Vivre avec une étiquette. Jonathan Sénécal connaît le tabac.

Considéré comme le meilleur quart-arrière québécois de sa génération, la vedette des Carabins de l’Université de Montréal doit composer avec l’aura accompagnant le fait d’être le joueur le plus dominant du réseau universitaire. Comme si la prophétie était en train de se réaliser.

Sénécal profitait d’une rare matinée de congé la semaine dernière, quelques jours avant de se rendre à Québec pour y affronter le Rouge et Or de l’Université Laval. Sa voix calme et basse se perdait quelque peu entre les gouttes de pluie s’écrasant sur les gradins du CEPSUM et les rénovations apportées à la dernière section des sièges.

Le joueur de 23 ans raconte comment il a vécu son Monday Night Football, lorsque le quart-arrière Aaron Rodgers s’est déchiré le tendon d’Achille après seulement quatre jeux dans l’uniforme des Jets de New York.

« Il paraît que ça fait vraiment super mal », dit-il, en s’assoyant dans une rangée protégée par le toit.

Cette rencontre entre les Jets et les Bills de Buffalo faisait presque exception dans la routine habituelle de Sénécal. « Je ne regarde pas vraiment le sport en général. Je ne vais pas passer tout mon dimanche à regarder le football. Ce n’est pas quelque chose qui vient vraiment me chercher. Je vais regarder des matchs une fois de temps en temps. »

Le Mirabellois essaie d’éviter les distractions autant que possible. S’il n’est pas attiré outre mesure par le football de la NFL, il l’est encore moins par les commentaires ou les analyses faits à son égard.

Avant même l’entrée en scène de Sénécal au collège André-Grasset, les attentes le concernant étaient démesurées. Il a gravi les échelons comme le plus beau projet du football québécois. Enfin un quart-arrière québécois ayant le potentiel de rejoindre les rangs professionnels, disait-on.

Je ne suis pas un gars qui va vraiment lire ou écouter ce qui se fait sur moi. Je fais juste jouer au football.

Jonathan Sénécal

La vedette des Carabins n’a que faire des attentes : « Je ne me mets pas de pression supplémentaire. Je sais que si je connais un mauvais match, ça ne fera pas de moi un moins bon joueur. »

Des mauvais matchs, toutefois, il n’en a pas connu depuis le début de la nouvelle saison. Il a été nommé joueur offensif de la semaine par le RSEQ au terme de ses trois premières parties. Il domine ses homologues dans toutes les catégories, avec 67 passes réussies, un taux de réussite de 70,5 %, 930 verges par la passe, 7 passes de touché et seulement 2 interceptions.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Jonathan Sénécal (à gauche) en action au CEPSUM

Assis face au mont Royal, hébergeant le campus de l’UdeM, il refuse cependant de s’identifier comme étant le meilleur joueur. Mais cette montagne, elle est à lui désormais. Il y règne en roi et maître. À l’entrée du CEPSUM, son visage est la première chose apparente, car sa photo est placée en très gros format juste après la porte d’entrée.

« Je ne savais même pas qu’il y en avait une. Je n’ai jamais remarqué », précise-t-il.

Comme un riche héritier inconscient de sa fortune, Sénécal semble parfois négliger la réputation qui précède son nom.

L’image

L’étudiant à HEC Montréal en est à sa troisième année d’admissibilité avec les Carabins. Pourtant, rien n’a changé chez lui depuis son arrivée. Mis à part quelques tatouages supplémentaires et une coupe de cheveux différente, l’image qu’il a choisi de projeter est la même qu’à ses débuts.

Sur Instagram, il compte seulement six publications. Sur Facebook, il n’a même pas de photo de profil. « Ce n’est pas quelque chose qui fait partie de mon quotidien. Je n’aime pas trop publier des trucs sur ma vie. J’aime ça, garder mes trucs pour moi », explique-t-il.

Homme de peu de mots, Sénécal préfère de loin s’exprimer sur le terrain. « Il y a une différence entre moi qui suis au football et moi dans la vie privée. »

Il reste qu’il souhaite tout de même marquer son passage sur la montagne. « C’est important de laisser une bonne marque », croit-il. Pour lui, le plus bel héritage serait de ramener la Coupe Vanier à la maison.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jonathan Sénécal

En 2021, il s’était incliné en demi-finale du championnat canadien. L’année dernière, les Carabins ont baissé pavillon en finale du championnat provincial. « Quand on a perdu la Coupe Dunsmore, ç’a été un gros facteur de motivation. Perdre par un point à la dernière seconde, c’est crève-cœur. »

Sénécal est donc arrivé au camp d’entraînement plus rapide, plus agile, en plus d’avoir ajouté du muscle à sa charpente. Le quart de 6 pi et 200 lb mesurera son succès ainsi cette saison : « J’aimerais que mes receveurs aient tous des statistiques égales, rétorque-t-il. Ça prouve qu’on est capables de bien distribuer le ballon. Si chaque receveur peut avoir 50 verges par match, admettons, ce serait énorme pour notre attaque. »

Vers les rangs professionnels

Il reste deux saisons à Sénécal avant d’être admissible au repêchage de la Ligue canadienne de football (LCF). La représentation québécoise au poste de quart-arrière dans la LCF a été quasi nulle au cours des dernières décennies. En ce moment, Sénécal est le mieux placé pour éventuellement renverser la tendance.

« C’est sûr que c’est quelque chose que j’aimerais, avoue-t-il, mais il peut arriver plein de choses. Mais c’est sûr que je me prépare pour ça. »

Habituellement, les quarts-arrières efficaces dans le RSEQ finissent avec des postes de réservistes ou sont simplement affectés à une autre position une fois dans la LCF. Comme si les quarts d’ici n’étaient pas assez bons. « Je vais essayer de prouver le contraire », affirme calmement Sénécal.

À son avis, cependant, le lieu de naissance n’a rien à voir avec les occasions. Les meilleurs doivent être les meilleurs, tout simplement, sans égard à la province ou au pays d’origine.

Je pense qu’un bon quart-arrière, peu importe d’où il vient, il va jouer. Le coach veut gagner. C’est une business.

Jonathan Sénécal

Et dans ce domaine, Sénécal s’y connaît. Il terminera son baccalauréat en finances la session prochaine. Il poursuivra ensuite ses études en faisant un diplôme d’études supérieures spécialisées. « Je suis venu à l’université pour avoir un diplôme. »

Il a quitté l’Université du Connecticut, une formation de la NCAA, au profit des Carabins et de l’Université de Montréal. « Je n’aurais pas pu faire un meilleur choix en revenant », jure-t-il.

Aux États-Unis, il aurait sans doute été un grain de sable dans le désert. Trois ans plus tard, il est le roi de la montagne.