« J’ai tout le temps été passionné de sport, d’entraînement. Il y a trois ans, j’ai perdu mon père. »

Ce sont les deux premières phrases que prononce instinctivement Mathieu Young quand on lui demande de nous expliquer l’ambitieux défi qu’il s’est lancé : celui de battre le record Guinness de la course de 10 km la plus rapide avec un sac à dos de 40 lb. Le tout, au profit de Movember et de la Société de l’arthrite du Canada.

Ces deux phrases, ainsi prononcées l’une à la suite de l’autre, ne semblent pas reliées. Et pourtant…

Pour comprendre, il faut remonter à 2019, l’année cauchemardesque de Mathieu Young.

Cette année-là, le jeune homme alors âgé de 21 ans cesse de pratiquer le sport qui l’a toujours passionné, le hockey ; il a atteint le junior AAA. Il abandonne l’école et entre sur le marché du travail en tant qu’homme à tout faire dans un établissement d’enseignement, un job qu’il aime bien. Avec son salaire, il aide son père à payer certaines dépenses.

À ce moment-là, Mathieu a un plan : travailler à temps plein, puis retourner éventuellement sur les bancs d’école à temps partiel. Plan qui ne tiendra cependant pas bien longtemps.

Le mardi 8 octobre 2019, Mathieu perd son emploi de façon inattendue. « Dévasté », il passe la soirée avec sa copine à Shawinigan.

Le mercredi, il retourne chez son père, Éric, à L’Épiphanie. Il passe une journée complète avec son paternel ; « du bon temps de qualité », résume-t-il dans un sourire. « À 23 h, je lui ai dit : “Bonne nuit, je t’aime.” »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Mathieu Young à l’entraînement

Le jeudi, à 8 h, Mathieu est réveillé par son demi-frère de 14 ans, affolé, qui lui crie qu’il a retrouvé Éric inanimé dans le salon.

« Ma chambre était au sous-sol, je suis monté en panique. On a mis mon père par terre, on a essayé de faire les manœuvres. […] J’étais au téléphone avec la fille de l’urgence et elle me donnait un décompte ; j’essayais de réanimer mon père. »

Une fois à l’hôpital, Éric est pris en charge. Mathieu patiente une dizaine de minutes avant qu’un des policiers, qui est d’ailleurs un de ses amis d’enfance, vienne le voir. « Son cœur a recommencé à battre », lui fait-il savoir.

« Quand on dit qu’il s’est battu jusqu’à la fin… », laisse tomber Mathieu dans un souffle.

Éric a passé trois jours aux soins palliatifs, jusqu’à ce que les médecins conviennent qu’il n’y avait plus rien à faire.

Arthrite rhumatoïde

Les médecins n’ont pu déterminer la cause exacte du décès. En fait, « c’est un surplus de tous les médicaments » et de l’usure de la maladie, nous explique Mathieu Young. C’est qu’Éric était atteint d’arthrite rhumatoïde, une forme rare et sévère de la maladie, sur laquelle Mathieu veut attirer l’attention avec son défi.

« Au début de la vingtaine, il s’est réveillé un matin et il ne bougeait plus de la tête aux pieds. Il a été paralysé pendant un an et demi. Il a dû réapprendre à parler, à marcher, à écrire.

« Au fur et à mesure, il a appris à vivre avec. Il suivait des traitements, prenait des médicaments, de la cortisone. […] Il ne pouvait plus en guérir, il pouvait juste ralentir la maladie. »

Quand Mathieu était jeune, il arrivait que son père fasse des crises de paralysie. « Pendant une journée, ma mère le nourrissait à la paille », raconte-t-il.

« Quand [mon père] se brisait quelque chose, ça ne revenait jamais. Avant qu’il décède, il avait deux orteils cassés, mais en tout temps. Ça ne se régénère pas. Il avait une canne, mais il avait vraiment une tête de cochon ! », lance-t-il en riant.

Mathieu marque une pause, les yeux dans l’eau. « Excuse », souffle-t-il, la voix tremblotante. « Depuis trois ou quatre ans, ça allait bien. C’était stable. Même lui commençait à plus bouger. »

Les yeux de Mathieu s’illuminent quand il parle de la force de son père, qui s’est aussi remis sur pied après avoir fait une tentative de suicide en 2015.

C’est pour toutes ces raisons que Mathieu a choisi de verser les dons qu’il amassera en parts égales entre l’organisme Movember, qui finance des projets en santé masculine, et la Société de l’arthrite. Il a déjà récolté plus de 2000 $ sur un objectif de 15 000 $ sur sa page GoFundMe.

Record Guinness

Après la mort de son père, Mathieu Young a été accueilli dans la famille d’un ami pendant neuf mois, le temps de faire son deuil et de penser à son avenir. Au bout d’un mois, il a vu passer à la télévision l’histoire de Samuel Finn, qui a battu le record Guinness du plus grand nombre de burpees en 12 heures en l’honneur de son frère mort d’un cancer.

« Moi, je viens de perdre mon père, je viens de vivre la pire année de ma vie, relate Mathieu. Là, je vois ça à la télé, et le premier réflexe que j’ai, c’est : “Moi aussi, je veux faire ça.” »

En fouillant sur le site web des records Guinness, il est tombé sur celui du 10 km le plus rapide avec un sac à dos de 40 lb. Il a eu comme un déclic. « J’ai vu le parallèle avec la force de caractère de mon père. Juste d’avoir le poids du sac… C’est le poids de perdre un proche, le poids de perdre ton emploi, le poids de la maladie. »

Le plan était de faire ça dès 2020, mais la pandémie l’a forcé à repousser le projet. Il a donc repris l’entraînement en janvier dernier, avec l’accompagnement de son préparateur physique. Il se rend au Gym VIP de Repentigny cinq ou six fois par semaine.

C’est le 14 octobre, très exactement trois ans après le décès de son père, que Mathieu Young tentera de pulvériser le record de 41 min 24 s sur la piste d’athlétisme de l’école secondaire Jean-Baptiste-Meilleur, à Repentigny. Famille et amis seront là pour l’encourager. Et il invite tous ceux qui le souhaitent à se joindre à eux.

Ça va mettre comme un baume sur cette journée-là et cette période de l’année pour ma famille, autant moi que la sœur de mon père, ses chums de gars… Tout le monde va être là. […] On va célébrer l’homme qu’il était.

Mathieu Young

Le 28 mars, jour de l’anniversaire de son père, Mathieu a publié une vidéo au sujet de son défi sur TikTok. Depuis, les encouragements fusent de toutes parts. De nombreux internautes, touchés, lui ont raconté leur histoire.

« Moi, j’ai eu la chance d’avoir des gens qui m’ont aidé à passer à travers mon deuil, dit Mathieu. Il y en a tellement qui vivent des épreuves comme ça et qui sont juste laissés à eux-mêmes. [Ce défi], c’est comme une petite tape dans le dos : vous n’êtes pas seuls. »

« Je le fais pour moi, pour mon père et tous ceux que ça inspire », ajoute-t-il.

Comme son père le lui a enseigné, il se battra jusqu’à la fin.

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