Hugo Houle a attendu au mois de novembre pour voir la reprise de sa victoire d’étape au Tour de France, le plus grand exploit sportif québécois de 2022. Le cycliste de 32 ans a accepté de le revisiter kilomètre par kilomètre pour les lecteurs de La Presse, son média favori dans le bus pour se détendre avant le départ des étapes…

178,5 km à parcourir

Trente-six ou trente-neuf dents ? Hugo Houle s’est demandé quel petit plateau il emploierait avant la 16e étape du Tour de France, le 19 juillet.

Les deux derniers kilomètres du Mur de Péguère, avec des passages à 16 % et 18 %, le faisaient pencher vers le 36-dents pour bénéficier d’un coup de pédale plus souple dans le très à-pic.

Mais cela valait-il la peine de déranger les mécanos d’Israel Premier Tech pour effectuer un tel changement ? Finalement, il a opté pour le statu quo et le 39-dents.

« Je m’étais dit : si je ne suis pas capable de passer avec le 39, [ça voudra dire] que je ne jouerai pas la gagne. Je roulerai donc moins vite ! »

Il ne pensait pas si bien dire…

Au lendemain de la troisième journée de repos, Houle s’est présenté avec beaucoup de confiance sur la ligne de départ à Carcassonne pour cette première étape pyrénéenne. Quatre jours plus tôt, il avait terminé troisième après une journée complète passée en tête de course. Avec son coéquipier Michael Woods, il avait le mandat de se glisser dans l’échappée.

173,6 km à parcourir

Le « coup » est parti plus vite et plus facilement qu’il ne l’avait prévu. Au point qu’il a failli le rater…

« Disons qu’il était temps que j’y aille. Ça fait un peu partie du jeu. Il y a tellement d’attaques qu’à un moment donné, tu y vas au feeling et tu attends. Je sentais que c’était la dernière chance, sinon ce serait trop dur de revenir. »

Le cycliste québécois a donc été l’un des derniers à rejoindre le groupe de 28 coureurs, dont plusieurs de renom, à commencer par le maillot vert Wout van Aert, qui était là pour veiller aux intérêts du maillot jaune Jonas Vingegaard.

64,7 km à parcourir

Avec la majorité des équipes représentées, le groupe de tête a bien travaillé et s’est donné une priorité d’un peu plus de huit minutes au pied de la première des deux principales montées, le Port de Lers (11,4 km à 6,7 %).

Une première sélection s’est opérée parmi les meneurs sous l’impulsion du grimpeur italien Damiano Caruso. Michael Woods n’a pas tardé à réagir, un scénario parfait pour Houle.

« Ça me permettait de lisser un peu mon effort. Je ne faisais que suivre des gars qui avaient intérêt à revenir comme van Aert ou [Aleksandr] Vlasov. Je faisais juste le maximum pour rester dans le coup par rapport à ces gars-là qui étaient devant. C’était encourageant. »

53,5 km à parcourir

Au sommet du Port de Lers, où un partisan agitait un petit drapeau canadien, ils n’étaient plus que sept en tête : Woods, Caruso, van Aert, Michael Storer, le maillot à pois Simon Geschke ainsi que les Américains Brandon McNulty et Matteo Jorgenson.

Houle a basculé avec un retard de 24 secondes en compagnie de Gorka Izagirre, son ex-coéquipier chez Astana, et Vlasov, 11e au classement général à ce moment-là.

Le Québécois a immédiatement appuyé sur le bouton de son oreillette pour savoir s’il avait la permission de revenir sur les meneurs, au risque de ramener Vlasov et de faire réagir le peloton qui pointait à sept minutes.

Faute de réponse, Houle a pris sur lui de plonger à fond dans la descente technique et sinueuse. « Finalement, je suis allé tellement vite que je les ai lâchés tous les deux, ce qui est surprenant. J’étais concentré au max et c’était le gaz accoté au fond. J’ai pris le maximum de risques avec lesquels j’étais à l’aise. »

38,9 km à parcourir

Revenu dans l’échappée un peu avant le bas de la descente de 13 km, Houle n’a pas traîné. Deux ou trois relais et il a pris la fuite, aidé de Woods, dans sa roue, qui a volontairement laissé un écart avant de lui crier à l’oreillette : « Go, go, go ! »

« Il y a eu un petit flottement qui m’a permis de sortir pratiquement instantanément. J’ai regardé sous mon bras parce que je ne comprenais pas pourquoi les gars ne passaient pas leur relais. J’ai vu qu’il y avait une quinzaine de mètres. Je me suis dit : je vais attaquer à bloc, comme ça il n’y aura pas de niaisage et Mike n’aura pas besoin de rouler. Ils vont me rattraper dans la bosse, d’autant plus que j’étais limite dans l’autre montée. Au fond, ils ont été aussi surpris que moi et ils m’ont laissé 45 secondes… »

PHOTO DANIEL COLE, ASSOCIATED PRESS

Hugo Houle

36,7 km à parcourir

La victoire de Houle s’est jouée dans le Mur de Péguère, un col de première catégorie de 9,3 km à 7,9 %. Avec une avance de 28 secondes au pied, il devait surtout se méfier des deux dernières bornes, où la pente « pas possible » prenait des allures de route pour les chèvres.

« C’était un peu ce que j’avais en tête depuis le début de la bosse. Au début, je dosais mon effort à un niveau que je me savais capable de tenir pour la durée de la montée. Le deux-kilomètres raide, je le ferai à la motivation, avec tout ce qui me reste de force…

Au Tour, avec les motos et la voiture rouge du commissaire qui te suit, les caméras, tout le monde voit que tu es en train de faire une performance. Tu es jugé là-dessus, vaut mieux donner son 110 %… Ce n’est pas tous les jours que tu es seul devant dans une étape clé.

Hugo Houle

À 6 km du sommet, Houle a reçu un ravitaillement crucial d’un membre du personnel d’Israel Premier Tech en cette autre journée torride. En plus d’un bidon d’eau et de deux gels, il a obtenu un sac de glace qu’il a immédiatement glissé à l’arrière du col de son maillot.

Nicolas Roche, ex-pro et analyste pour FloBikes qui venait de rouler ce col, a jugé que « c’est trop dur aujourd’hui pour lui ». « Quand ils vont atteindre les rampes vraiment à pic, les grimpeurs de ce groupe vont être en mesure de faire le pont. Mais je ne lui donnerais pas trop de temps… »

Plus tard, Roche a également mentionné que le meneur enroulait « probablement un 36-dents »… Eh bien non…

« Le 39, ça me forçait à garder une allure élevée pour être capable de tourner les jambes. Avec le braquet que j’avais, je me concentrais à tourner les jambes le plus vite que je pouvais. »

27,2 km à parcourir

Au sommet, à 1375 m d’altitude, Houle détenait une priorité de 26 secondes sur Jorgenson et Woods, qui s’accrochait avec facilité à la roue du jeune Américain, question de bien le décourager… La victoire tendait les bras au Québécois.

PHOTO ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Hugo Houle

Houle avait bien étudié la longue descente, plutôt roulante et donc favorable à ses qualités de contre-la-montreur.

« Je m’étais dit : si j’ai 30 secondes au sommet, il y a vraiment un coup à jouer. À partir de là, je savais que c’était une bataille entre lui et moi. […] Ça allait être un bon défi, mais vu que c’était ma chance de gagner une étape, j’étais d’autant plus motivé. Ça me donnait un peu plus de force. »

Il a eu une petite frousse entre le 20e et le 10e kilomètre.

Là, j’étais un peu inquiet parce que ma nutrition était limite. Je me suis dit : oh ! il me reste encore un petit bout, là… J’avais les jambes qui serraient un peu, j’étais proche d’avoir des crampes. Mais ça a passé.

Hugo Houle

Houle avait conservé son avance quand Jorgenson s’est écrasé contre le bitume rocailleux en étant trop gourmand sur un virage à gauche à mi-chemin de la descente.

Il n’a pas compris quand son directeur sportif Steve Bauer lui a annoncé la chute de Jorgenson. Il l’a déduite quand l’ardoisier lui a appris que son plus proche poursuivant avait maintenant pour nom Woods.

D’une manière ou d’une autre, Houle aurait su résister à un retour potentiel de Jorgenson.

« Ça fait 30 km que je suis seul, je suis en train de faire un coup que je n’aurais imaginé. Dans les 10 derniers kilomètres, je n’avais plus vraiment de souffrance. »

1 km à parcourir

La seule raison pour laquelle il continuait d’appuyer si fort sur les pédales à 58 km/h, c’était la crainte d’une crevaison. Avec un peu plus d’une minute d’avance sur le duo Woods et Jorgenson, qui était revenu sur le Canadien, il aurait eu le temps d’un changement de vélo.

Bauer, seul vainqueur canadien d’une étape du Tour jusque-là, l’a encouragé à la prudence dans le dernier kilomètre : « No mistakes, you got this in the bag ! »

La moto-caméra s’est approchée du futur gagnant, qui a saisi la croix qu’il porte au cou en souvenir de son défunt frère Pierrik, à qui Hugo a dédié sa victoire.

« C’est arrivé tout naturellement, je n’ai pas eu le temps de penser à quoi que ce soit. À partir du moment où je sors ma croix, c’est vraiment là que je comprends que je vais gagner. »

0 km à parcourir

Juste avant de traverser la ligne, Houle a levé le doigt au ciel, en souvenir de son frère. Il est ensuite tombé dans les bras de son soigneur de longue date, Jon Adams.

Il a reçu les embrassades de Woods, qui a fini troisième derrière le Français Valentin Madouas. Plus tard, près du podium, il verra ses amis Antoine Duchesne et Guillaume Boivin, avec qui il a célébré cette première pour un cycliste québécois.

PHOTO THIBAULT CAMUS, ASSOCIATED PRESS

Hugo Houle au fil d’arrivée à Foix

« L’équipe vivait une saison difficile. C’était une façon aussi d’amener un peu de bonheur et de remercier des gars de chez nous qui investissent dans le vélo et partagent cette même passion. Ça me motive à travailler encore plus fort, pour le sentiment d’appartenance au-delà de mes intérêts personnels. »

À la télévision internationale, Houle, en larmes, a raconté son histoire toute simple et si émouvante à la fois, celle d’un petit gars de Sainte-Perpétue qui voulait aller au bout de son rêve pour honorer son frère.