Trevor Timmins se souvient de sa réaction en regardant la loterie du repêchage le 14 juillet 2005, deux semaines avant le grand jour.

La LNH avait plongé les joueurs dans un lock-out l'hiver précédent et les équipes avaient toutes la chance de participer à la loterie.

«Je suivais l'événement en direct sur le sofa avec ma femme et nous étions encore dans la course après le dévoilement des 20 premiers choix, confie, au bout du fil, le directeur du recrutement amateur du Canadien. Puis il n'en restait plus que six et je commençais à m'exciter à l'idée de mettre la main sur le prix le plus convoité, Sidney Crosby, le joueur de concession.»

Le logo du Canadien est finalement apparu à la télé, Timmins et son équipe allaient repêcher au cinquième rang. «On venait de rater Crosby et la réalité allait me frapper: avec le cinquième choix, nous aurions à décider si nous prenions le "gardien", ce qui provoquerait probablement une controverse au sein du public.»

Timmins voyait en Carey Price une éventuelle vedette. Le jeune homme jouait à Tri-City et offrait des performances déjà étonnantes malgré le manque de talent au sein de son équipe.

Mais le CH comptait déjà un gardien numéro un, José Théodore, il avait seulement 28 ans et remporté deux ans plus tôt les trophées Hart et Vézina.

À l'époque, on n'avait pas besoin de renfort à la position de gardien, mais on manquait cruellement de relève à l'attaque. Choisir un gardien au cinquième rang relevait presque de l'hérésie.

«Malgré tout, [le DG] Bob Gainey n'a pas été difficile à convaincre, confie Timmins. Il m'a dit si c'est votre homme, prenez-le. Et tout juste avant de se prononcer au micro, il m'a reposé la question: "C'est votre joueur, Trev? Alors, prenez-le, ne vous souciez pas de sa position".»

Timmins se souvient de l'explosion de joie à la table voisine lorsque le Canadien a annoncé son choix. «Ils étaient euphoriques. Ils repêchaient immédiatement après nous au sixième rang et le joueur qu'ils convoitaient était encore disponible. Ils étaient convaincus que nous allions le choisir.»

L'équipe en question, les Blue Jackets de Columbus, lorgnait Gilbert Brule. Cet attaquant avait créé une immense sensation à son année de repêchage. Il venait d'amasser 87 points, dont 39 buts, en 70 matchs avec les Giants de Vancouver. Il était robuste à souhait même s'il mesurait 5 pieds 11 pouces.

Brule a d'ailleurs accédé à la LNH à 18 ans. Mais il a subi une fracture du sternum dès son deuxième match à la suite d'une violente mise en échec de Roman Hamrlik, alors avec les Flames de Calgary. Il est revenu au jeu six semaines plus tard, avant de se fracturer la jambe.

Les Blue Jackets l'avaient sans doute lancé trop vite dans la gueule du loup. Il n'a jamais pu s'établir solidement dans la LNH et à 26 ans, il allait s'exiler en Russie, dans la KHL.

Timmins se rappelle à quel point le travail des recruteurs avait été difficile cette année-là.

«Le lock-out nous avait laissés dans l'incertitude. Pendant toute la saison, nous ne savions pas ce qui allait arriver et à quel rang nous allions choisir. Il fallait connaître tous les joueurs par coeur parce que nous pouvions repêcher au 2e rang comme au 28e rang.»

Timmins donne l'exemple de l'an dernier pour illustrer son propos. « On savait plusieurs mois avant le repêchage qu'on allait repêcher dans le top 10. On a concentré notre attention sur quelques joueurs en particulier. Mais si tu participes aux séries cette année et repêches entre le 21e et le 31e rang, tu ne perds pas ton temps à interviewer Jack Hughes et à lui faire subir des tests, parce qu'il ne sera plus disponible. En 2005, il fallait interviewer et analyser chaque joueur. Donc, tu ne pouvais pas te concentrer autant que tu le voulais sur certains parce qu'il fallait s'éparpiller.»

Après Sidney Crosby au premier rang, Bobby Ryan a été choisi au deuxième rang par les Ducks d'Anaheim, Jack Johnson au troisième rang par les Hurricanes de la Caroline et Benoit Pouliot au quatrième rang par le Wild du Minnesota.

Malgré l'insistance de son interlocuteur, Timmins refuse de dévoiler à quel rang figurait Price sur sa liste. «Était-il deuxième? Cinquième? Je me limiterai à dire qu'il était dans notre top 5», répond Timmins en riant.

Ryan a connu quelques saisons de 30 buts à Anaheim avant de voir sa carrière péricliter après son arrivée à Ottawa il y a quelques années. Jack Johnson atteindra éventuellement la marque des 1000 matchs dans la Ligue nationale, mais il a plafonné assez tôt. Pouliot a joué longtemps, mais il n'a jamais produit à la hauteur des attentes.

Si le repêchage de 2005 était à refaire, avec ce que l'on sait aujourd'hui, Sidney Crosby, Anze Kopitar, repêché au 11e rang, et Carey Price constitueraient fort probablement le top 3. Kristopher Letang et Jonathan Quick ne seraient pas loin derrière.