa nomination comme entraîneur-chef du Canadien, c’est son inébranlable confiance.

Toute sa vie, il a montré à ceux qui doutaient de lui qu’ils avaient eu tort. Et c’est avec le même entêtement qu’il a accepté de faire l’improbable saut du hockey mineur jusque derrière un banc de la Ligue nationale de hockey (LNH) – dans le marché le plus scruté de la ligue, de surcroît.

Or, même s’il affiche l’aplomb d’un entraîneur qui a 1000 matchs derrière la cravate, il est pleinement conscient qu’en tant que recrue dans cette confrérie, il doit montrer de quoi il est capable.

Ce n’est pas un hasard s’il a accepté aussi rapidement le titre d’entraîneur-chef par intérim, sans exiger un engagement à plus long terme. Interrogé à ce sujet, St-Louis met l’accent sur le côté informel de la discussion qu’il a eue avec Kent Hughes et Jeff Gorton. Ce sont eux qui lui ont proposé de le nommer seulement jusqu’à la fin de la saison et de réévaluer la suite des choses à ce moment. « Je n’ai pas posé de questions, dit-il. T’as besoin de moi ? OK, je vais y aller. Dans le fond, il faut que je voie si j’aime ça. »

Aucune entente additionnelle n’a été secrètement conclue. De toute façon, assure St-Louis, il ne serait « pas à l’aise d’arriver ici avec un contrat de trois ans en n’ayant jamais coaché dans la ligue ».

« Ce ne serait une bonne situation pour personne. J’aime mieux faire mes preuves. »

Il ne veut pas imposer le fardeau de son propre succès aux joueurs. Lorsque La Presse lui demande comment lui-même aurait réagi, pendant sa carrière sur la glace, si son nouvel entraîneur avait été issu d’une équipe de niveau pee-wee, il marque d’abord une pause, puis parle du thème du respect.

« Je pense que les joueurs me respectent tous », avance-t-il. St-Louis ne le dit pas à la légère : tous les membres du Tricolore qui ont réagi à sa nomination l’ont fait avec des étincelles dans les yeux. Ils n’ont rien oublié des exploits du Québécois avec le Lightning de Tampa Bay et avec les Rangers de New York.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Josh Anderson et Martin St-Louis

Il n’empêche que « le respect, c’est gagné, et non donné », rappelle-t-il.

« Comme personne, comme travailleur ou comme entraîneur, c’est quelque chose que je dois mériter tous les jours. L’idée de moi qu’ils avaient hier a peut-être changé aujourd’hui, et celle d’aujourd’hui va peut-être changer demain. C’est quelque chose qui se bâtit. »

Je sais qu’il faut que je fasse mes preuves comme entraîneur de la LNH. Je n’en ai pas, de l’expérience derrière le banc. Je ne peux rien faire pour ça, je ne contrôle pas ça. Je vais gager sur d’autres qualités, sur les expériences que j’ai vécues.

Martin St-Louis

Comme il l’avait fait au cours de son premier point de presse, il martèle qu’il ne veut pas jouer les suppléants. S’il a accepté le défi, c’est parce qu’il se croit capable de le relever. Il évoque son « éthique de travail » et le fait qu’il « trouve toujours les réponses » lorsqu’il ne les a pas d’emblée. C’est ce qui l’aidera, croit-il, « à coacher longtemps ».

« Je vais m’améliorer », dit-il.

Intérim

Autant Martin St-Louis aborde son nouveau rôle avec confiance, autant il accepte la précarité de sa position comme entraîneur par intérim.

Lui-même évoque la prérogative de la haute direction de mettre fin à l’expérience au terme de la saison si les résultats ne sont pas probants.

« Peut-être que je ne suis pas la bonne personne, laisse-t-il tomber. On va voir. »

« Je veux être ici pour longtemps, mais je ne sais pas ce qui va arriver l’été prochain, et ça ne me dérange pas, développe-t-il. Si je ne suis pas l’homme de la situation, alors je ne suis pas l’homme de la situation. Et je vais retourner faire ce que je faisais. J’étais très heureux. Moi, je m’amuse, et je fais tout avec mon cœur. Si ça ne plaît pas au monde, c’est correct. »

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« Peut-être que je ne suis pas la bonne personne, affirme Martin St-Louis. On va voir. »

« Quand tu donnes tout, tu ne regrettes rien, renchérit-il. Je ne me suis jamais arrêté aux opinions des autres. S’ils n’aiment pas ma vision, ils ont le droit. J’ai une belle vie de l’autre côté. »

Cette « vie de l’autre côté », c’est celle qu’il a laissée derrière lui, littéralement de l’autre côté de la frontière américaine.

Au moment où il a annoncé sa retraite comme joueur, en 2015, le vétéran de 16 saisons dans la LNH avait prévenu vouloir se consacrer à sa famille. Et c’est exactement ce qu’il a fait en suivant pas à pas le parcours de hockeyeur de ses trois fils, aujourd’hui âgés de 14, 16 et 18 ans. Il caressait le rêve de devenir entraîneur chez les professionnels, mais pas avant que les enfants aient quitté la maison. À ce moment, il aurait considéré différentes avenues, par exemple un poste d’adjoint.

Il y a des années, il avait laissé entendre à sa femme Heather que seule une offre comme entraîneur-chef ébranlerait sa conviction de père à temps plein. Mais il ne fallait pas s’en inquiéter : les chances qu’une équipe pressente un candidat sans expérience étaient minces, au mieux.

Sa propulsion au titre de personnalité la plus médiatisée du Québec témoigne d’un revirement draconien de situation.

Prix à payer

Vu la vitesse avec laquelle il a pris sa décision, il s’est sans surprise installé à Montréal seul, sans sa femme et leurs deux plus jeunes fils, restés au Connecticut – l’aîné, Ryan, étudie à l’Université Northeastern, à Boston.

Aucun plan n’est dans les cartons pour un déménagement du clan St-Louis dans la métropole. À long terme, les obstacles sont nombreux. Le cadet, Lucas, terminera son secondaire l’an prochain et est déjà engagé auprès de l’Université Harvard pour la rentrée 2023. Le benjamin, Mason, suit les traces de ses frères. Et Heather, sa complice depuis 25 ans, est américaine ; elle n’a aucune racine au Québec.

La décision de rapatrier ou non sa famille, en totalité ou en partie, le nouvel entraîneur ne la prend donc pas à la légère.

À l’heure actuelle, l’absence de « distractions » le sert bien, vu la quantité de travail astronomique qu’il doit abattre. Mais déjà, il s’ennuie des siens. Sa femme et Mason viendront le visiter pendant la relâche scolaire, en mars. Les retrouvailles suivantes attendront la fin de la saison.

Je suis ici, je m’amuse, c’est le fun, j’ai un challenge, mais il y a un prix à payer. Ce n’est pas facile de ne pas pouvoir aller voir jouer mes enfants.

Martin St-Louis

C’est ce qui lui fait dire que, si le mandat qu’il remplit actuellement connaissait une fin prématurée, il accepterait son sort.

« Si je ne peux pas avoir un impact et que ça dure juste trois mois, ç’aura été une expérience de vie, dit-il. Ça me préparerait à une autre opportunité. Ce n’est pas comme si j’allais être fâché. Je respecte les décisions du monde. »

« Est-ce que je serais déçu ? Personne n’aime ça quand tu donnes tout et que tu perds. C’est sûr que je serais déçu. Mais je ne perdrais pas tout. »

Avec Guillaume Lefrançois, La Presse

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