« En séries, tout peut arriver. »

C’est le Wayne Gretzky des clichés sportifs. D’ailleurs, la Merveille nous l’a déjà servi. Tout comme Mario Lemieux. Mark Messier. Vincent Damphousse. Pat Burns. Guy Carbonneau. Claude Larose, dès les années 1960. Et bien sûr Marc Bergevin. Ad nauseam.

Vous savez quoi ?

Ils ont raison.

Dans les séries de la Ligue nationale de hockey, les surprises se succèdent. Prenez les éliminatoires de 2012. La finale opposait les Devils du New Jersey aux Kings de Los Angeles. Classés sixièmes et huitièmes. Pas au classement général. Dans leur association. En 2017, les Predators de Nashville – derniers qualifiés dans l’Ouest – ont eux aussi atteint la finale. Et ce ne sont pas des anomalies statistiques.

Depuis le lock-out, il y a eu 210 séries dans la LNH. Je vous laisse deviner combien de fois les négligés furent les vainqueurs.

40 ? Vous gelez.

60 ? Même pas proche.

80 ? Encore plus.

C’est arrivé 91 fois. Soit dans 43 % des séries. Quand même ! C’est une statistique à laquelle s’accrochent bien des directeurs généraux – et je les comprends. Cette année, attendez-vous à encore plus de surprises. À cause des risques d’éclosion. Des matchs en territoire neutre. Des sièges vides. Des arbitres qui subissent moins de pression. Des joueurs qui s’ennuient de leurs familles. De ceux qui sont en forme et de ceux qui ne le sont pas.

C’est l’été de tous les possibles.

L’ARBITRAGE

Les arbitres ne sont pas des robots. Du moins, pas encore. Lorsque les spectateurs les sifflent, les huent, les insultent, ça influence leurs décisions, démontrent des recherches universitaires.

Concrètement, une foule hostile incite les officiels à être plus sévères avec l’équipe visiteuse. Et plus cléments avec le club local. En 2006, Ryan Boyko, alors chercheur à Harvard, a étudié plus de 5200 matchs de la Premier League, la ligue anglaise de soccer. Sa conclusion : les visiteurs recevaient 38 % plus de cartons jaunes et 67 % plus de cartons rouges que les locaux. Un écart significatif.

Alan Nevill, Nigel Balmer et Mark Williams, eux, ont prouvé que le bruit causé par les spectateurs a un « effet dramatique » sur les décisions des arbitres de soccer.

Sauf que cet été… il n’y a plus de foule !

L’arbitrage changera-t-il ?

Assurément. En Europe, pour la première fois depuis 15 ans, les clubs de soccer visiteurs en Allemagne, en Italie et en Espagne reçoivent moins de cartons que leurs hôtes. En Angleterre, l’écart s’est aussi resserré, révèle une compilation du Financial Times.

Si la tendance se confirme dans la LNH, les clubs favoris – qui disputent plus de matchs à domicile – seront les plus affectés par l’absence de spectateurs. Il faudra aussi surveiller, si libérés de la pression de la foule, les arbitres seront plus (ou moins) permissifs.

S’ils rangent leur sifflet, ça nuira aux équipes dépendantes des supériorités numériques pour compter des buts. Franchement pas un problème pour le Canadien. Seulement 15,5 % de ses buts cette saison ont été inscrits en surnombre. Parmi les clubs qualifiés, seuls les Islanders de New York ont fait pire.

Par contre, les équipes suivantes sont à risque.

PROPORTION DES BUTS COMPTÉS EN SUPÉRIORITÉ NUMÉRIQUE
Oilers d’Edmonton 26,2 %
Bruins de Boston 25,1 %
Canucks de Vancouver 25,0 %
Stars de Dallas 23,3 %
Rangers de New York 22,2 %
Blues de St. Louis 21,8 %

L’ABSENCE DE SPECTATEURS

La foule influence aussi les performances des athlètes.

Encore là, la littérature scientifique est abondante. Nevill, Balmer et Williams, que j’ai cités plus tôt, ont démontré que les olympiens brillent davantage lorsque les Jeux sont présentés dans leur pays natal. Et ce, tant dans des disciplines objectives (athlétisme, haltérophilie) que dans des disciplines subjectives (gymnastique, boxe). Le soutien de la foule explique en partie ce phénomène.

Selon une autre étude, les hockeyeurs masculins produisent plus de testostérone lorsqu’ils jouent à domicile qu’à l’étranger. Pourquoi ? Plusieurs scientifiques croient que les joueurs des équipes locales souhaitent « défendre leur territoire », ce qui augmente leur niveau d’agressivité et leur permet de mieux performer.

Pas de doute, l’absence de spectateurs modifiera le comportement et les performances des hockeyeurs de la LNH. Jonathan Drouin a d’ailleurs effleuré le sujet, mercredi, après le match préparatoire contre les Maple Leafs de Toronto.

« Pas de partisans, c’était un peu bizarre. Il n’y avait aucune ambiance. Il y avait plus d’ambiance pour mes matchs Atome BB à Mont-Tremblant que sur la glace [mardi] soir. »

L’effet sur la patinoire ? On risque de voir un style de jeu plus conservateur. En Allemagne, sans la pression et le souffle des partisans, les footballeurs sont moins portés sur l’attaque. En juin, le nombre de tentatives de tir avait chuté d’environ 10 % par rapport aux saisons précédentes.

LA DURÉE DES SÉRIES

Pour le tour de qualification, la LNH a choisi un format 3 de 5. Une série plus courte que le traditionnel 4 de 7. Plusieurs commentateurs et partisans estiment que ça pourrait profiter aux équipes négligées – comme le Canadien.

D’où vient ce mythe ? Je l’ignore. Mais sachez qu’il n’est pas fondé.

Reprenons les 210 séries disputées depuis le lock-out. Après quatre victoires, les favoris ont gagné 119 fois et les négligés, 91 fois. Quel aurait été le résultat si les séries avaient été plus courtes ?

Après une victoire : favoris 130, négligés 80

Après deux victoires : favoris 126, négligés 84

Après trois victoires : favoris 128, négligés 82.

Historiquement, les équipes négligées ont donc gagné plus souvent dans un format 4 de 7 qu’elles ne l’auraient fait dans une série écourtée. Désolé si ce n’est pas ce que vous vouliez entendre…

LES ÉCLOSIONS

L’éléphant dans la pièce. Qu’arrivera-t-il si une équipe est privée de plusieurs vedettes infectées par la COVID-19 ? C’est un scénario réaliste. En MLS, deux équipes ont déclaré forfait dans les premiers jours de la reprise. Dans le baseball majeur, les Marlins de Miami et les Phillies de Philadelphie ont cessé leurs activités jusqu’à nouvel ordre. Les Cardinals de St. Louis, aux prises avec deux nouveaux cas, n’ont pas joué vendredi soir.

Le protocole de retour au jeu de la LNH prévoit… En fait, il ne prévoit rien du tout. On traversera le pont lorsqu’on sera à la rivière. D’ici là, une seule certitude : une éclosion changerait dramatiquement le cours d’une série.

ET LE CANADIEN ?

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Carey Price et le Canadien de Montréal reprennent l’action ce samedi, à Toronto, en affrontant les Penguins de Pittsburgh lors d’un duel du tour de qualification donnant accès aux séries éliminatoires de la LNH.

Ce sera l’été de tous les possibles, disais-je. Plus que jamais, le contexte favorisera les négligés. Assez pour que le Canadien élimine les Penguins ?

J’en doute. L’écart de talent entre les deux formations reste important. Les Penguins ont terminé la saison avec un différentiel positif de 25 buts. Le Canadien ? - 12. Et ce, même si Carey Price – son meilleur joueur – a disputé presque toutes les rencontres.

Par contre, je crois que ce sera plus long que prévu.

Ma prédiction ?

Les Penguins en cinq.