(Montréal) Malgré sa popularité grandissante depuis les années 1990, le hockey féminin québécois traîne de la patte lorsqu’on compare sa situation à celle de l’Ontario.

Ainsi, en 2019-20, il y avait huit fois plus de filles inscrites au hockey en Ontario qu’au Québec.

Selon le dernier rapport d’Hockey Canada, 51 465 filles étaient inscrites au hockey en Ontario en 2019-2020, soit 21 % des inscriptions de la province. Pour la même période au Québec, il y avait 6618 filles qui pratiquaient le hockey et elles représentaient seulement 8 % des inscriptions.

Les Ontariennes étaient également sept fois plus nombreuses que les Québécoises dans l’équipe nationale lors des derniers Championnats du monde.

« Il y a un mythe au Québec selon lequel si les filles jouent avec les gars, elles vont devenir meilleures. Si c’était le cas, les Ontariennes ne seraient pas aussi fortes », mentionne Daniel Taillon, directeur de Hockey Montréal Féminin.

Il est d’avis que pour augmenter le nombre d’inscriptions et la rétention des joueuses au Québec, les hockeyeuses doivent se développer « en jouant entre filles comme en Ontario » et que le développement du hockey féminin passe par la création de plus d’équipes et de ligues féminines.

Danielle Sauvageau, l’entraîneuse qui a conduit l’équipe olympique canadienne de hockey féminin à la victoire aux Jeux olympiques d’hiver de 2002 à Salt Lake City, partage cette opinion.

PHOTO PATRICK SANFACON, ARCHIVES LA PRESSE

La directrice du Centre de hockey de haute performance 2102, Danielle Sauvageau

« Si on va dans un aréna en Ontario, l’offre de service est présente pour une fille qui veut jouer dans une équipe féminine. Malheureusement au Québec, l’offre n’est pas encore là dans toutes les régions, alors il y a des filles qui doivent s’inscrire avec les garçons, et parfois la jeune joueuse se retrouve à être la seule fille dans l’équipe ».

Plus de rétention

Danielle Sauvageau fait valoir que les filles pratiquent le hockey plus longtemps lorsqu’elles jouent entre elles, plutôt qu’avec des équipes composées majoritairement de garçons.

« En bas âge, il n’y a pas de différence sur la glace entre les garçons et les filles, mais en grandissant, la fille va souvent chercher une équipe féminine, et si elle ne la trouve pas, elle va chercher un autre sport, ou arrêter de faire du sport », souligne-t-elle en précisant que le « décrochage sportif » est un gros problème chez les adolescentes au Québec. En effet, selon la dernière enquête québécoise sur l’activité physique et le sport, environ 15 % des adolescentes se disent actives, contre 23 % chez leurs camarades masculins.

Mais avant d’inscrire sa fille au hockey féminin, encore faut-il faut que l’offre existe dans la région où on se trouve.

À Montréal, une jeune fille qui désire pratiquer le hockey dans une équipe féminine doit s’inscrire au programme Hockey Montréal Féminin. Elle se retrouvera alors dans un groupe formé de joueuses qui proviennent d’un peu partout dans la métropole. Hockey Montréal Féminin est indépendant des associations de hockey mineur des différents quartiers qui n’ont aucune obligation de faire la promotion des équipes féminines.

Chloé Deraiche, une bénévole impliquée dans le développement du hockey féminin, est d’avis que les différentes associations de hockey mineur devraient publiciser, ou du moins, mentionner l’existence du hockey féminin lors des périodes d’inscriptions.

« Quand j’ai inscrit ma fille à l’aréna pour qu’elle joue au hockey il y a quelques années, on ne m’a jamais mentionné l’existence des équipes féminines », raconte-t-elle en ajoutant qu’elle a découvert « les équipes de filles en faisant des recherches sur l’internet ».

Sa fille Charlie, qui a débuté en jouant avec les garçons, joue maintenant dans une ligue féminine.

« Ça vaut la peine, parce que les filles ont vraiment du fun ensemble. J’ai vraiment vu un regain de motivation pour le hockey chez ma fille et un sentiment d’appartenance que je ne retrouvais pas chez elle avant », souligne Mme Deraiche.

Marcel Patenaude, directeur hockey chez Hockey Québec, ne croit pas que les associations de hockey mineur devraient être « obligées » de mentionner l’existence du hockey féminin lors des inscriptions, mais reconnaît l’importance d’en faire la promotion.

« Certaines associations ont le désir que les jeunes filles jouent avec les jeunes filles, mais ce n’est pas le cas pour toutes les associations, et au final, c’est à la jeune fille de décider. Si toutes les jeunes filles jouaient entre filles, ça créerait un modèle encore plus fort et pour nous, c’est aussi plus facile d’observer et de recruter les différentes joueuses lorsqu’elles sont ensemble, ça serait l’idéal », indique-t-il en précisant que « le vœu de la fédération est de faire en sorte que le volet féminin soit de plus en plus présent dans nos discussions et nos façons de faire ».

Danielle Sauvageau ajoute que « le hockey féminin a pris beaucoup de temps » à s’organiser au Québec. « Tout repose sur des bénévoles et bien souvent, on commence à voir une certaine équité, mais on s’intéresse plus naturellement au hockey masculin, soi-disant parce qu’il y a des débouchés pour nos garçons qui compétitionnent alors que les filles, elles, jouent au hockey ».

De meilleures « heures de glace » pour les garçons

Parmi les problèmes d’iniquités rencontrés par certaines équipes féminines au Québec, il y a l’accès aux infrastructures et la qualité des horaires.

« Des intervenantes nous ont dit qu’il y avait moins d’heures de glace disponibles pour les filles et de moins bons choix pour les heures de glace, que ce soit le week-end très tôt ou très tard… mais il faut faire attention, ce sont des constats qui changent d’une région à l’autre, ça peut grandement varier », explique Danielle Sauvageau.

Marcel Patenaude reconnaît que la qualité des « heures de glace » représente un enjeu et soutient que son organisation « est en train de développer des directives claires pour les différentes associations » afin qu’il y ait plus d’équité entre les équipes de garçons et les équipes de filles.

Développer des joueuses élites

Sur les 22 joueuses de la formation canadienne lors du Championnat du monde féminin de hockey sur glace l’été dernier, 15 étaient originaires de l’Ontario et seulement deux joueuses, Marie-Philip Poulin et Mélodie Daoust, venaient du Québec.

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Marie-Philip Poulin

En 2002, lorsque Danielle Sauvageau dirigeait l’équipe qui avait gagné l’or aux olympiques de Salt Lake City, six Québécoises et neuf Ontariennes faisaient partie de l’équipe.

Mme Sauvageau estime qu’il faut créer « des débouchés de haut niveau », autres que l’équipe nationale, afin de stimuler la participation des jeunes Québécoises.

« Après le niveau universitaire, il n’existe plus rien pour les joueuses élites au Québec », déplore-t-elle en précisant que « ça prend une ligue professionnelle ».

En attendant le retour d’une équipe féminine professionnelle dans la métropole, celle qui est aussi directrice générale du programme de hockey des Carabins de l’Université de Montréal offre une « structure professionnelle » aux joueuses élites.

Depuis la dissolution de la Ligue canadienne de hockey féminin en 2019, Danielle Sauvageau dirige le Centre de hockey de haute performance 2102, qui est installé à l’Auditorium de Verdun.

Les joueuses élites peuvent y recevoir un entraînement de pointe, des services scientifiques et médicaux sportifs et elles ont accès à des plateaux conformes aux normes internationales. Le gouvernement du Québec a récemment investi 375 000 $ dans ce centre, notamment pour encourager « le développement de modèles inspirants pour les jeunes filles » et « favoriser la représentation québécoise sur l’équipe nationale ».

« C’est un projet unique au Canada » qui vise à réunir les jeunes talents et les développer.

La prochaine étape est « d’asseoir une équipe professionnelle sur le haut de la pyramide », précise Mme Sauvageau.

L’été dernier, le centre 2102, qui fait référence à la première médaille d’or olympique des Canadiennes le 21 février 2002, a organisé le Sommet du hockey féminin qui visait à répertorier dans un rapport « l’ensemble des observations, défis et constats qui relèvent du hockey féminin » au Québec.

Ce rapport, qui fera état notamment de « l’insuffisance des ressources accordées au hockey féminin, de la nécessité d’établir un plan d’action commun et d’unifier l’offre de services », est en cours d’écriture et sera publié très prochainement.