Les Français ont mis le feu très tôt. Benoît Cosnefroy et Valentin Madouas ont allumé des pétards au bon moment. Et Julian Alaphilippe avait deux ou trois bâtons de dynamite dans sa pochette arrière. 

Le champion du monde en titre a réussi ce que lui-même croyait improbable au début d’une course sur route un peu folle aux Championnats du monde en Flandres : doubler la mise, à la barbe de Belges encouragés par un public enflammé, dimanche après-midi, à Louvain.

« T’es un ouf ! », a lancé Cosnefroy en interrompant l’interview d’après-course du vainqueur et nouveau papa, encore plus émotif que l’an dernier à Imola.

Effectivement, il fallait être un peu timbré pour lancer les hostilités avec près d’une soixantaine de kilomètres à parcourir dans l’un des monts pavés du circuit d’Overijse.

Mais il n’était pas question pour Alaphilippe d’abandonner son maillot irisé sans se battre. Ni de laisser le Belge Wout Van Aert, grand favori, ou l’Italien Sonny Colbrelli, nouveau champion d’Europe, décider de l’issue de ces Mondiaux du centenaire dans un sprint de groupe.

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Julian Alaphilippe avec le maillot de champion du monde

Le Français de 29 ans a remis cela 10 kilomètres plus loin, obligeant le jeune Remco Evenepoel, fringant comme toujours, à se sacrifier pour son meneur Van Aert.

Quand le jeune prodige belge s’est tassé pour de bon, avec 26 km à faire, Alaphilippe a attaqué avec l’aide de Valentin Madouas.

La salve ultime, dans la côte de Saint-Antoine, à 17 km de la fin à Louvain, fut la bonne. Seuls le Belge Jasper Stuyvens, le Néerlandais Dylan Van Baarle, le Danois Michael Valgren et l’Américain Neilson Powless ont réussi à garder le Français en point de mire.

L’écart a même rétréci. Grimaçant comme toujours, Alaphilippe n’avait plus l’air d’y croire, réclamant de l’information de la moto-ardoisière. Celle-ci a déroulé un bout de papier chiffonné sur lequel devait être inscrit « 11 ou 12 secondes ».

C’est tout ce dont le dossard numéro un avait besoin. Ce bout de papier et peut-être les huées et les insultes des supporteurs belges, qu’il a malicieusement remerciés à l’arrivée…

« Ça m’a donné encore plus envie d’appuyer fort sur les pédales », a déclaré Alaphilippe, septième coureur à défendre un titre mondial avec succès, le premier depuis le triplé de Peter Sagan (26e) de 2015 à 2017.

Je ne pensais pas que j’étais capable de tenir jusqu’au bout. Je me suis fait vraiment violence, je pensais à mon petit [Nino] dans le final.

Julian Alaphilippe

En tombant dans les bras du directeur sportif Thomas Voeckler, le double champion lui a lancé : « On n’a pas trop respecté le plan, mais ça a marché quand même ! »

Une trentaine de secondes après le gagnant, le quatuor en chasse s’est battu pour les deux autres médailles. Van Baarle (argent) et Valgren (bronze) ont eu le meilleur sur Stuyven, l’enfant de la place, malheureux quatrième. Powless, révélation de la journée, a terminé cinquième.

Van Aert, deuxième l’an dernier en Italie, a dû se contenter du 11rang, à 1 min 18 s d’Alaphilippe. « C’était impossible de le suivre, je n’avais simplement pas les jambes, a reconnu le Belge. Je suis humain. »

Seul survivant de l’équipe canadienne, Guillaume Boivin a fini 17e (+ 5 min 25 s), le meilleur résultat de sa carrière aux Mondiaux. D’une certaine façon, le champion national de 32 ans regrettait d’avoir gaspillé des « jambes incroyables ».

PHOTO FOURNIE PAR CANADIAN CYCLIST

Guillaume Boivin s’est classé au 17rang lors de la course en ligne élite des Championnats du monde.

« Je suis content de voir que je suis capable de compétitionner avec ces gars-là, a-t-il dit à son retour à l’hôtel. En même temps, je suis un peu déçu. J’étais un peu trop loin derrière et le coup est parti. C’est donc un peu un sentiment mitigé. »

Des ennuis avec sa selle ont plombé le début de course du Québécois, qui a dû s’arrêter trois fois pour des ajustements et finalement un changement de monture. « Je me sentais encore super bien dans le final, a-t-il précisé. Je ne pense pas que ça m’a coûté tant que ça. »

Il a évité une chute de justesse, ce qui n’a pas été le cas de l’Ontarien Benjamin Perry, qui a dû s’arrêter. De son côté, Hugo Houle a dû poser pied quand il s’est retrouvé derrière un abat qui a projeté une dizaine de concurrents au sol après une centaine de kilomètres. À sa grande surprise, il n’a jamais été capable de revenir dans le peloton, tout comme la vingtaine de coureurs qui l’accompagnaient.

« Il y avait un peu de désordre avec les véhicules dans la caravane, on n’avait donc pas vraiment d’aspiration », a relaté Houle, qui a dû se résoudre à un rare abandon un peu plus tard. « C’est un peu bizarre. La course a pris son envol très, très tôt et on n’était juste plus dans le coup ! […] Je n’ai pas d’excuses. J’ai été piégé par cette chute et ça a été fini pour moi. »

Pier-André Côté a lui aussi dû plier bagage peu de temps après. Antoine Duchesne, qu’on a vu offrir un bidon aux partisans déchaînés, et Nickolas Zukowsky étaient donc les deux seuls rescapés à pouvoir filer un coup de main à Boivin.

« On a pu fermer quelques petits trous qui apparaissaient parce que beaucoup de gens se faisaient lâcher dans le circuit [de Louvain], a expliqué Zukowsky. C’était une course très difficile et on n’a pas eu un super bon positionnement. Ça nous a coûté cher, mais Guillaume, en super forme, a réussi à rester dans le groupe. »

Je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi intense.

Nickolas Zukowsky au sujet de l’ambiance à Louvain

Boivin a ensuite passé un bon moment à rouler à la queue d’un peloton de quelque 70 unités. « J’étais rendu tout seul, je devais gérer mes énergies du mieux que je pouvais. On a quand même fait une course de 280 kilomètres. »

Le natif de Saguenay s’est repositionné à l’approche des bosses du circuit flandrien d’Overijse, mais il était trop loin quand Alaphilippe a secoué le peloton une première fois.

J’ai peut-être manqué un peu de guts pour vraiment mieux me placer. Ça fait partie de la game. J’ai fait une erreur. Honnêtement, c’est aussi important que d’avoir les jambes. Il n’y a que moi à blâmer.

Guillaume Boivin

Houle avait plutôt envie de lancer des fleurs à son coéquipier : « Chapeau à lui d’être allé chercher ce résultat sur un parcours aussi sélectif. C’est tout à son honneur, à l’image un peu de sa saison. Apparemment, c’est parce qu’il vit d’amour et d’eau fraîche présentement. Il a donc une jambe plus légère avec beaucoup de force. »

Boivin n’avait qu’une idée en tête : Paris-Roubaix, dimanche prochain, où il doit épauler son coéquipier Sep Van Marcke.

« Avoir des jambes comme ça, ça ne m’est jamais arrivé dans ma carrière. Je veux en profiter le plus possible. La beauté du vélo, c’est qu’on a une autre grande course la semaine prochaine. J’ai déjà hâte ! »

Une pluie d’abandons

126 partants sur 194 n’ont pas fini la course