Ils sont des artistes du froid. L'hiver est leur terrain de jeu. Ils manient aussi bien la scie électrique que le crayon à dessin et transforment de vulgaires blocs de glace en oeuvres d'art appréciées du public. Depuis quelques années, une nouvelle génération de sculpteurs se taille une place au Québec, forts du savoir-faire appris de leurs pères. Rencontres.

Nicolas Godon

À la vitesse de l'éclair

Sur la scène principale de la Fête des neiges, une mascotte animale présentait Nicolas Godon : « Accueillez le plus jeune sculpteur sur glace professionnel du Québec ! » L'artiste, âgé de 30 ans, s'exécute sans attendre. Une scie à la main, il taille le bloc translucide devant lui et, en 15 minutes à peine, le transforme en une jolie licorne. Une trentaine de visiteurs, ayant bravé un froid glacial, applaudissent.

« C'est un spectacle de rapidité, je veux en mettre plein la vue », nous dira-t-il plus tard, à l'intérieur d'une roulotte chauffée. « Une chance que ça ne dure pas longtemps ! » La poussière de glace couvre le visage, se colle aux cils et les outils peuvent être plus difficiles à manier lorsque les doigts sont gelés.

L'homme avait prévu sculpter un hippocampe. Trop délicat, trop risqué. Sous l'effet du grand froid, la glace devient très cassante. « Depuis deux semaines, on a vu de tout : de la pluie verglaçante, de la neige, du -40 °C ! Il faut s'adapter à une météo changeante, c'est notre plus gros défi. »

Nicolas Godon aime le contact avec le public, l'adrénaline que lui procure la vitesse d'exécution. Un point commun avec son père Laurent. Celui-ci détient le titre de sculpteur le plus rapide du monde dans le Livre Guinness des records (1992 à 1996). Nicolas a, de son côté, réalisé un record personnel d'endurance, soit 24 sculptures en 24 heures lors du 24 h de Tremblant en 2011.

Il aime aussi travailler dans l'ombre. Cette année, il a pris la responsabilité entière du chantier de la Fête des neiges, dont le bateau de glace et les 20 couloirs de glisse. Un total de 1200 blocs de glace.

Le jeune homme travaille avec son père depuis toujours. « Je suis né là-dedans, j'ai appris sur le tas. » Après avoir été charpentier-menuisier quelques années, il a vu sa passion pour la glace se confirmer. Il a démarré son entreprise en 2016. Son père n'est jamais loin.

« Je suis nouveau dans le milieu, mais je suis occupé été comme hiver. » Il sculpte pour des banquets, des mariages, des événements d'affaires. « Je fais ma glace, je travaille en congélateur. J'essaie d'améliorer le résultat, les techniques. Je vois ce que font les Chinois, c'est malade ! Je veux essayer des choses pour m'amuser. »

Et, sous peu, il compte bien initier sa fille, âgée de 4 ans, au plaisir de la glace.

« Quand il pleut, on peut faire des retouches. On travaille fort, mais s'il pleut trop, il arrive que les gens n'aient pas le temps de voir l'oeuvre à son plein potentiel. C'est frustrant. » - Nicolas Godon 

« Au début, ça te fait de quoi de créer une oeuvre qui disparaît aussi vite. Maintenant, ça ne me dérange plus. Ça m'amène du travail, c'est toujours à recommencer ! »

- Nicolas Godon 

Mélineige Beauregard

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Nicolas Godon à la Fête des neiges, le 19 janvier

Faire sa place

Mélineige Beauregard, 37 ans, est une artiste dans l'âme, une femme qui n'a pas froid aux yeux. « J'aime créer et je suis assez physique. J'aime travailler de mes mains, créer avec mon corps, bouger. C'est pour moi une merveille de travailler la matière, de créer une oeuvre à partir d'un bloc. »

Elle est une des rares femmes à sculpter la glace et la neige. « C'est un métier considéré comme masculin parce que c'est dur, ça demande de la force physique, on manipule une scie à chaîne, on donne beaucoup de coups avec les outils. Je vois maintenant quelques femmes qui sculptent de façon occasionnelle. »

C'est son père, Guy Beauregard, qui lui a appris les bases du métier. À 16 ans, elle l'a accompagné au cours d'une compétition à Rouyn-Noranda. « J'en ai fait tous les hivers depuis et j'en vis à temps plein depuis 10 ans. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Mélineige Beauregard prépare le site du festival Feu et glace de Repentigny.

« Mon père m'a beaucoup encouragée. Toute ma base me vient de lui, la passion de vivre de mon art, de ne pas avoir peur d'essayer. Ce n'est pas facile de faire sa place, de percer dans le milieu. Il faut pousser pour ce qui nous passionne. »

Ce qu'elle préfère sculpter ? Des personnages. « Le corps humain est tellement complexe dans les expressions qu'il peut dégager. » Mais elle a appris à aimer faire de tout. À la tête de son entreprise depuis 2008, elle est très sollicitée. Les demandes sont variées : ça va du logo d'entreprise au bar de glace en passant par des sculptures festives.

Tout l'hiver, elle travaille sans arrêt. Après avoir sculpté la rotonde à l'intérieur de l'Hôtel de glace, à Québec, elle a conçu et réalisé les installations pour le festival Feu et glace à Repentigny et a travaillé au Bal des neiges à Ottawa. « Je me promène beaucoup, je fais des démonstrations, je suis peu à la maison. »

Dans le milieu des arts, la sculpture sur glace, un art populaire, est sous-estimée, peu reconnue, croit-elle. « Les sculpteurs sur glace rendent l'art accessible, on le sort des musées où plusieurs personnes, parmi notre public, n'ont jamais mis les pieds. »

Il y a peu de relève au Québec, confirme Mélineige. Le savoir-faire familial se transmet encore, mais pour combien de temps ? Sa fille âgée de 15 ans ne semble pas intéressée. « Ma soeur, 10 ans plus jeune que moi, a décidé de s'y mettre. » Le flambeau se passera, elle y croit.

« Il y a si peu d'occasions de célébrer l'hiver, je crois que la sculpture est là pour rester. »

- Mélineige Beauregard

« Faire la rotonde m'a pris 70 heures. C'est long, il faut être en forme. Le corps écope, il faut prendre soin des petits bobos qui sortent et faire des provisions de Voltarin ! »

- Mélineige Beauregard

Jean-François Gauthier

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

La rotonde de l'Hôtel de glace, réalisée par Mélineige Beauregard

De bois et de glace

Très jeune, Jean-François Gauthier, 47 ans, a lui aussi suivi les traces de son père. « On était faits forts, on soulevait des blocs. J'aimais déjà les arts, le dessin », raconte le costaud sculpteur, qui travaille aussi le bois de mer l'été.

Son père, André Robert Gauthier, a d'abord sculpté le bois, des animaux en bois. Il avait une école à Laval. Puis, il s'est mis à la glace durant l'hiver, puisque la demande était là. Jean-François a fait la transition avec lui à 16 ans, pour l'épauler. C'était il y a plus de 30 ans.

Depuis, l'adolescent est devenu un sculpteur accompli, un entrepreneur reconnu. Avec son ami Julien Doré, il a remporté le championnat national il y a deux ans à Ottawa. « C'est à ce jour une grande fierté. » Il travaille sur l'Hôtel de glace à Québec depuis sept ans et participe (en équipe) à la construction du château au Carnaval de Québec.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Jean-François Gauthier n'a pu s'empêcher de sculpter le bois sur le site du Carnaval de Québec.

Jean-François Gauthier est aussi invité à sculpter en Europe. « L'automne dernier, je suis allé en Autriche et en Espagne. On a plus de temps là-bas pour créer les pièces, faire la finition. Ici, les sculptures sont plus festives, un peu plus grasses », explique celui qui a travaillé dans le domaine de la construction pendant 12 ans.

Le milieu de la sculpture sur glace est petit au Québec. « On s'engage entre amis sur des gros projets, ça évite des maux de tête. » De la relève, il y en aura toujours, croit-il. « Je crois beaucoup au talent des jeunes. Sur des gros chantiers, je leur donne une chance de montrer ce dont ils sont capables. Ces temps-ci, on embauche plus de jeunes femmes, ça crée une belle dynamique. »

Jean-François reste très attaché au bois, tout comme son père qui offre désormais des cours de sculpture sur bois en Gaspésie. « J'y vais une fois par année, on fait un show devant la maison. Les voitures arrêtent. »

Le bois n'a pas le prestige de la glace aux yeux des clients, déplore-t-il. « J'ai un coup de coeur pour le bois, peut-être parce que c'est durable, contrairement à la glace. » Mais qu'il sculpte le bois ou la glace, il est heureux quand il crée. « La moitié de la paie est de faire ce qu'on aime ! »

« Les outils ont beaucoup évolué. Au début, avec mon père, on était à la scie mécanique et aux fourchettes. Aujourd'hui, on est à la scie électrique et on a des outils rotatifs pour faire plus vite, plus précis. »

- Jean-François Gauthier

« Quand je fais des sculptures à Montréal, je me fais des enveloppes isolantes. Je dis aux clients de couvrir les sculptures par temps chaud. On s'ajuste, mais c'est plus de travail, il faut faire des retouches. »

- Jean-François Gauthier

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Jean-François Gauthier en Europe, en novembre