Il y a une scène dans Red Penguins, le nouveau documentaire du réalisateur Gabe Polsky, où l’on finit par apprendre que naguère, dans les glorieuses années 90, l’aréna du célèbre club de l’Armée rouge à Moscou hébergeait aussi… un bar de danseuses nues au sous-sol. « Je ne pouvais pas croire que c’était vrai », raconte à la caméra Steven Warshaw, le cerveau des opérations hockey.

Il est, en effet, dur de croire que c’est vrai, mais oui, c’est vrai : les Russian Penguins de Moscou ont bel et bien existé. Ce fut bref et intense, un peu comme ce documentaire de 80 minutes bien tassées, qui raconte l’épopée de cette équipe de Moscou, autrefois connue sous le nom de l’Armée rouge, mais qui changea de nom (et de logo) le temps de deux saisons chaotiques, au nom d’une nouvelle culture capitaliste qui était encore à définir.

Il convient ici de préciser que le « Penguin » du nom n’est pas le fruit du hasard ; l’équipe de Moscou fut absorbée à 50 % par les propriétaires des Penguins de Pittsburgh d’alors, soit Howard Baldwin, mais aussi les célèbres Mario Lemieux et Michael J. Fox. Tout ce beau monde confia à l’intrépide Warshaw le mandat d’aller sur place afin de veiller au bon fonctionnement des opérations.

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Le temps de deux saisons, au début des années 90, le club CSKA Moscou a changé de nom et de logo pour adopter une nouvelle identité américaine : les Russian Penguins.

C’est un peu là que ça s’est gâté, avant même le bar de danseuses.

Il faut bien comprendre qu’en 1993, à peine deux ans après la mort de l’URSS, la société russe était en pleine mutation, et l’idée de débarquer là-bas afin d’y imposer une vision purement américaine du hockey semble aujourd’hui, et avec le recul, bien saugrenue.

Les patrons des Penguins de Pittsburgh, sans doute soucieux de pouvoir être les premiers à percer le marché du hockey russe, confièrent donc le volant à ce Warshaw, genre de promoteur un peu fou, qui avait le mandat de vendre un spectacle et une autre culture.

Rapidement, il y eut à l’aréna de la bière pour tous (même pour les moins de 18 ans !), des concours un peu fous, et aussi une mascotte qui aimait retirer sa tête. C’est sans oublier les danseuses, à qui l’on demandait aussi de monter en petite tenue pour divertir le public entre les périodes.

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La mascotte des Russian Penguins

Tout ça est absolument cinglé, un peu comme le documentaire, qui appuie chaque anecdote avec des images de l’époque, et qui nous permet de faire la rencontre de types un peu louches, qui ne s’enfargent pas dans les détails de la délicatesse. Au fil du récit, on comprend que Steven Warshaw ne se fait pas que des amis ; d’un côté, il a ses alliés, mais de l’autre, il y a la vieille garde, incarnée par l’entraîneur Viktor Tikhonov, un gars de l’armée qui voit arriver ce jeune Américain d’un œil très méfiant.

Enfin, et c’est un peu ce qui glace parfois le sang, il y a un fond de violence qui se manifeste, surtout quand les nouveaux « hommes d’affaires » de cette nouvelle Russie se mettent à converger à l’aréna, voyant bien qu’il y a de l’argent à faire avec cette nouvelle équipe de hockey.

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Choix de quatrième tour des Sharks de San Jose en 1993, le défenseur russe Alexander Osadchy a été tué sans que personne découvre l’auteur du crime.

Il est d’ailleurs fortement suggéré que si l’aventure des Penguins rouges a pris fin si abruptement, c’est avant tout en raison de la présence trop encombrante de la mafia russe, qui finira par imposer sa loi ; entre autres atrocités, le meurtre mystérieux du défenseur Alexander Osadchy, choix de quatrième tour des Sharks de San Jose en 1993, ne sera jamais élucidé.

Les Russian Penguins, ce fut donc un peu tout ça, et le récit qui est ici offert (en streaming depuis le 4 août) ne manque pas de piquant. Ceux qui ont aimé le documentaire précédent de Gabe Polsky, Red Army (paru en 2015), ne voudront pas rater celui-ci non plus. Parce que les histoires de hockey qui mélangent rondelles, mafieux, sexe et burlesque, c’est rarement ennuyant.