À 65 ans, Rick Bowness pourrait soulever la Coupe Stanley pour la toute première fois d’une longue carrière. Portrait d’un entraîneur adoré de ses joueurs.

La célébration de Corey Perry a duré exactement deux secondes.

Posté devant le filet adverse, lundi soir, Perry était aux premières loges pour assister au but en prolongation qui a envoyé les Stars de Dallas en grande finale. Instinctivement, le vétéran a levé les bras et s’est rué vers le marqueur, Denis Gurianov. Mais moins de deux secondes ont suffi pour qu’il se ravise et fonce vers le filet pour y cueillir la rondelle.

Cette rondelle, c’était celle qu’il destinait à son entraîneur Rick Bowness, pris d’assaut par les accolades de ses adjoints trop heureux de voir leur patron s’approcher du but ultime, celui de soulever la Coupe Stanley pour la première fois de sa carrière, à 65 ans et après plus de 2400 matchs derrière un banc de la LNH.

« C’est un entraîneur pour lequel on est prêts à tout faire », dira le capitaine Jamie Benn quelques instants après la rencontre, résumant parfaitement l’affection hors du commun que les joueurs des Stars ont pour leur pilote.

Voilà donc plus de 35 ans que Bowness roule sa bosse dans la LNH, pratiquement sans interruption.

Né à Moncton en 1955, il dispute ses années juniors dans la LHJMQ, d’abord avec les Remparts de Québec, puis chez le défunt Bleu-Blanc-Rouge de Montréal. En 1975, les Flames d’Atlanta font de ce joueur de centre leur choix de deuxième tour. Le Néo-Brunswickois passe alors les quelques saisons suivantes à faire la navette entre la LNH et la Ligue centrale.

Il fait son dernier arrêt comme joueur à Sherbrooke, en 1982, au sein du club-école des Jets de Winnipeg. En réalité, il y remplit le rôle aujourd’hui désuet de joueur-entraîneur. Puis, en 1984, il troque pour de bon les épaulettes pour le complet-cravate lorsqu’il accepte le poste d’entraîneur adjoint des Jets dans la LNH.

Sous ses ordres là-bas, on retrouve un ailier droit du nom de Jim Nill. Quelques années plus tard, en 1992, les deux hommes se retrouvent à Ottawa – Nill comme dépisteur et Bowness comme premier entraîneur-chef des Sénateurs. Puis plus de 25 ans après, c’était au tour de Nill, devenu directeur général des Stars, de confier à son ancien patron un rôle d’entraîneur adjoint.

« Il est resté la même personne qu’à l’époque, sur la glace et à l’extérieur de celle-ci, a insisté Nill, mardi, en point de presse à Edmonton. À Ottawa, on n’avait pas un bon club, mais il venait travailler chaque jour, en étant le même gars, pour essayer de rendre son équipe meilleure. »

À la dure

La Presse a publié, l’hiver dernier, un reportage sur les premières saisons atroces des Sénateurs, de 1992 à 1995. Une époque aride, parfois brutale, durant laquelle la défaite était devenue le quotidien de cette équipe d’expansion. Avec les conséquences qu’on peut imaginer pour les jeunes entraîneurs derrière le banc qu’étaient Bowness et son adjoint Alain Vigneault.

Lisez (ou relisez) notre reportage

« Le meilleur coach pour cette formation, c’était probablement Rick Bowness, l’une des personnes les plus optimistes et les plus positives que j’ai rencontrées dans ma vie, nous a alors confié Vigneault. Sa manière de tourner la page sur une journée et de revenir le lendemain, ça m’a aidé avec mes autres équipes, et c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles j’ai été capable d’avoir la carrière que j’ai dans la LNH. »

Vigneault a d’ailleurs, lui aussi, rendu la faveur à Bowness en en faisant son adjoint à Vancouver de 2006 à 2013.

C’est justement chez les Canucks qu’Alex Burrows a pu le côtoyer. À ses débuts dans la LNH, le fougueux ailier s’est fait une niche comme spécialiste du désavantage numérique, une unité supervisée par Bowness.

Burrows parle spontanément d’un « excellent communicateur » qui était possiblement « en avance sur son temps », sachant qu’il était issu de la vieille école. « Il a tellement d’expérience, il sait comment parler à ses joueurs », raconte celui qui est aujourd’hui entraîneur adjoint du Rocket de Laval, dans la Ligue américaine. Il n’hésite d’ailleurs pas à évoquer l’influence de Bowness sur son propre cheminement.

Quand on connaît une série de défaites, que la fatigue s’accumule, j’essaie toujours d’avoir une approche positive, et c’est quelque chose que je retiens de lui. C’était toujours un plaisir de le voir à l’aréna. J’essaie de modeler mon travail sur ce qu’il faisait.

Alex Burrows, entraîneur adjoint avec le Rocket de Laval

Fait à noter, plus d’une dizaine de personnes ayant occupé des postes d’entraîneur, de directeur général et d’administrateur de la LNH au cours des dernières années ont joué sous les ordres de Bowness à un moment ou à un autre de leur carrière.

En plus de Jim Nill, mentionnons Jarmo Kekäläinen, Scott Arniel, Jack Capuano, Paul MacLean, Randy Carlyle, Don Sweeney, Travis Green, Mike Sullivan, Trevor Linden et Roberto Luongo. On retrouve en outre trois de ses anciens protégés dans l’organisation du Canadien en Joël Bouchard et Burrows, à la tête du Rocket, et Sean Burke, dépisteur professionnel pour le Tricolore.

Et en finale de la Coupe Stanley, il pourrait bien retrouver Jon Cooper, du Lightning de Tampa Bay, qui a été son patron de 2013 à 2018.

Comme quoi le monde du hockey peut être bien petit.

Le long chemin de l’adjoint

Alors que Rick Bowness connaît aujourd’hui du succès comme entraîneur-chef, c’est surtout comme adjoint qu’il a fait sa marque au cours de sa longue carrière.

Au total, il a été entraîneur adjoint ou associé pendant 24 saisons (complètes ou partielles), et ce, au sein de cinq organisations.

Éric Fichaud, ex-gardien aujourd’hui analyste à TVA Sports, a connu Bowness comme entraîneur associé chez les Islanders de New York à sa première saison complète à Long Island. Le Québécois se rappelle un homme « juste, très en contrôle », qu’il adorait.

Fichaud avoue par contre que la promotion de Bowness comme entraîneur-chef, après que le controversé Mike Milbury se fut retiré du poste en cours de saison, n’a pas été de tout repos.

Visiblement sous haute pression, Bowness est devenu plus tendu, distant. La franchise traversait alors certaines des années les plus difficiles de son histoire, sous la direction d’un directeur général (Milbury) dont l’évocation du nom donne encore des cauchemars aux fans des Islanders. Bowness a d’ailleurs estimé, en entrevue avec La Presse en février dernier, qu’il n’aurait pas dû accepter cet emploi.

Fichaud souligne tout de même à quel point il est impressionné par ce que son ancien pilote accomplit aujourd’hui.

Tu vois à la réaction de ses joueurs à quel point c’est un entraîneur apprécié.

Éric Fichaud

Parti de Long Island, Bowness a joué exclusivement les seconds rôles au cours des deux décennies suivantes à Phoenix, à Vancouver, à Tampa Bay et à Dallas, à l’exception d’une courte parenthèse de 20 parties en fin de saison en Arizona, en 2004.

Daniel Brière l’a connu comme adjoint à Phoenix au tout début de sa carrière. Son souvenir, strictement positif, est celui d’une « très bonne personne qui essayait d’aider les jeunes à grandir ».

« Les assistants sont toujours plus proches des joueurs que les entraîneurs-chefs, et c’est probablement ce qui fait qu’il est si bon aujourd’hui ; il est capable de s’ajuster et comprend bien ce que les joueurs vivent », observe Brière, joint chez lui à Philadelphie, où il réside depuis sa retraite du hockey, en 2015.

Le Québécois voit d’ailleurs un parallèle avec Craig Berube, qui a remporté la Coupe Stanley l’année dernière avec les Blues de St. Louis. Lui aussi a longuement fait ses classes avant de prendre les rênes de son équipe. « Ça m’a frappé de voir comment les joueurs étaient contents pour lui quand il a soulevé la coupe », note Brière.

Au pied levé

En décembre dernier, quand les Stars ont congédié leur entraîneur-chef Jim Montgomery en raison de sa conduite « non professionnelle » – on dévoilera plus tard ses problèmes de consommation d’alcool –, le directeur général Jim Nill a dû se décider rapidement : qui, au sein de son personnel, était le plus à même de prendre la relève au pied levé ? Rick Bowness, John Stevens et Todd Nelson avaient tous été entraîneurs-chefs dans la LNH. Il fallait en désigner un sur-le-champ.

Le choix s’est arrêté sur le doyen du groupe qui, au demeurant, était celui qui était à Dallas depuis le plus longtemps. Selon Nill, les deux autres ont tout de suite été à bord, et on a greffé au groupe Derek Laxdal, qui dirigeait jusque-là le club-école dans la Ligue américaine.

Les Stars se sont bien tirés d’affaire au cours des semaines suivantes, mais connaissaient un important passage à vide au moment où la LNH a cessé ses activités en réponse à la pandémie de COVID-19.

De l’avis du DG, cette pause aura permis à Bowness et à ses adjoints de faire ce qu’ils n’avaient pas eu le temps d’accomplir dans le tumulte de la saison : apposer leur marque sur l’équipe. Les longs mois sans hockey auront, en cela, été bénéfiques aux Stars, et c’est une équipe pratiquement transformée, dont l’attaque est plus que jamais appuyée par ses défenseurs mobiles John Klingberg et Miro Heiskanen, qui s’est présentée dans la « bulle » d’Edmonton.

Moins nantis offensivement que la plupart des adversaires qu’ils ont affrontés jusqu’ici, les joueurs ont, à l’évidence, « acheté » le système de Bowness basé sur l’efficacité avant le spectacle. Et ils s’y livrent corps et âme. « Ils jouent pour leur entraîneur », a résumé Jim Nill.

Il se demandait si la chance d’être un jour entraîneur-chef de nouveau se présenterait. Elle est arrivée, il l’a saisie, et il fait du boulot formidable. Il n’y a pas de plus grande satisfaction que ça.

Jim Nill, directeur général des Stars de Dallas

Bowness lui-même a affirmé tard lundi soir que le sentiment de se retrouver en finale de la Coupe Stanley « ne peut être décrit en mots ».

Il peut en témoigner : c’est seulement la deuxième fois qu’il se retrouve en grande finale, après la défaite crève-cœur des Canucks de Vancouver en sept matchs contre les Bruins de Boston en 2011. Et c’est la première fois depuis 1992 qu’il occupe un rôle d’entraîneur-chef en séries. Et ce, même s’il est actuellement le représentant plus âgé de sa profession.

À ses joueurs, il répète qu’il est « tellement rare d’accéder à ce niveau qu’il faut en savourer chaque minute ».

Ce qu’il fait d’ailleurs, sans gêne. Et c’est pleinement mérité.