Comment résumer les deux dernières années des Sénateurs d'Ottawa? Deux années au cours desquelles ils ont vécu ceci, entre autres:

- les six meilleurs pointeurs de la dernière saison (Mark Stone, Erik Karlsson, Mike Hoffman, Matt Duchene, Ryan Dzingel, Derick Brassard) plient bagage; 

- la conjointe de Hoffman harcèle celle de Karlsson; 

- l'adjoint au directeur général Randy Lee est accusé de harcèlement, puis s'en va;

- le propriétaire Eugene Melnyk vole le spectacle lors du match extérieur en décembre 2017 en évoquant un déménagement de l'équipe; 

- des partisans se cotisent pour acheter un panneau publicitaire réclamant son départ; 

- plusieurs joueurs, dont Duchene, critiquent l'entraîneur adjoint Martin Raymond dans une vidéo filmée à leur insu;

- le DG Pierre Dorion dit que le sort de l'entraîneur-chef Guy Boucher sera décidé au printemps, puis le congédie quelques jours plus tard;

- Mark Stone et Matt Duchene refusent des offres honnêtes pour rester à Ottawa, sont échangés à la date limite des transactions, puis Stone s'entend avec les Golden Knights de Vegas en 30 minutes;

- le projet de nouvel aréna aux Plaines LeBreton tombe à l'eau;

- le choix de premier tour cédé à l'Avalanche du Colorado dans l'échange de Duchene pourrait devenir le premier au total...

1. Dans l'aréna

Petit tour dans les coursives pour jaser un peu avec les amateurs avant le match entre les Sénateurs et les Islanders. Un match, d'ailleurs, qui ne soulève pas les passions, à voir les nombreux sièges vides. 

Est-ce difficile d'être un partisan des Sénateurs en ce moment?

Dans l'ascenseur, un partisan lance au groupe: Is it the moment to scream: go, Sens, go? («Est-ce le moment de crier: allez, les Sénateurs?)»

Un homme lui répond du tac au tac: Yeah, but go where? («Oui, mais où?»)

L'hilarité éclate. Et la repartie résume à merveille l'amertume des partisans croisés.

Pour beaucoup, il y a une relation à rebâtir, et les problèmes actuels des Sénateurs se résument en un nom: Eugene Melnyk.

«Je suis loyale envers l'équipe et ses joueurs, mais ça prend un nouveau propriétaire, lance une dame passionnée drapée aux couleurs des Sénateurs. On sent qu'il détruit l'équipe. Je serai toujours une fan, j'espère seulement qu'on ne perdra pas l'équipe. Qu'un nouveau propriétaire investira. C'est frustrant. Dès que quelque chose ne va pas, je blâme Melnyk.»

Celle qui l'accompagne conclut: «C'est dire à quel point on ne l'aime pas.»

Plus loin, deux hommes marchent vers leur siège. L'un des deux a cessé de se procurer un abonnement, comme 4000 autres personnes, selon divers médias. Mauvais investissement, explique-t-il.

«Quand les jeunes vont faire des Sénateurs une bonne équipe, le propriétaire ne doit pas les laisser partir, dit l'homme à ses côtés. Il y a une question de confiance. Le problème, c'est Melnyk. Il nous ment. Le DG n'est pas si mal, mais il est la marionnette de Melnyk. Il a dit qu'il était content de sa date limite des transactions. Sérieusement? Tu as laissé partir trois joueurs étoiles.»

Deux hommes attablés à quelques pas de là sont détenteurs d'abonnements depuis six ans. De vrais partisans, particulièrement courroucés qu'il n'y ait toujours pas de projet d'aréna au centre-ville. Il est vrai que la 417 entre Ottawa et Kanata se transforme souvent en interminable bouchon de circulation.

«Ça nous prend 90 minutes, arriver ici, lance l'un d'eux, irrité. On pensait que la première pelletée de terre aurait déjà eu lieu. Melnyk doit partir. Il a été notre sauveur, mais il est temps qu'il parte. Il donne l'impression soit de ne pas avoir d'argent, soit de ne pas vouloir le dépenser. On ne peut pas gérer une équipe comme si c'était un dépanneur.»

Au moins, les partisans rencontrés ont foi en l'avenir de l'équipe sur la glace. Ils sont tous prêts à faire preuve d'un peu de patience en attendant que les jeunes prennent leur place.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

2. Dans le vestiaire

Poursuivons le tour du désastre dans le vestiaire des Sénateurs.

Même si les joueurs s'en tirent plutôt bien dans l'opinion publique, ce sont quand même eux qui reçoivent le gros du mécontentement des partisans.

Ça n'aide pas, bien sûr, que l'équipe croupisse au dernier rang du classement. Mais est-ce vraiment la faute des joueurs si l'organisation est devenue le paratonnerre de la LNH?

On le disait, plus de Stone, plus de Duchene. Jean-Gabriel Pageau, un gars de la région, est donc devenu à 26 ans seulement la voix de la raison. Il reconnaît que la plus récente date limite des transactions a fait mal.

Rarement avait-il vu autant de distractions autour du vestiaire, ce qui n'est pas peu dire à Ottawa.

> Relisez un article sur la transaction impliquant Mark Stone

«Ça fait plusieurs choses l'une après l'autre; la période des transactions, l'entraîneur, l'aréna, tout est arrivé en même temps. On ne pouvait pas tomber plus bas. On doit rebâtir positivement. On a de nouveaux joueurs, un nouvel entraîneur, c'est un nouveau départ. On veut prouver qu'on a notre place ici, qu'on veut gagner.»

Au fil de la conversation, Pageau laisse tomber que cette fin de saison doit servir pour l'équipe à «travailler sur sa réputation».

Plusieurs jeunes peuvent profiter des épreuves pour grandir, les Brady Tkachuk, Colin White, Anthony Duclair, Thomas Chabot. Les Drake Batherson, Logan Brown, Erik Brannstrom et Maxime Lajoie attendent aussi leur tour dans l'antichambre.

En fait, l'équipe ne manque pas de jeunes talents, et l'avenir pourrait être radieux. Encore faut-il leur offrir un terreau fertile. C'est le défi de Marc Crawford, parachuté entraîneur-chef en situation de crise.

«Mon rôle est de tirer le meilleur d'eux. Ça ne change jamais. Tu veux toujours gagner le prochain match. On doit trouver une manière de montrer à tout le monde, à nos partisans, à nous-mêmes, que l'on peut gagner nos batailles contre les meilleurs.»

Pageau insiste: le bruit entourant l'équipe doit s'arrêter à la porte du vestiaire.

Chabot, aujourd'hui le meilleur pointeur des Sénateurs, en rajoute. «Maintenant, on se concentre sur ce qu'on a dans la chambre. C'est tout ce qu'on contrôle. Aller sur la glace et jouer le mieux qu'on peut. On est chanceux d'avoir un groupe de gars comme celui-ci. On se serre les coudes. On s'assure que tout le monde est sur la même longueur d'onde. Ça nous a donné la chance de bloquer le bruit extérieur.»

N'empêche, Dorion n'a peut-être pas choisi le meilleur moment, après avoir liquidé l'équipe, pour lancer le fameux «no excuses» à ses joueurs.

Pageau et Chabot restent diplomates. Le premier juge que «c'était une journée difficile pour tout le monde» et qu'«il n'y a pas de bons ou de mauvais moments», le deuxième que c'était une réaction «honnête».

PHOTO JONATHAN HAYWARD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

3. Aux Plaines LeBreton

Petit tour ensuite aux Plaines LeBreton, un endroit immense, immensément vide, à deux pas des grands hôtels du centre-ville, à un kilomètre du parlement canadien, à un jet de pierre de Gatineau et devant le magnifique Musée de la guerre. Vingt et un hectares de potentiel inexploité, traversés par la jolie promenade Sir-John-A.-MacDonald.

Au beau milieu d'une autre rue, Booth, on trouve la station Pimisi, flambant neuve. C'est l'une des 13 de la Ligne de la Confédération, un réseau de train léger, qui ouvrira bientôt. Bref, l'endroit n'attend qu'une première pelletée de terre.

Pourtant, la semaine dernière, la Commission de la capitale nationale (CCN) a dû annuler le plan de développement mené par le propriétaire des Sénateurs Eugene Melnyk et ses partenaires d'affaires John Ruddy et Graham Bird.

Le projet, RendezVous LeBreton, prévoyait la construction d'un aréna, d'un espace commercial et de 4000 logements et résidences. Mais le partenariat s'est terminé en poursuites réciproques et en médiation ratée.

Un fiasco qui a même provoqué l'impatience du maire d'Ottawa Jim Watson.

La CCN a donc annoncé hier son intention de morceler le terrain en cinq pour attirer plusieurs projets, et non plus un seul. La présence d'un aréna est «possible, mais non essentielle».

«Le développement de l'endroit n'est pas conditionnel à la construction d'un aréna», a dit en substance le directeur général de la CCN Tobi Nussbaum. Il s'est quand même dit «très, très ouvert» à l'idée de faire revivre un projet d'aréna. Bref, retour à la case départ.

Au moins, l'idée d'un aréna au centre-ville n'est pas morte.

Sur la glace, c'est pénible en ce moment, mais l'avenir est prometteur. Les Sénateurs sont à la croisée des chemins.

La bonne nouvelle, c'est que ça ne peut qu'aller mieux...

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE