À une certaine époque, prédire le gagnant du Super Bowl était à peu près aussi facile que d’épeler le mot touché. En fait, entre la victoire de 35-31 des Steelers de Pittsburgh contre les Cowboys de Dallas en janvier 1980 et celle de 20-17 des Patriots de la Nouvelle-Angleterre aux dépens des Rams de St. Louis en février 2002, il n’y a eu qu’une poignée de matchs serrés.

Dans les 22 Super Bowls entre les deux mentionnés ci-dessus, 17 se sont terminés par un écart d’au moins 10 points, et la marge a souvent été beaucoup plus grande. Les 22 équipes championnes ont totalisé 761 points, alors que les équipes finalistes n’en ont marqué que 361. Une différence de 400 points et un écart médian de 18 par match… Zzzzzzzz.

Les temps ont changé, au grand plaisir des millions de personnes qui regardent la classique annuelle, et il est de plus en plus difficile de départager les équipes finalistes. Lorsqu’il faut se prononcer et donner sa prédiction à ses fidèles lectrices et lecteurs, ça complique les choses.

Au cours de la première semaine depuis les finales de conférence, je penchais du côté des Bengals. Insouciants, le vent en poupe et rien à perdre… sauf le Super Bowl, mais vous comprenez ce que je veux dire.

Une équipe qui vient d’effacer un déficit de 21-3 pour éliminer Patrick Mahomes et les Chiefs en plein Arrowhead Stadium peut-elle vraiment être arrêtée ? Il faut parfois y aller avec son feeling. Mais au cours de la semaine suivante, quelque chose est intervenu et m’a fait changer mon fusil d’épaule : la logique.

Les joueurs offensifs des Bengals de Cincinnati et des Rams de Los Angeles, qui disputeront le Super Bowl LVI ce dimanche soir, à 18 h 30, au SoFi Stadium en Californie, se valent. Joe Burrow, Ja’Marr Chase, Tee Higgins et Joe Mixon du côté des Bengals ; Matthew Stafford, Cooper Kupp, Odell Beckham fils et Cam Akers du côté des Rams.

Les Bengals ont plus de cibles de qualité grâce à Tyler Boyd et à C.J. Uzomah, les Rams ont plus d’options au chapitre des porteurs de ballon avec Sony Michel et Darrell Henderson fils, qui effectuera un retour au jeu et qui pourrait être une carte cachée dans cet affrontement.

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Tyler Boyd devant les médias, jeudi dernier

En défense, les tertiaires et les secondeurs des deux équipes sont également d’un calibre comparable.

La différence ? Les lignes. Et des deux côtés du ballon.

L’exemple des Chiefs

On a vu ce que ça donnait lorsque la ligne offensive des Bengals affrontait un très bon front défensif il y a trois semaines. Les Titans du Tennessee ont réussi neuf sacs. Si le quart Ryan Tannehill n’avait pas joué comme un pied, les Bengals auraient été éliminés, précisément à cause de ça. Il est très peu probable que Stafford fasse perdre son équipe comme l’a fait Tannehill.

Et mauvaise nouvelle pour les Bengals, le front défensif des Rams est encore meilleur que celui des Titans. C’est parce qu’un dénommé Aaron Donald en fait partie.

Le triple joueur défensif par excellence de la ligue veut assurément offrir LA performance de sa grande carrière, et la ligne offensive des Bengals est la proie idéale. On dit que Burrow est un « as » pour échapper aux plaqués, mais il est tout de même le quart qui en a encaissé le plus depuis le début de la saison (51 dans la régulière et 12 autres dans les éliminatoires). Une chance qu’il est habile pour s’esquiver !

On n’a pas à chercher bien longtemps pour constater comment une mauvaise ligne offensive peut coûter cher dans un match aussi important. On n’a qu’à reculer d’un an précisément, au fait. Vous ne vous souvenez pas d’avoir vu Mahomes essayer d’échapper aux chasseurs de quarts des Buccaneers au Super Bowl de l’an dernier ? Marque finale : Kansas City 9, Tampa Bay 31.

La finale de ce dimanche ne devrait pas être un match à sens unique comme celui de l’année dernière, mais les gens qui connaissent bien le football comprennent l’importance de ce qui se déroule sur la ligne de mêlée. Le jeu au sol d’une équipe en dépend. Le temps et la vision de jeu dont peut profiter le quart-arrière en dépendent. C’est souvent là que sont provoqués les revirements, qu’il s’agisse d’un échappé à la suite d’un sac ou d’une interception à cause d’une passe lancée un peu trop vite parce que la pression s’amenait.

Le front défensif des Bengals n’est pas vilain, mais là encore, l’avantage va aux Rams. Leur ligne offensive est très expérimentée et solide. Trey Hendrickson et Sam Hubbard réussiront peut-être quelques jeux pour les Bengals, mais dans un match de 60 minutes, la ligne offensive des Rams devrait remporter sa bataille en jouant avec cohésion. Les quarts-arrière sont évidemment les joueurs les plus importants, mais généralement, c’est sur la ligne de mêlée que ça se décide au football.

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Joe Burrow

Talentueux comme ils le sont, Burrow et les Bengals marqueront leur part de points ce dimanche soir. Par contre, les probabilités sont bonnes qu’ils commettent également un ou deux revirements en raison de la pression qui sera exercée sur eux, et ça pourrait changer la donne dans le match.

Marino et le Super Bowl de 1984

Ce Super Bowl fait un peu penser à celui qui avait suivi la saison de 1984. Comme Burrow, Dan Marino disputait alors sa deuxième saison. Les Dolphins de Miami avaient dominé la Conférence américaine, et une étoile venait de naître.

De l’autre côté, il y avait toutefois une équipe plus complète, plus aguerrie que les Dolphins : les 49ers de San Francisco, qui avaient déjà remporté l’un de leurs cinq championnats à ce moment. Non, je ne compare pas les Rams actuels aux glorieux Niners, mais il y a tout de même une similitude sur le plan de l’affrontement.

Après la défaite de 38-16 des siens, Marino croyait qu’il serait de retour au Super Bowl à plusieurs autres occasions. Il n’y est jamais retourné.

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Aaron Donald

Aaron Donald a avoué qu’il avait pensé la même chose après le revers des Rams contre la Nouvelle-Angleterre il y a trois ans. Il a maintenant la chance de jouer dans le « gros » match une deuxième fois, mais Donald sait qu’il n’y a jamais de garantie, même si une équipe est jeune et remplie de promesses.

C’est la deuxième fois que Donald, Kupp, Whitworth et l’entraîneur-chef Sean McVay atteignent le Super Bowl. Stafford joue depuis 13 ans et a connu beaucoup d’adversité au football et dans sa vie personnelle. Odell Beckham fils a vécu plusieurs saisons perdantes et difficiles. Whitworth est âgé de 40 ans et pourrait prendre sa retraite cet hiver. Sorti d’une retraite de deux ans il y a un peu plus d’un mois, Eric Weddle, lui, sait déjà qu’il s’agira de son dernier match. Ils comprennent tous parfaitement l’urgence de la situation, qu’il est possible qu’il s’agisse de leur dernière chance d’être sacrés champions.

Ce sera peut-être la seule et unique chance des Bengals, aussi, comme ç’a été le cas pour Marino et les Dolphins.

Dans une division qui compte deux des meilleures organisations de la NFL, les Steelers de Pittsburgh et les Ravens de Baltimore, les Bengals rêvent en couleur s’ils pensent pouvoir remporter sept ou huit championnats de division consécutifs. C’est donc loin d’être sûr qu’ils seront de retour en grande finale, contrairement à ce qu’ils semblent croire. Avec autant de jeunes joueurs dans leur formation, saisissent-ils vraiment l’occasion qui se trouve devant eux ? Pas si sûr.

Pour cette raison, et parce que leurs lignes sont nettement plus fortes que celles des Bengals, les Rams devraient remporter un match qui s’annonce très intéressant, ne serait-ce qu’en raison de l’effet de nouveauté qu’entraîne l’affrontement.

Bon Super Bowl à vous tous !

Prédiction : Rams 31, Bengals 24