« Hi ! Ha ! » Au moment de rentrer à Montréal, ce cri de cowboy résonne encore dans mes oreilles. Il provient de la bouche d’un coureur filant à plus de 60 km/h dans le peloton tout étiré sur les Champs-Élysées, dimanche soir.

Sans trop savoir comment, je me suis retrouvé en plein milieu de la célèbre avenue, à une centaine de mètres de la ligne d’arrivée de la 21e et dernière étape du Tour de France, avec une vue imprenable sur l’Arc de triomphe.

Dans cette zone réservée à quelques photographes, je me suis penché contre une bordure de plastique haute d’un demi-mètre, pour sentir les cyclistes débouler dans le faux plat descendant de l’autre côté du finish.

Un coureur de la TotalÉnergies – était-ce Mathieu Burgaudeau ? – s’est dangereusement rapproché de la clôture pour remonter à l’intérieur du peloton, qui avait repris Antoine Duchesne un peu plus tôt.

Je fais confiance à l’agilité de ces professionnels, mais je me suis instinctivement tassé. Le coup de vent m’a fait frissonner, mais ce n’est pas parce qu’il faisait froid. Grisant.

PHOTO FOURNIE PAR ISRAEL-PREMIER TECH

Hugo Houle dans la roue d’Antoine Duchesne (à droite) sur les Champs-Élysées, dimanche soir

Ce 109e Tour de France a été mémorable, et pas seulement en raison du privilège que j’ai eu de le couvrir en partie sur place. D’abord durant le Grand Départ au Danemark, où le public s’est déplacé en masse bien avant la consécration de Jonas Vingegaard, et puis sur l’étape finale à Paris, où j’ai vu les cyclistes bondir sur les pavés des Champs-Élysées.

Bien sûr, Hugo Houle a rendu l’expérience inoubliable. À force de chanter ses louanges, on finit par se demander si le patriotisme ne nous aveugle pas un peu. Seul sans-grade vainqueur d’étape, le Québécois de 31 ans a pourtant touché tout le monde.

The Cycling Podcast, balado britannique la plus écoutée dans le milieu, en a fait l’un de ses quatre finalistes au titre de « pédaleur de charme », avec Magnus Cort, Fred Wright et… Vingegaard.

L’Équipe de lundi a rangé parmi ses quatre coups de cœur sa victoire dédiée à son défunt frère. « Son doigt pointé vers le ciel en passant la ligne, ses yeux embués et ses mots puissants dans les minutes qui suivirent, mêlant joie et mélancolie, ont suscité une vague de larmes parmi la foule de suiveurs présents ce jour-là », pouvait-on lire.

Louis Garneau, lui, s’est fait dire par les trois directeurs sportifs français, Vincent Lavenu, Marc Madiot et Jean-René Bernaudeau, que le représentant d’Israel-Premier Tech leur avait fait verser des larmes. « Il nous a tous fait pleurer », a résumé l’olympien et entrepreneur, venu saluer une « idole » qu’il « admire ».

Le 19 juillet, jour où il a levé les bras à Foix, sa page sur Procyclingstats, site de référence, a bondi à plus de 22 000 consultations.

Puissance

L’air de rien, ce succès d’étape pour le Canada, le deuxième depuis celui de Steve Bauer en 1988, est un de mieux que l’Italie, toujours à la recherche d’un successeur à Vincenzo Nibali, et égale le total de la France, sauvée par l’audacieux triomphe de Christophe Laporte à la 19e étape.

« Déjà dans SpiderTech [en 2011 et 2012], Hugo était prêt à devenir professionnel, a noté Bauer. Ce n’était pas le cas des autres jeunes. »

Pierre Hutsebaut, qui l’a entraîné pendant une dizaine d’années, était ébahi des données recueillies par le capteur de puissance de son ancien protégé pendant la première heure de course entre Carcassonne et Foix.

Prendre l’échappée cette journée-là, c’est incroyable. Je n’ai jamais vu des wattages comme ça, jamais.

Pierre Hutsebaut

Même impression de la part du Belge Vincent Wathelet, producteur télé de courses cyclistes qui est devenu un ami de Houle. Il l’a aidé à s’installer à Monaco, comme il l’avait fait des années plus tôt pour l’ex-champion mondial Philippe Gilbert.

« J’en ai quand même côtoyé quelques-uns qui sont devenus champions du monde, et je peux te dire que les paramètres qu’il a faits dans l’étape qu’il gagne, c’est l’équivalent des paramètres que Philippe a produits dans sa meilleure année en 2011 », a souligné Wathelet dimanche soir.

Sa démonstration dans le Mur-de-Péguère, « 1 % plus pentu que le Mur de Huy » dans la Flèche Wallonne, fait croire à Wathelet que Houle « peut aller gagner Québec et Montréal », en septembre.

« Quand tu vois ça, tu te dis : ça y est, il a débloqué dans sa tête, dans son cœur. Ce qui lui est arrivé, c’est terrible. Il fallait faire le deuil. Là, il est bien. »

Et il fait du bien.

Critériums

Signe indéniable de sa nouvelle notoriété, le natif de Sainte-Perpétue a reçu des invitations à participer à des critériums post-Tour, deux en France et un à Amsterdam. « J’ai refusé pour me reposer et me concentrer sur le programme de l’équipe », a-t-il expliqué, lundi, avant de rentrer à Monaco. Ce sera fort possiblement différent pour des « Critériums Tour de France » organisés par ASO, en octobre, à Singapour et à Saitama, au Japon. Ces évènements promotionnels sont réservés à une trentaine de coureurs.

Le monstre vert

PHOTO DANIEL COLE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Wout van Aert

Si Jonas Vingegaard est le gagnant du Tour de France, on peut légitimement affirmer que son coéquipier Wout van Aert est le meilleur coureur au monde. À l’aise sur tous les terrains, le Belge de la Jumbo, 22e du général, a facilement remporté le maillot vert de meilleur sprinteur et signé trois victoires d’étape. Deuxième des trois étapes danoises, d’où il est parti avec le maillot jaune, il aurait pu ajouter un succès dimanche, mais il a préféré accompagner Vingegaard et ses autres coéquipiers en traversant la ligne sur les Champs-Élysées. Sa prestation dans Hautacam, où il a lâché Tadej Pogačar, double vainqueur en titre du Tour, a laissé pantois. « D’où la question qui a jailli de partout – le Belge pourrait-il gagner le Tour ? —, une interrogation légitime, mais aussi archaïque, qui renvoie à l’idée que seule compte la Grande Boucle, alors que le génie de van Aert, jusque-là, aura justement été de s’en affranchir », a écrit avec beaucoup de justesse Alexandre Roos, de L’Équipe. À moins d’un changement de programme, le public québécois pourra l’admirer pour la première fois aux GP de Québec et Montréal.

Dopage

Avec ce Tour le plus rapide de l’histoire – plus de 42 km/h de moyenne –, l’inévitable question du dopage a surgi en conférence de presse, samedi soir. « Une question de merde », a pesté van Aert, l’œil noir, lui qui venait de verser des larmes après sa victoire au contre-la-montre de Rocamadour. Vingegaard, deuxième de l’étape, a été plus poli, garantissant sa probité et celle de sa formation. « Les soupçons ne me dérangent pas, car je comprends qu’avec le lourd passé du cyclisme, la façon dont il fonctionnait il y a encore une quinzaine d’années, on puisse se poser des questions, a-t-il confié le lendemain à L’Équipe. Mais notre sport a changé. En ce qui concerne mon équipe, je mets ma main au feu pour chacun de mes coéquipiers. Nous sommes propres à 100 %. »